De nombreuses théories remettent en cause la véracité de la Sainte Écriture. Lorsque
nous écoutons les idéologues de l’éducation nationale, nous constatons que
lorsqu’ils parlent de faire apprendre aux enfants le fait religieux, ce sont
ces théories qu’ils veulent diffuser. Les religions ne seraient que des
inventions, des idéalisations, de la mythisation. Récemment, nous avons
découvert une nouvelle publication de la Vie de Jésus de Renan. Ce livre a
connu un succès considérable au XIXe siècle. Cet ouvrage est le symbole du
rationalisme et du positivisme appliqué au christianisme. Se voulant
scientifique, refusant tout élément surnaturel, il réduit Notre Seigneur
Jésus-Christ à sa dimension humaine. « Jésus
annonçait le royaume, et c’est l’Église qui est venu. » Le slogan de
Loisy demeure encore bien vivace chez tous ceux qui veulent mépriser ou
affronter notre foi. Nous allons désormais nous attarder sur trois représentants
de la théorie d’idéalisation : Harnack, Loisy et Bultmann.
Hanarck,
l’essence du christianisme
Harnack est un protestant allemand, grand érudit du christianisme. Selon cet historien
de renommé international, le christianisme n’a duré car il a su évoluer à plusieurs reprises tout en gardant son essence au cours de son
évolution. Or
par principe, l’évolution implique des transformations, des pertes et des ajouts, des choix plus ou moins conscients, des renoncements. « Dans l’histoire, on n’a rien pour rien, et un grand mouvement se paye chèrement. »[1]
Harnack (1851-1930) |
Il reprend l’idée que les premiers chrétiens auraient reporté sur Notre Seigneur
Jésus-Christ leurs espérances messianiques traditionnelles. L’Évangile aurait ensuite été refondu par Saint Paul pour répondre aux aspiration des jeunes communautés chrétiennes. Il aurait transformé la mort
humiliante de Notre Seigneur en une glorification
salvifique. Puis les dogmes seraient devenus nécessaires pour sauver l’Église de
l’hellénisme et du gnosticisme. Cette dogmatisation reposerait sur l’illusion
« qu’on possède l’essence d’une
religion quand on possède des formules exactes ».
Mais il existe des évolutions plus ou moins légitimes. Elles doivent correspondre à l'« essence du christianisme ». Harnack
voit par exemple dans les Églises orthodoxes et catholiques un fourvoiement, un
prolongement de l’histoire de l’empire romain alors qu'il présente le protestantisme
comme une redécouverte de l’essence du christianisme. Mais ce christianisme
réformé n’évite pas non plus l’erreur qu’aurait commise l’Église catholique : une tendance de fixer la religion. Car effectivement, Harnack conçoit, nous
semble-t-il, le christianisme comme un mouvement continu dont la fixation
conduirait inévitablement à l’erreur.
De
ce mouvement aux multiples étapes, l’important pour Harnack serait donc de
déterminer l’essence du christianisme, c’est-à-dire ce qui ne varie pas au grès
du temps, ce qui a toujours existé. Il faut discerner la sève et le noyau de
l’écorce. Tel est le travail qu’il s’est fixé en tant qu’historien du
christianisme. Ainsi, « croyant
retrouver dans la foi au Dieu Père le message essentiel de Jésus, l’auteur
expurgeait l’Évangile de tout élément dogmatique, hiérarchique et cultuel.
Puis, appréciant au nom de ce critère les formes historiques du christianisme,
il écartait dédaigneusement l’Église comme une altération de la pure doctrine
évangélique, son dogme n’étant qu’un produit de l’esprit grec et son
organisation un décalque de l’empire romain. »[2]
Ainsi
« le temps n’est pas seulement le
cadre dans lequel se manifeste la puissance divine ; il permet à l’essence
originelle du christianisme de développer ses virtualités dans des formes
grâces auxquelles nous pouvons, à chaque moment, la saisir de façon plus ou
moins plénière. Ainsi a-t-il une valeur non point négatif ou ambiguë mais
dialectique. […] Indispensables pour l’Évangile, les formes qu’il revêt sont
toutes frappées d’une relativité qui les condamne d’autant plus impérieusement
qu’elles se sont acquis un plus grand prestige, à l’abri duquel elles prolifèrent et se pétrifient. »
La conclusion est évidente : « on ne peut pas parler en termes de vérités dogmatiques mais seulement
de nécessités historiques et d’utilité religieuse. »[3]
Pour
résumer la thèse d’Harnack : dans le développement du christianisme, seul l'essence du christianisme est vraie. Or le dogme est une expression figée de ce développement. Il n'appartient pas à l'essence du christianisme. Il est donc relatif. Le point important du chrétien est alors de chercher son essence qui reste immuable. Plus il serait proche de l'essence du christianisme, plus il s'approcherait de la véritable
religion. Le protestantisme serait le plus fidèle à cette essence. Son œuvre
est en effet apologétique…
Loisy,
le développement du christianisme
Loisy (1857-1940) |
Pour
répondre à sa théorie, Loisy écrit un ouvrage intitulé L’Évangile et l’Église. Comme Harnack, il se place sur le plan de
l’histoire mais sans chercher à en faire une œuvre
apologétique, nous dit-il. « On n’entend pas
démontrer ici la vérité de l’Évangile ni celle du christianisme catholique,
mais on essaye seulement d’analyser et de définir le rapport qui les unies dans
l’histoire. »[4]
Loisy
développe l'idée que le christianisme absolu n’est pas dans une prétendue
essence immuable mais dans sa vie elle-même. Cette vie se développe sans se
compromettre si le christianisme demeure fidèle à ses principes internes. Par conséquent, le christianisme est vivant au sens où il se réalise avec le temps. « L’Évangile n’est donc pas une doctrine absolue et abstraite,
directement applicable par sa propre vertu à tous les hommes de tous les temps,
mais une foi vivante, engagée de toutes parts dès sa naissance dans le temps et
le milieu où elle vit et dure. » [5]
Contrairement
à la thèse d’Harnack, le développement du christianisme est sa loi. Le
christianisme se réalisant en effet avec le temps, il devient ce qui a besoin
d’être. Le développement du dogme est un aspect de la croissance de l’Église.
Il est « fatal, donc légitime en
principe » [6].
Les dogmes ne sont pas contenus dans l’Évangile mais ils sont apparus
nécessaires. « L’historien y voit
l’interprétation de faits religieux, acquise par un laborieux effort de la
pensée théologique. »[7]
L’Évangile n’aurait pas constitué la religion mais simplement un mouvement religieux
qui par évolution serait devenu religion structurée. Loisy refuse donc de voir
dans les Évangiles des documents historiques et des œuvres littéraires. Ce ne
sont que des témoignages de foi. Il voit alors dans le catholicisme la
véritable vie du christianisme.
Burtmann (1884-1976) |
L’École
des formes
Au début du XXe siècle,
une nouvelle critique apparaît contre l’historicité des Évangiles. Au fond des
faits et des récits que relatent les Évangiles se trouvent en fait des éléments
historiques primitifs auxquels se sont mêlés des éléments nouveaux que les
générations de chrétiens ont ajoutés. Elle forme une école, appelée École des formes ou encore en
allemand « Formeschichte »,
dont le principal représentant est Bultmann, théologien protestant.
Elle a été très populaire chez les progressistes catholiques.
L’École des formes isole
du Nouveau Testament des unités littéraires, des « formes », qu’elle classifie et dont elle essaie de déterminer
le milieu d’origine et la transmission. La forme d’un texte est en effet en
rapport avec la fonction qu’il doit remplir dans un milieu précis (social,
liturgique). La forme et la fonction commandent alors son contenu.
A partir des formes, elle
prétend donc rechercher les éléments historiques primitifs. Il s’agit de retrouver
l’évangile prêché, de reconstruire la tradition orale. Pour remonter à cette
tradition orale, l’École des formes refuse toute authenticité des Évangiles.
Ils ne sont que des juxtapositions de recueils indépendants qui ont été placés
dans un cadre. Ils ne seraient que le fruit d’une création collective.
Par conséquent, les
Évangiles ne permettent pas de saisir le vrai Jésus, le Jésus de l’histoire. Il
nous serait alors inaccessible par les écrits actuels. Par conséquent, la
démarche critique influencée par le rationalisme et le positivisme appliquée aux
écrits est vouée à l’échec. Il s’agit donc de retrouver leurs origines. « Il ne s’agit plus de se préoccuper des sources
écrites, mais de remonter le cours de la tradition jusqu’à ses origines : l’évangile
prêché »[8].
Bultmann voit aussi dans
les Évangiles le témoignage de la foi et non des biographies. La Sainte
Écriture est constituée de mythes dans le but de décrire non pas le monde tel
qu’il est mais l’homme tel qu’il se comprend. Tout énoncé de Notre Seigneur est
un énoncé sur l’homme. Elle doit donc être comprise d’une façon anthropologique
ou encore de manière existentielle. Il y a donc un travail de démythologisation.
Le théologien est profondément influencé par l’existentialiste Heidegger. Selon
Bultmann, la foi est en effet d’ordre existentiel : croire, c’est se
comprendre devant Dieu.
Les disciples de Bultmann
réagissent à la dichotomie induite par la pensée de leur maître. Séparer le Jésus
de la foi du Jésus de l’histoire transforme le christianisme en un vaste mythe.
La foi exige leur identité. Tout en admettant que les Évangiles ne peuvent être
des biographies objectives, Käsemann (1906-1998) définit des critères pour
discerner ce qui est historique dans les Saintes Écritures.
Il en conclut que Notre Seigneur Jésus-Christ a revendiqué une autorité divine.
Selon Bornkamm (1905-1990), ce n’est pas la foi des chrétiens qui a créé
l’autorité de Notre Seigneur mais bien son autorité qui a suscité la foi des
chrétiens.
Harnack, Loisy ou encore
Bultmann renient notre capacité de connaître Notre Seigneur Jésus-Christ tel
qu’Il est décrit dans les Évangiles ou dans l'enseignement de l'Église. Sous couvert d’une démarche rationnelle, ils décrivent le
christianisme comme développement purement humain et nécessaire de la religion
ou comme manipulation plus ou moins consciente. Ce que nous adorons,
professons, adorons serait donc faux, un être purement idéalisé. Il y aurait
donc deux solutions :
- soit accepter notre impossibilité de connaître Notre Seigneur Jésus-Christ, ce qui reviendrait à abandonner notre foi ou à la vider de sa réalité, ce qui revient au même ;
- soit chercher au travers des écrits ce qu’il aurait été, ce qui revient à démonter le christianisme pour reconstruire une autre religion et relativiser notre foi.
Or « la foi exige le réalisme de l’événement »[9]. Elle ne peut subsister si le Jésus de l'histoire est dissociée du Jésus de la foi. La foi est fondée sur une réalité historique et non sur une quelconque idéalisation.
Des « vies de Jésus » sont
ainsi écrites non selon la vérité mais selon la philosophie de leur auteur,
répandant des opinions sous couvert de la science et de la raison.
Références
[1] Hanarck cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat, 1ère partie,I, Albin Michel, édition de poche, 1996.
[2] Rivière, Le modernisme dans l’Église cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat.
[3] E. Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, 1ère partie, I.
[4] Loisy, L’Évangile et l’Église cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat, 1ère partie, II.
[5] E. Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, 1ère partie, I.
[6] Loisy, L’Évangile et l’Église cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat, 1ère partie, II.
[7] Loisy, L’Évangile et l’Église cité dans Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Émile Poulat, 1ère partie, II.
[8] Abbé Bernard Lucien, Apologétique, éditions Nuntiavit, 2011, Voir Latourelle, L’accès à Jésus par les évangiles, Desclée/Bellarmin, 1978.
[9] Intervention du cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à l’occasion du centenaire de la constitution de la Commission biblique pontificale, Rome, le 29 avril 2003 cité dans Jésus au risque de l’histoire de Père Henri de l’Eprevier , revue Résurrection, mi-juin 2009.
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