Des chrétiens sont aussi
tentés d’y adhérer. D’autres franchissent le pas. Doutent-ils qu’elles soient
incompatibles avec le christianisme ? Ce ne sont pas les discours qui
vantent l’œcuménisme moderne et garantissent à tout croyant sincère le salut
qui pourraient les éloigner de cette croyance. Sont-ils aussi persuadés par des
ouvrages qui leur enseignent que dans les premiers siècles, elles étaient
enseignées par des Pères de l’Église ? Le phénomène a pris une telle
dimension à la fin du XXe siècle qu’une commission pontificale a dû réagir
contre ces erreurs. De nombreux et vrais érudits[1]
ont aussi réfuté ces ouvrages, voire dénoncer les méthodes utilisées. Pourtant,
des chrétiens continuent à croire en la réincarnation ou en toute forme de
métempsychose comme nous l’informent de nombreux témoins[2].
Un tel phénomène montre une profonde carence danse l’enseignement de l’Église,
voire un véritable échec.
Nous abordons le sujet de la
métempsychose dans le cadre de notre étude portant sur l’anthropologie
chrétienne. Il nous apporte en effet un éclairage sur ce qu’est l’homme tel que
l’enseigne l’Église.
La métempsychose
Le terme de « métempsychose » (« metempsuhkosis ») vient de deux mots
grecs[3]
« méta » (« après ») qui exprime un changement
de lieu, et « empsukhoun » (« animer »). Il désigne le passage
d’une âme d’un corps dans un autre. Les corps peuvent être ceux des
animaux, des végétaux ou uniquement des corps humains. D’autres termes sont
aussi utilisés dans la littérature antique. Celle-ci emploie parfois les mots
de « métensomatose »
(« passage de corps à corps »),
« metaggismos » (« transvasement ») ou encore de
« palingénésie » (« renaissance »). Depuis le XIXe
siècle, le terme le plus utilisé est celle de « réincarnation ». Selon certaines définitions, il désigne la
transmigration de l’âme uniquement de corps humains en corps humains[4].
Cependant, dans notre article, nous allons utiliser le terme de « réincarnation » pour indiquer
l’acte du transfert proprement dit alors que la métempsychose désigne la
doctrine ou la croyance.
La métempsychose est très
ancienne et demeure encore très présente. Nous la retrouvons par
exemple sous une certaine forme dans des doctrines gnostiques, dans
l’hindouisme, le bouddhisme[5]
ou encore dans de nombreuses sectes religieuses, ésotériques ou théosophiques. De
nombreux philosophes grecques antiques l’ont enseignée. Pythagore, Empédocle,
Platon et Plotin par exemple ont défendu l’idée d’une âme qui, à l’heure de la
mort, passe d’un corps à un corps sous forme animale ou humaine.
La métempsychose dans la
philosophie grecque antique
Cette description rapide
résume la thèse de la métempsychose. Elle contient en effet tous les éléments
que nous retrouvons dans les différentes doctrines. L’âme, ou ce qui
apparente au principe de vie, est considérée comme prisonnière du corps.
Sa réincarnation est alors considérée comme un châtiment, une peine, un
malheur qu’elle doit subir en raison de la vie qu’elle a menée dans le corps
précédent. Elle erre ainsi de corps à corps jusqu’à ce qu’elle soit purifiée de
la faute qui est à l’origine du processus. Elle est alors libérée de sa prison.
Cette errance peut être une élévation ou une chute selon les actions qu’elle a
menées dans sa vie antérieure. La nature du corps dans laquelle elle se
réincarne détermine alors son avancement ou son recule dans son œuvre de
purification. L’âme se purifie généralement en s’éloignant des jouissances
des biens terrestres ou en se détachant des liens avec le monde. Détachée de
ses entraves, l’âme peut alors contempler ce qu’elles considèrent comme le
bonheur absolu.
La métempsychose est ainsi
fortement marquée par le dualisme qui existe dans l’homme, un corps considéré
comme mauvais par nature, une âme promise au seul bonheur. L’homme est alors
réduit à cette âme. Il n’est que cette âme.
La métempsychose et le
christianisme
Au début de l’ère chrétienne,
nombreux philosophes païens dans l’empire romain défendent encore la doctrine
de la métempsychose. Nous pouvons notamment citer les néoplatoniciens Plutarque
(v. 46, v.125), Plotin (205-270), Porphyre (234-v.310) ou encore Jamblique (v.250-v.330).
La pensée indienne les aurait peut-être influencés. Philostrate (v.170, v.244) présente
en effet Apollonius de Tyane[7]
en voyage en Inde[8],
rencontrant des brahmanes et s’entretenant sur leur vie antérieure.
Il est donc évident qu’en se
répandant dans l’empire et au-delà, y compris en Indes, le christianisme
rencontre ces différentes doctrines. Nous pouvons en effet le constater non
seulement au travers les sectes gnostiques mais également dans les œuvres des
Pères de l’Église, les gnostiques pour les défendre, les défenseurs de la foi
pour les combattre. L’histoire de la métempsychose est en fait un excellent
témoignage apologétique contre tous ceux qui considèrent le christianisme comme
un syncrétisme entre la philosophie grecque et le judaïsme.
Des sectes gnostiques ont
en effet enseigné la métempsychose. Selon Saint Irénée, les carpocratiens
croyaient en la transmigration des âmes, en « leur passage dans des corps successifs » afin d’« expérimenter toutes les manières
possibles de vivre et d’agir »[9].
Nous pouvons aussi citer l’Exégèse de l’âme, un récit
valentinien qui décrit la chute d’un « éon »
par sa réincarnation afin d’expier la passion qu’elle a éprouvée[10].
La métempsychose est aussi présente dans l’ébionisme, une hérésie judéo-chrétienne,
ou encore dans le manichéisme.
Le rejet catégorique de la
métempsychose par les Pères de l’Église
Enfin, les Pères de l’Église
traitent de la métempsychose quand ils ont besoin d’approfondir la doctrine
chrétienne, notamment lorsqu’ils traitent de l’âme et son origine. Ces
questions donnent lieu à des opinions qui ont fait l’objet de sérieuses controverses
au sein de l’Église. L’une d’entre elles concerne par exemple la préexistence
de l’âme. Dans l’étude de cette opinion, Saint Grégoire de Nysse écarte toute
idée de métempsychose.
Ainsi, dans leur combat et
leur enseignement, les Pères de l’Église rejettent de manière unanime la
métempsychose, qu’ils décrivent et démontrent comme étant incompatible avec la
foi. Cette incompatibilité impose non seulement de rompre avec des idées
philosophiques païennes couramment admises en leur temps mais aussi de veiller
à ce qu’elles ne s’insèrent pas dans les communautés chrétiennes et
n’influencent pas l’enseignement qui leur est donné.
Or, selon des commentateurs,
des Pères de l’Église auraient admis la métempsychose. Mais dans leurs études, ils
ne prennent pas sérieusement en compte les genres littéraires et les méthodes
rhétoriques qu’utilisent les Pères de l’Église pour traiter de ce sujet. Ils
en arrivent alors à des conclusions erronées, voire absurdes. Dans son traité
contre Celse, Origène démontre les contradictions de la pensée antique à partir
de leur doctrine sur la métempsychose qu’il feint d’admettre. Il se réclame
alors des autorités que reçoit son adversaire pour mieux la réfuter. Certains lecteurs
n’ont pas alors hésité à s’appuyer sur cette argumentation pour montrer
qu’Origène admettait cette doctrine, oubliant le procédé qu’il utilisait[14].
Quand dans son Apologie de la religion chrétienne, Saint Justin présente les
fausses idées qu’il admettait quand il était encore païen et disciple des philosophes,
en particulier la thèse de métempsychose, des commentateurs[15]
ont alors déclaré qu’il l’admettait, oubliant qu’il ne s’agissait pas encore de
Saint Justin converti qui s’exprimait mais l’ancien disciple des philosophes.
Le manque de souvenir, un démenti
imparable
En outre, pour Saint Irénée,
ce manque absolu du souvenir est une preuve que l’âme n’a pas vécu dans une vie
antérieure. Saint Clément d’Alexandrie revient sur cette contradiction
entre notre expérience et l’idée de la réincarnation. « Si nous avions existé précédemment, nous en
aurions conscience, nous devrions savoir pourquoi et comment nous avons été
précipités sur la terre. »[17]
Or, si elle doit éviter ce qu’elle a déjà accompli, elle doit s’en souvenir.
Pour répondre à cette objection, Platon a imaginé qu’un démon faisait boire à
l’âme, avant qu’elle ne retourne dans un corps, une étrange boisson qui avait
la particularité de lui faire oublier sa vie antérieure. Mais comment peut-il
le savoir puisque son âme a tout oublié ?
Une idée incompatible avec
la doctrine chrétienne
Les Pères de l’Église ne
connaissent pas de difficultés pour montrer que la métempsychose est contraire
à l’individualité de l’homme et à sa personnalité qui résultent de l’union
de l’âme et du corps. Comme Hippolyte de Rome et Saint Augustin, ils rappellent
qu’elle est contraire à la résurrection de la chair, c’est-à-dire à la
résurrection d’un même corp avec la même âme.
Habile avocat, Tertullien
souligne la nécessité de justice qui réclame la résurrection du corps
pour que l’homme en entier obtienne son châtiment ou sa récompense. Ainsi, il
nous renvoie à Notre Seigneur Jésus-Christ qui est ressuscité avec le même
corps, dans lequel il a souffert, non dans un autre[18].
Une idée absurde
Tertullien examine
longuement la doctrine de réincarnation telle qu’elle est enseignée par les
pythagoriciens et les platoniciens, notamment sur leur croyance en la
transmission de l’âme d’un corps humain à un corps animal, ou le contraire. Si
une âme se réincarne dans un corps animal comme le pensaient les philosophes
antiques, comment l’homme et l’animal puissent être si différents, de tendance
différente, alors que l’âme est principe de vie ? Aurait-elle été transformée
en migrant d’un corps à un corps ? Par conséquent, ce n’est plus une
transmigration de l’âme mais une transformation d’être.
Tertullien remarque que cette doctrine est tellement absurde que les gnostiques ne l’ont pas accepté, ne croyant seulement qu’à une transmigration de l’âme d’un corps humain vers un corps humain. Comme le constate Saint Basile le Grand, les partisans d’une telle doctrine mettent l’âme humaine au rang des âmes des animaux. Ils en oublient en effet la différence de nature entre elles, c’est-à-dire la nature rationnelle de l’âme humaine.
Saint Irénée rejette aussi
un argument que défendent les partisans de la métempsychose. La vie de l’homme
serait trop courte pour qu’elle s’épuise en une seule vie terrestre alors que
l’âme est immortelle. Rappelons que les carpocratiens voyaient la libération de
l’âme lorsque celle-ci aurait vécu tout ce dont elle aurait été capable de
faire. Saint Irénée rappelle que l’âme n’est pas détentrice de la vie.
« De même que le corps animé par
l’âme n’est pas lui-même l’âme, mais participe à l’âme aussi longtemps que Dieu
le veut, de même l’âme n’est pas elle-même la vie, mais participe à la vie que
Dieu lui donne. […] autre chose est
l’âme et autre chose la vie. […] c’est
Dieu qui veut et qu’elles existent et qu’elles se maintiennent dans cette
existence. »[19]
Conclusions
Pour réfuter la
métempsychose, les Pères de l’Église n’ont pas simplement démontré son
incompatibilité avec les vérités de foi, ils ont prouvé, par la raison
appuyée de leur expérience, que cette idée était contradictoire et donc
absurde. Nous oublions en effet qu’ils ne cherchent pas uniquement à défendre
la foi mais également à combattre les erreurs qui peuvent détourner les hommes
de la vérité et de leur salut. La défense de la foi est aussi celle de la
vérité. La véritable religion ne propose pas en effet un chemin parmi tant
d’autres…
L’homme n’a finalement
qu’une vie. Il ne se réduit pas une âme qui
abandonnerait son corps comme un pilote quittant son navire défectueux puis le
laissant pourrir pour en prendre un autre afin de voyager vers des destinations
plus lointaines et heureuses. Son bonheur éternel dépend de cette vie,
de celle que mène l’âme en union avec le corps en présence de Dieu. L’homme en
entier, corps et âme, sera jugé et recevra le jugement dans son âme et son
corps. En ne considérant que la chair, le matérialisme souligne l’œuvre que
l’homme accomplit nécessairement avec son corps au cours d’une courte
existence. En posant son regard uniquement sur l’âme, la métempsychose souligne
son immortalité et la nécessité d’expier une faute originelle. Cependant, le
matérialisme réduit l’homme à son corps alors que la métempsychose ne voit que
l’âme en l’homme. Ce sont deux extrêmes qui nous détournent de ce qu’est
véritablement l’homme. Ce ne sont donc pas des voies à suivre s’il veut
atteindre son bonheur, c’est-à-dire la plénitude de son être.
Notes et références
[1] Au cours de notre
article, nous allons donner les références de ces ouvrages qui réfutent avec
des arguments solides et efficaces les auteurs
« réincarnationniste ».
[2] Voir l’article du
Père Alain Biniakounou dans Peut-on être chrétien et croire en la
réincarnation, 17 juin 2018, paroisses-carrières-chanteloup.fr,
qui s’étonne qu’un jeune de son aumônerie croit en la réincarnation. En février
2021, le site Famille chrétienne traite de ce sujet en février 2021.
[3] Voir Dictionnaire
étymologique et historique du français, Larousse, 1994.
[4] Voir la définition de
réincarnation donnée par le site du centre national de ressources textuelles et
lexicales (www.cnrtl.fr).
[5] Voir Émeraude,
article. Pour les religions védiques ou d’inspiration védique comme le
brahmanisme, l’hindouisme, le bouddhisme, etc., ce n’est pas l’âme qui passe
d’un corps à un corps mais une sorte de « moi », de « flux de
conscience » mais en dépit des différences de termes, la chose demeure.
Elle est ce qui permet à un corps d’être animé. Elle désigne le principe de
vie.
[6] Alberto Bernabé, L’âme
après la mort : modèle orphiques et transpositions platoniciennes,
Études
platoniciennes, 4| 2007, OpenEditions journals, https://dpo/org.
[7] Voir Émeraude,
novembre 2015, article « Apollonius de Tyane, un exemple de l'influence
chrétienne sur le paganisme ».
[8] Voir Vie
d’Apollonius de Tyane, Philostrate, Livre III, 23.
[9] Saint Irénée, Contre
les hérésies, I , 25, 4, éditions du Cerf, 2001.
[10] Voir Émeraude,
mai 2021, article « Saint Irénée de Lyon contre l'anthropologie
gnostique ».
[11] Voir Der
Reinkarnationgedanke in der altchristlichenLiteratur, L. Scheffczyk,
1985.
[12] Hans Küng, Vie
éternelle ?, Seuil, 1985, dans Pages théologiques, Paul
Ladouceur, essai paru dans Contacts, Revue française de l’Orthodoxie,
vol. 58, n°214, 2006, accessible le 16 mars 2021, pagesorthodoxes.net.
[13] Izabela Jurasz, « Empédocle
gnostique» et le dualisme selon Hippolyte de Rome (Réfutation VII, 29-31),
Laval théologique et philosophique, volume 74, n°3, 375-405, 2018, https://doi.org.
[14] Voir Le
Livre de la réincarnation, Head et S. L. Cranston, 1984. Paul-Hubert
Poirier dénonce la faiblesse méthodologique de ces auteurs dans l’article Observations
sur les témoignages des Pères de l’Église invoqués en faveur de la
réincarnation, 2018 |8, croir.laval.ca.
[15] Voir Réincarnation
et récurrence – La mort vaincue, Patrick-J. Pétri, éditions de la
lumière, 2001.
[16] Saint Justin, Dialogue
avec Tryphon, IV, 7, trad. par A.-E.. Genoude, dans Défense
du christianisme par les Pères des premiers siècles de l’Église,
éditeur A. Royer, 1843.
[17] Saint Clément
d’Alexandre, Eclog. Ex Script prophet., n°17, P.G., 705 dans La réincarnation selon les Pères
de l’Église, N. Bukowski, Gregorianum, vol. 9, n°1, 1928.
[18] Voir De la
Chair de Jésus-Christ, XXIV, Tertullien, trad. par A-E
Genoude dans Œuvres complètes de Tertullien, 1852, tome I.
[19] Saint Irénée, Contre
les hérésies, II, 34, 4.
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