Le canon biblique définit la liste des livres sacrés constituant la Sainte Bible. Comme nous l'avons évoqué dans l'article précédent, il en existe deux principaux : le canon catholique et le canon juif. Ils ne sont pas tombés du ciel. Leur élaboration a en effet été progressive. Naturellement, l'actuel canon catholique fait l'objet de remise en cause tant par les hérétiques que par les critiques. En soulignant les différences entre les canons catholique et juif, on peut mettre en doute l'authenticité du canon catholique. Or notre foi repose sur son authenticité. En exclure un livre revient en effet à remettre en question l'enseignement de l'Église. Avec un minimum de connaissances sur l'élaboration des canons, nous pouvons sans aucune difficulté répondre à ces remises en cause souvent bien fragiles.
La
lente constitution du canon juif
La bible judaïque est composée de trois parties : la Loi (ou le
Pentateuque), les livres prophétiques et les autres écrits de caractère
composite. Dans le prologue du livre de l’Ecclésiastique, appelée aussi livre
du Siracide, le traducteur témoigne de l'unanimité du Peuple élu à reconnaître
comme inspiré un recueil tripartite d’écrits sacrés : « la Loi, les Prophètes et les autres livres ».
La reconnaissance officielle de leur caractère sacrée a été progressive. Elle
se fonde sur celle de la Loi, vénérée depuis des temps très anciens…
Josias, roi de Juda |
Les
livres prophétiques sont très tôt vénérés. Les prophètes sont considérés comme
représentants de Dieu au sein de la nation juive. Ils jouent un rôle
considérable. Ils sont eux-mêmes très vénérés. Leurs disciples recueillent donc
avec soin leurs paroles et les regroupent sous forme de textes.
L’accomplissement de leurs prophéties ne fait qu’accroître leur prestige et
leur vénération. Leurs écrits semblent être bien délimités dans la première
moitié du IIIe siècle avant Jésus-Christ. Dès cette époque, ils se trouvent
assimilés aux livres de Moïse.
Les
autres écrits s’appuient surtout sur les Psaumes. Son utilisation très ancienne
dans la liturgie et leurs auteurs leur donnent un prestige inégalable. Les autres
ouvrages sont regroupés progressivement, plus spécialement au cours de la
persécution d’Antiochus Épiphane. Les rouleaux sacrés sont rassemblés et sauvés
de la destruction.
Des
écrits sont finalement adjoints à la Loi pour différentes raisons :
- ils en sont comme le prolongement ;
- ils paraissent propres à en assurer la pratique ;
- ils renferment l’enseignement des hommes inspirés par l’Esprit ;
- ils sont lus dans la liturgie synagogale depuis au moins Esdras.
Canon
alexandrin et canon juif
Au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, la Sainte Bible n’est pas encore uniforme. Les bibles écrites en hébreu et en grec ne sont pas en effet constituées des mêmes ouvrages. La
Bible des Septante renferme, en plus des livres du canon juif, les livres dits
aujourd'hui deutérocanoniques. Comme nous l’avons déjà évoqué, selon une hypothèse, cette différence proviendrait d’une relecture
du canon juif survenu après la ruine de Jérusalem vers 70.
Les juifs auraient rejeté de la Sainte Bible les textes grecs ou proches du
christianisme. Il existe aussi d’autres hypothèses…
Le
canon hébreu actuellement en usage chez les juifs se serait donc fixé au moment où se forme le judaïsme, où
la religion juive se restaure, grâce en particulier à l’académie rabbinique de Jamnia. Une thèse récente montre qu’il se serait établi à l’époque de Jamnia, ou même
plus tard[1].
Les autorités juives auraient été en désaccord jusqu'au IIe siècle.
La
divergence entre les canons hébreu et palestinien est probablement le reflet d’une
différence d’appréciation sur la notion de l'inspiration elle-même. Depuis le
temps de l’exil, les juifs palestiniens limitent les œuvres bibliques à une période déterminée de
l’histoire alors que les juifs grecs voient encore l’Esprit de Dieu se
manifester pour instruire le peuple juif. A Jérusalem, la Révélation est
achevée et close par des événements historiques quand à Alexandrie, elle se
poursuit.
Certains auteurs tant juifs que chrétiens marquent une différence entre les
deux canons. Ils distinguent les livres
du canon juif en les marquant du terme technique d’« Écriture » qui renvoie à une période
historique et non à la définition actuelle.
Canon
catholique de l’Ancien Testament
En 1441, le Concile de Florence
confirme officiellement le canon. En 1546, le Concile de Trente proclame vérité
de foi catholique l’inspiration de tous les écrits canoniques en précisant que
cette réception doit être entière. En 1870, le Concile de Vatican I renouvelle
la proclamation.
En
Orient, la situation est plus complexe. Certains auteurs chrétiens, comme Saint
Justin et Méliton de Sardes, n’emploient que les œuvres du canon juif dans
leurs dialogues avec les Juifs. Cela répond évidemment à un but apologétique.
Seuls les ouvrages en effet reconnus par les juifs et les chrétiens peuvent être légitimement
repris dans leurs discussions. D'autres auteurs chrétiens continuent à distinguer les canons. Ils privilégient le canon hébreu tout en y ajoutant parfois des livres
deutérocanoniques. Comme Saint Jérôme ou Saint Cyrille de Jérusalem, ils
refusent d’attribuer aux livres deutérocanoniques la même autorité que celle
des livres protocanoniques. Néanmoins, leur position est ambiguë. Ils acceptent
en effet leur utilisation dans la liturgie et citent pour certains d’entre eux
les mêmes formules employées pour les textes du canon hébreu : « Il est écrit… Dieu dit dans l’Écriture… ».
Un
concile tenu à Laodicée en Phrygie en 363 prescrit de ne lire que des textes
canoniques (canon 59). Le canon 60[2]
ne mentionne que les livres du canon hébreu. Toutefois, les
Grecs adoptent progressivement le canon de l’Église latine. Il faut cependant attendre le
Concile in Trullo en 692 pour la promulgation d’un canon de l’Ancien Testament
identique à celui des Latins.
Constitution
de recueils chrétiens
Le
Nouveau Testament est constitué de trois types d’œuvres différentes : les
quatre évangiles, les épîtres et l’Apocalypse de Saint Jean.
A
l’origine, l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ et des évangélistes est
avant tout oral. Les « témoins oculaires et
ministres de la Parole » (Luc, I, 2) disparaissant progressivement
alors que les communautés se multiplient, cet enseignement devient écrit et
répond aux besoin propres de certaines régions. Les Évangiles sont en effet
destinés à la Syrie, à la Grèce ou à Rome. Chaque communauté possède donc un ensemble
d’ouvrages. Et comme les communautés sont fortement reliées les unes aux autres,
elles échangent leurs écrits, complétant et enrichissant ainsi leur bibliothèque.
Saint Paul (El Greco) |
Certains
de ces textes bibliques sont des épîtres, c'est-à-dire des lettres, qui ont été rédigées en vue de situations ou de
besoins particuliers. Elles ont été transmises aux jeunes Églises par des missionnaires attitrés. Les communautés chrétiennes les ont ensuite échangées entre elles,
parfois du vivant même de leur auteur. Les Pères apostoliques connaissent par
exemple de nombreuses lettres de Saint Paul. Des collections se sont ainsi
formées comme nous l’enseigne Saint Pierre (II Pierre, III, 15-16).
Il est en effet d’usage que les disciples rassemblent les écrits de leur maître
avant même leur mort.
La
constitution du canon chrétien
Quelle
est la valeur de ces écrits aux yeux des chrétiens ? Les livres actuels du Nouveau Testament acquièrent
rapidement la même valeur que celle des livres canoniques de l’Ancien
Testament. Les Pères apostoliques n’hésitent pas en effet à utiliser pour eux
les formules d’introduction employée uniquement pour les textes sacrés. Pour
combattre les hérésies et enseigner la foi, les chrétiens les citent de plus en
plus. Dans la liturgie, ils sont aussi lus. Cela
nous permet de savoir qu’au IIe siècle, la plupart des textes canoniques
actuels sont connus.
La
deuxième Épître de Saint Pierre met les lettres de Saint Paul au même niveau
que l’Écriture. Elle est comparable aux paroles des Prophètes. Dans l’Épître aux
Philippiens, Saint Polycarpe de Smyrne les range parmi les « Lettres sacrées ». Plus tard, Saint
Justin reconnaît aux évangiles une autorité incontestable, comparable à ceux de
l’Ancien Testament. Il est aussi le premier témoin de leur usage liturgique.
Certes, il n’existe pas encore véritablement de liste définitif comparable à celui
de l’Ancien Testament bien que ces livres soient reconnus comme étant inspirés.
Avec
Saint Irénée, nous voyons se constituer le Nouveau Testament. Son témoignage est important. Il connaît
aussi bien les pratiques des Églises d’Asie mineure, étant disciples de
Polycarpe, qu’occidentales (Gaule, Rome), étant devenu évêque de Lyon. Sans
avoir encore défini formellement sa constitution, il donne une Sainte Bible à
deux Testaments de même autorité. Il en exclut des textes considérés comme
étrangers à la Tradition, provenant en particulier des gnostiques.
Ce ne
sont pas les seuls témoignages qui montrent que vers la fin du IIe siècle,
les grandes Églises d’Orient et d’Occident emploient globalement le même
recueil du Nouveau Testament, recueil qu’elles reconnaissent comme sacré. Il jouit en outre de la même autorité que celle de l’Ancien Testament. La
canonicité des Évangiles est probablement reconnue vers 150-160.
Selon
ces témoignages, la canonicité des livres répondent finalement à trois
critères :
- critère d’apostolicité : tout écrit doit venir d’un apôtre ou d’un collaborateur approuvé (Saint Marc, Saint Luc) ;
- critère liturgique : tout écrit doit être reçu par l’Église comme étant sacré. Leur usage dans la liturgie est un des signes de cette réception ;
- critère de l’orthodoxie : la doctrine des textes doit être conforme à l’enseignement de la tradition apostolique.
Saint Paul (Place Saint Pierre) |
Vers
la reconnaissance officielle du canon
La
dangerosité des hérésies, notamment du marcionisme, oblige l’Église de marquer
les Livres Saints qui doivent être tenus comme régulateurs de la foi. En outre,
l’Empire romain pousse indirectement l’Église en ce sens puisque Dioclétien
demande de brûler les Livres Saints. Tout évêque qui remet aux autorités
romaines des livres sacrés est considéré comme « traditor ». Par conséquent, l’Église est dans l’obligation de
bien définir la liste des livres formant la Sainte Écriture.
Selon Eusèbe de Césarée, Origène aurait distingué dans le Nouveau Testament les écrits qui étaient reconnus de tous et ceux qui étaient
controversés, reconnaissant néanmoins tous comme inspirés. Il a pu en
effet connaître tous les livres reconnus puisque grand voyageur, il a visité les Églises de Rome, de Palestine, de Syrie, d’Achaïe, de
Cappadoce et d’Arabie. Plus tard, en 367, Saint Athanase définit le canon tel
qu’il est aujourd'hui sans aucune distinction. Il déclare tous les livres
canoniques comme inspirés et apostoliques. Des manuscrits orientaux du IV et Ve
siècles contiennent le Nouveau Testament au complet. Il faut attendre le VIe
siècle à Antioche et au VIIe siècle à Constantinople pour retrouver le canon au
complet.
En
Occident, au IVe siècle, Saint Ambroise et Priscillien possèdent le Nouveau
Testament au complet. Certaines œuvres qui autrefois faisaient l’objet de
contestations sont désormais reçues comme livres canoniques dès la seconde
moitié du IVe siècle. Les conciles d’Afrique le confirment officiellement. Ils
sont tous reconnus comme inspirés et d’origine apostolique ou garantie par les
Apôtres même si l’authenticité de certains reste contestée. Leur canonicité est
garantie par une tradition ancienne qui présente une continuité assurée et par
l’usage ecclésiastique.
Ainsi
l’Église formalise dès le IVe siècle la liste des textes canoniques de la
Sainte Écriture. Progressivement constitué, le canon comprend un ensemble de
livres reconnus unanimement comme sacrés et inspirés de Dieu, véritables
régulateurs de la foi.
Concile de Trente (musée du Bon-Conseil) |
Au
XVe puis au XVIe siècle, l’Église est encore dans l’obligation de définir
solennellement le canon de la Sainte Bible en s’appuyant sur la Tradition.
Comme nous venons de le voir, cette déclaration officielle n’équivaut pas à une
découverte ou à une innovation. Elle ne sert qu’à répondre à des circonstances particulières,
notamment à défendre la foi. Aujourd'hui, le canon est et doit demeurer un
régulateur de la foi.
L’élaboration
du canon montre enfin le rôle de la Tradition et souligne son autorité
comparable à celle de la Sainte Bible. Apparaît aussi le rôle de l’Église,
seule garante de la canonicité des Livres Saints. Finalement, la Sainte
Écriture ne peut à elle-seule justifier notre foi…
Références
[1] Voir L. M. McDonald, The Formation of the Christian Biblical Canon, Peabody, 1995 et G. Dorival, L’apport des Pères de l’Église à la question de la clôture du Canon de l’Ancien Testament.
[2] Il n’est pas reconnu par tous comme authentique.
[3] Voir notamment Le problème de l’extension du Canon des Écritures d’Alain le Boulluec, revue Recherche des sciences religieuses, 2004/1. Cette thèse avait été admise dans la première moitié du siècle avant d’être dénoncée. Aujourd'hui, l’idée communément admise est que la Didaché ne connaîtrait pas encore les textes canoniques de la Sainte Écriture. Or des débats actuels remettent en question à son tour cette idée.
[4] Il est possible que la 3e Épître de Saint Jean fasse corps avec la seconde ou la première.
[5] Cette différence prend en compte les textes sacrés qui peuvent faire l’objet de contestations.
[6] Voir Émeraude, septembre 2014, article "A la rencontre de la Sainte Bible"
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