Saint Clément d’Alexandrie, un
converti devenu maître chrétien
Nous ne connaissons pas
grand-chose de sa vie. Né vers 15O et mort vers 215, de parents païens, Saint
Clément est né probablement à Athènes. Il reçoit une solide formation
intellectuelle. Puis, il se convertit au christianisme pour des raisons que
nous ignorons. Soucieux de parfaire sa formation sous la direction d’un maître
réputé, il parcourt l’Asie Mineure, l’Italie puis l’Égypte. En 180, il en
rencontre un à Alexandrie, Saint Pantène. Selon Eusèbe, Saint Clément
aurait été « presbytre »,
c’est-à-dire prêtre.
D’origine sicilienne, stoïcien
ou pythagoricien converti au christianisme, Saint Pantène enseigne le
christianisme à ceux qui veulent entrer dans l’Église, les catéchumènes. La
ville connaît déjà une communauté chrétienne bien développée avec dix évêques.
Pantène est à la tête d’une école de philosophie, c’est-à-dire une sorte
de cénacle restreint où des disciples se regroupent autour d’un maître qui les
instruit. Pour les uns, l’école est purement philosophique. Elle réunit
librement des auditeurs de toute origine, chrétiens, juifs ou païens, cultivés
et désireux de parfaire leur formation. Pour d’autres, l’école est d’origine
plus ancienne, voire du temp de Saint Marc, et elle est déjà une école
chrétienne.
Saint Clément succède à son
maître à la tête de l’école d’Alexandrie. En 201 ou 202, il
quitte définitivement la grande citée égyptienne, probablement pour échapper à
la persécution de Septime Sévère. En 211, il se trouve en Cappadoce où il
confirme dans la foi la communauté chrétienne puis à Antioche en Syrie.
Les œuvres de Saint Clément
d’Alexandrie, une marche vers la perfection
Saint Clément est l’auteur
de trois ouvrages, le Protreptique, le Pédagogue
et les Stromates. Cette trilogie décrit un itinéraire de la
conversion à la perfection.
Ancien païen et de grande
culture, Saint Clément utilise ses connaissances du paganisme pour en montrer
toutes ses contradictions. Non seulement, il éclaire ses auditeurs mais il
cherche aussi à les émouvoir et à leur éprouver ses faiblesses afin de les
mener à leur conversion. L’ouvrage est animé d’une grande ferveur et d’une
poésie qui peut toucher les païens.
Nous avons encore une
homélie de Saint Clément connue sous le titre Quel riche peut être sauvé.
Il revient sur les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ portant sur l’homme
riche et éclaire nos comportements dans une optique chrétienne en l’éclairant
par la foi.
Clément d’Alexandrie, un
héraut de la foi et de la raison
Saint Clément est un Père
de l’Église « nourri de la
lecture des poètes de l’antiquité »[2],
d’une grande élégance de style, très éloquent, qui traite aussi bien des
sciences profanes que sacrées. Sa science est en effet éminemment étendue. Ses
commentateurs insistent sur « l’amabilité
et la souplesse de son caractère »[3],
sa nature « complexe, étonnamment
douée et brillante »[4].
Il est un homme de lettre qui « évite
les chemins battus, les formules toutes faites, les pensées banales »[5],
une sorte de « bohème de l’académie ». « Mais il est chrétien. Il a fait un choix
décisif et significatif qui impose à toutes ces curiosités et préoccupations
intellectuelles un but précis et irréversible. Clément s’est aussi engagé à
servir ; mener les hommes au Christ devient sa raison d’être. »[6]
Saint Clément est donc un
homme de la culture antique, connaissant la philosophie tant ancienne que
contemporaine. Il est donc intéressant de connaître comment il conçoit la
nature humaine, une conception qu’il enseigne dans son école.
Stromates, le regard de
Saint Clément sur l’homme
Saint Clément conçoit l’homme
comme le « composé d’un élément
animal et d’un principe raisonnable », c’est-à-dire « d’un corps et d’une âme. »[7]
La mort naturelle survient alors quand il y a « rupture des liens par lesquels l’âme est unie au corps. »[8]
Certes, le corps et l’âme sont différents mais cette différence ne signifie
pas qu’ils soient contraires.
Si le corps doit retourner à
la poussière, il n’est pas mauvais par nature puisque Dieu l’a créé. Il
est même digne et susceptible d’être sanctifié. « De là vient que la maison de notre corps
peut recevoir l’âme la plus précieuse aux yeux de Dieu, et qu’elle est jugée
digne du Saint-Esprit par la sanctification intérieure et extérieure, achevée
qu’elle est par la purification de Jésus-Christ. »[9]
Pourtant, ses paroles
peuvent nous interpeler lorsque pour expliquer le passable de la Saint
Écriture, qui compare la chair à l’herbe, il utilise la célèbre métaphore du
corps-prison. « Sans le corps,
comment la divine économie de l’Église eût-elle été conduite à sa fin,
puisque le Seigneur Lui-même, chef de l’Église, vécu ici-bas dans la prison de
la chair, obscur et sans gloire devant les hommes, pour nous apprendre à ne
tourner les yeux que vers l’essence incorporelle et invisible de la cause
première, qui est Dieu. »[10]
En raison de notre
constitution, Saint Clément nous rappelle aussi que nous devons prendre soin
de notre corps car « l’harmonie
et la santé de nos organes contribuent à développer les heureuses dispositions de
notre esprit. »[13]
Nous ne pouvons guère approfondir nos connaissances, celles qui sauvent, si le
corps est mal disposé. Nous devons donc nous occuper des choses matérielles, « non par rapport à eux-mêmes, mais
dans l’intérêt du corps. Et si l’on prend soin du corps, c’est à cause de
l’âme, pour laquelle tout s’exécute. »[14]
Nous retrouvons donc l’ordre qui doit régner en nous. Saint Clément montre ainsi
l’unité de l’homme dans la recherche du bien. L’âme et le corps, s’ils
sont distincts en nous, n’agissent pas sans que l’autre ne soit concerné. Il
nous rappelle en effet que « l’organisation
du corps est droite afin que l’homme puisse contempler le ciel. »[15]
L’homme dans son unité a été conçu pour parvenir au bien. « La disposition de nos membres et de toutes
les parties de nous-mêmes a été combinée pour la pratique du bien, mais non
pour la volupté. »[16]
Pédagogue, une application
concrète
Dans le Pédagogue, Saint Clément présente
concrètement les règles qui doivent régir la vie chrétienne pour marcher
selon Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous y trouvons en effet de manière
concrète toute la doctrine qu’il décrit dans les Stromates. Il décrit la vie chrétienne et l’esprit qui doit
l’animer jusqu’au moindre détail. Comme l’explique un de ses commentateurs, il
commence par l’enseignement philosophique, adoptant au niveau de la morale le
stoïcisme en le corrigeant et en l’interprétant selon le regard chrétien.
« Après avoir déblayé le terrain de
la philosophie pure, il y prend pied, il s’y fixe, comme dans une première
position, d’où il partira ensuite pour arriver à une théorie et à une pratique
plus parfaites. »[17]
Quand il traite de la morale
dans la vie quotidienne, Saint Clément envisage toujours l’homme dans sa
totalité, corps et âme, et dans le corps par rapport à l’âme, dans ses
dispositions tant extérieures qu’intérieures. Il traite de l’homme complet
pour préserver l’unité et l’harmonie dans sa vie. Sa conduite doit en effet
correspondre à sa foi. « La première
chose à examiner, c’est nous-mêmes, et l’harmonie à établir entre notre âme et
notre corps, de manière que la matière obéisse toujours à l’esprit. »[18]
Le but est encore bien exprimé. Nous devons nous libérer « des liens qui nous attachent à la
terre » pour marcher « directement et sans détour à la
connaissance de Dieu »[19].
Les mangeurs de Ricotta, Vincenzo Campi
Musée des Beaux-Arts de Lyon
Par cet exemple, nous
pouvons mieux comprendre ce que Saint Clément entend par les œuvres de la
chair. Il n’entend pas par-là condamner la chair désignant le corps mais les
vices et les péchés de la chair. Pour éviter que l’âme se soumette aux
appétits de la chair, il est nécessaire d’appliquer une discipline à
l’égard du corps comme un athlète voulant remporter le premier prix.
Celui-ci ne méprise pas son corps qui lui permettra de vaincre mais il l’exerce
à une forte discipline et l’entraîne aux efforts nécessaires pour la victoire.
Sans cette discipline et les exercices, l’âme risque d’être l’esclave du corps.
« Nous ne devons donc pas vivre d’une
manière dissolue et licencieuse comme l’enfant prodigue dont parle l’Évangile,
ni abuser les dons de notre Père, mais en faire l’usage. Il faut leur commander
constamment ; nous sommes faits pour régner sur eux et non pour en être
les esclaves. »[22]
Conclusion
Finalement, Saint Clément
nous montre que pour atteindre son bonheur, l’homme doit prendre soin de
lui, corps et âme, non en les séparant ou en les opposant, mais en les unissant
harmonieusement de manière à ce que l’âme, la plus noble partie, soumet
toujours le corps afin que celui-ci soit subordonné à l’âme, et l’âme à Dieu.
Ainsi s’oppose-t-il à ceux qui ne cultivent que le soin du corps, et qui
finalement autorise les désordres de la chair au mépris du bien de l’âme comme
à ceux qui élèvent l’âme jusqu’à blâmer la chair. Tel est l’équilibre qu’il
demande de préserver pour le bien de l’homme. Mais comme l’esprit est faible et
la chair convoite contre l’esprit, en raison de la blessure du péché
originel, il est nécessaire à l’homme de veiller à dompter l’un comme
l’autre par des efforts et des exercices comme un athlète dans l’arène.
Si dans l’ensemble de sa
doctrine, nous percevons une certaine influence négative de sa culture hellénique
ou encore identifier des imprécisions, sources possibles d’erreur et de
malentendus, son enseignement portant sur la nature humaine montre suffisamment
ce qu’était l’enseignement de l’Église au IIe siècle, finalement un
enseignement bien peu éloigné de la nôtre, et surtout en rupture avec la
pensée païenne. « Bien entendu il y a
chez Clément, ce Chrétien authentique, des principes étrangers à la tradition
proprement hellénique […] il y a des
traits de mœurs tout nouveaux[…] Mais reste une place immense aux concepts, aux
thèmes de prédication, aux préceptes de vie qu’il reprend à ses prédécesseurs
païens ; l’essentiel est qu’il
ne se contente pas de les juxtaposer aux autres, mais les reprend du dedans,
les transforme, les informe à nouveau par leur mise en situation dans une
perspective dogmatiquement spécifiquement chrétienne. »[25]
Comment un Père de l’Église pourrait-il en effet croire aux mystères de
l’Incarnation et de la Résurrection de la chair tout en méprisant le corps qu’a
pris Notre Seigneur Jésus-Christ et qu’Il destine à une gloire
inconcevable ? …
[1] Voir Émeraude,
avril 2016, « Christianisme et Paganisme : Saint Paul à Athènes ».
[2] Eugène Genoude,
Notice sur Saint Clément, Les Pères de l’Église, tome IV,
1839.
[3] Hans von
Campenhausen, Les Pères Grecs, 3, éditions de l’Orante, 1963.
[4] Hans von
Campenhausen, Les Pères Grecs, 3.
[5] Hans von
Campenhausen, Les Pères Grecs, 3.
[6] Hans von
Campenhausen, Les Pères Grecs, 3.
[7] Saint Clément, Stromates,
IV, chapitre III.
[8] Saint Clément, Stromates,
IV, chapitre IV.
[9] Saint Clément, Stromates,
IV, chapitre XXVI.
[10] Saint Clément, Stromates,
III, chapitre XVII.
[11] Saint Clément, Stromates,
IV, chapitre XXVI.
[12] Saint Clément, Stromates,
IV, chapitre III.
[13] Saint Clément, Stromates,
III, chapitre VI.
[14] Saint Clément, Stromates,
III, chapitre V.
[15] Saint Clément, Stromates,
IV, chapitre XXVI.
[16] Saint Clément, Stromates,
IV, chapitre XXVI.
[17] Monseigneur Freppel,
évêque d’Angers, Cours d’éloquence sacrée fait à la Sorbonne pendant l’année 1864-1865,
Clément d’Alexandrie, 1873, mediterranee-antique.fr.
[18] Saint Clément, Pédagogue,
II, chapitre I.
[19] Saint Clément, Pédagogue,
II, chapitre I.
[20] Saint Clément, Pédagogue,
II, chapitre I.
[21] Saint Clément, Pédagogue,
II, chapitre II.
[22] Saint Clément, Pédagogue,
II, chapitre I.
[23] Saint Clément, Pédagogue,
I, chapitre VIII.
[24] Cécile Daude, Discours
et conversions chez Clément d’Alexandrie, dans Discours religieux dans
l’antiquité. Actes du Colloque de Besançon, 27 et
28 janvier 1995, Université de Franche-Comté, Annales littéraires de
l’Université de Besançon, 578, www.persee.fr.
[25] Henri-Irénée Marrou, Humanisme
et christianisme chez Clément d’Alexandrie d’après le Pédagogue, dans Christiana
tempora. Mélanges d‘histoire, d’archéologie, d’épigraphie et de patristique,
École française de Rome, 1978, www.persee.fr.
L'article parle de saint Clément d'Alexandrie mais le titre annonce saint Cyrille qui vécut plus de deux cents ans plus tard !
RépondreSupprimerBonjour, c'est en effet une erreur de ma part. Erreur vite corrigée...
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