Qui a commis la
faute irréparable ? Il est bien inutile parfois de chercher des coupables,
surtout lorsque depuis plusieurs siècles, ils reposent en terre. Il est bien
plus utile de comprendre ce qu’il s’est passé pour la réparer et en tirer une
leçon pour le présent. L’enchaînement des événements au cours du passé était
aussi tel que la faute devenait irréparable. Il suffisait d’une étincelle pour
que ce qui était réel ou sous-jacent devînt visible à tous. Le schisme d’Orient
en est un bel exemple.
Nous ne cherchons pas à
identifier les responsables de la rupture, encore moins à les juger. Le schisme
d’Orient est plutôt intéressant pour d’autres raisons. Il montre que la
primauté pontificale est non seulement reconnue depuis de longs siècles mais qu'elle aussi combattue par ceux qui veulent imposer un autre mode de gouvernement pour
des raisons bien humaines. Il démontre aussi les motifs sur lesquels repose la
primauté pontificale ainsi que les raisons qui poussent les uns à la rejeter.
Ainsi, pour ces deux raisons, il entre parfaitement dans le cadre de notre
sujet. Il est aussi intéressant pour mieux comprendre ce qu’est véritablement
l’œcuménisme. L’effort d’unité des chrétiens serait vain sans identifier, avec
impartialité, les raisons des déchirures, et non les coupables. Il révèle aussi
le poids terrible du passé et les rancœurs accumulés au cours des siècles.
Enfin, Luther et les autres
chefs du protestantisme se sont souvent appuyés sur le schisme d’Orient pour
justifier leur position contre la primauté pontificale. Pour répondre à leur
argumentation, faut-il aussi connaître ce qu’il s’est réellement passé…
Michel Cérulaire (v.
1000-1059)
En 1042, Michel Keroularios,
dit Michel Cérulaire, « le plus
ambitieux de l’histoire byzantine »[1],
accède au patriarcat de Constantinople. De caractère énergique, il veut
soumettre toute l’Église d’Orient à son autorité. Il ne supporte guère toute
idée de sujétion à l’égard du Souverain Pontife. Laissons à un byzantiniste le
soin de le décrire : « La
conscience, dont il était pénétré, de la sublimité de sa fonction ne le cédait
en rien à celle de son antagoniste romain, et cette conscience s’alliait chez
lui à une volonté de puissance qui n’hésitait pas à renverser tous les
obstacles. »[2]
Cet avis semble être unanime.
Michel Cérulaire se pose donc
d’emblée comme l’égal du pape. Sur son sceau, nous pouvons ainsi lire :
« par la grâce de Dieu, archevêque
de Constantinople, la nouvelle Rome, et patriarche œcuménique. »[3]
Si le titre a déjà été porté par d’autres patriarches, provoquant par ailleurs
une grave crise avec les papes[4],
le fait de l’inscrire sur un sceau est néanmoins innovant[5].
Notons enfin la forte
implication de Michel Cérulaire dans la vie politique. Il est notamment
impliqué dans complot sous Michel IV, se montre hostile envers l’impératrice
Théodora, apporte un soutien décisif à Isaac Comnène… Ses ambitions ne se
limitent pas en effet à la sphère religieuse. C’est pourquoi les historiens
byzantins du XIe et XII siècle[6]
ne parlent guère des démêlés religieux et insistent essentiellement sur son
rôle et sur sa forte influence politique, ce qui est originale dans cet empire
si accoutumé au césaropapisme.
Finalement, Michel Cérulaire
apprécie l’état d’ignorance et d’indifférence qui séparent l’Église d’Orient et
l’Église d’Occident. Soucieux de son indépendance, il souhaite donc le
perpétuer. Or cette situation risque d’être compromise. En effet, pour se
défendre contre les Normands qui ravagent les possessions byzantines ainsi que
les terres pontificales dans la péninsule italienne, le pape et l’empereur
prévoient de s’allier pour unir leurs forces contre leur ennemi commun. Cette
alliance devrait alors aboutir à un rétablissement de liens religieux entre ces
deux pôles de la chrétienté.
De vieilles accusations
portées contre Rome
Au moment où le pape et
l’empereur parviennent à s’unir, Michel Cérulaire s’élève contre un usage de
l’Église latine. Il s’oppose fermement à l’usage du pain azyme dans le rite
latin de la sainte messe. En effet, les Byzantins et la plupart des Orientaux
consacrent du pain fermenté. À Constantinople, de sa propre autorité, il fait
fermer les églises latines de la ville, et demande à tous les prêtres qui vivent
dans les monastères latins de se conformer au rite grec. S’ils refusent, il les
anathématisera.
Puis, Léon, évêque d’Achrida
en Bulgarie, envoie une lettre à l’évêque grec de la ville italienne Trani,
Jean. En fait, elle est destinée à tous les évêques, au clergé et aux moines
francs ainsi qu’« au révérendissime
pape lui-même »[7].
Dans cette lettre, l’Église romaine est accusée de se judaïser en raison
d’utilisation de pain azyme dans la célébration de la Sainte Eucharistie et de
l’observance du sabbat tous les samedis de Carême[8].
Il s’attaque aussi à d’autres usages disciplinaires qu’il considère comme des
énormités. « Comment en êtes-vous
arrivés à pareilles aberration ? Comment ne voyez-vous, ne comprenez-vous
pas ? Comment ne vous vous corrigez-vous pas et ne remettez-vous pas vos
fidèles dans le droit chemin ? »[9]
Nous retrouvons les mêmes accusations que celles prononcées par le patriarche
Photius contre les catholiques romains[10].
Le vrai motif de la querelle
Léon XI |
La situation n’est guère
brillante en Italie. Les troupes pontificales et byzantines sont défaites par
les Normands avant leur jonction. Le pape Léon IX est même prisonnier. Puis
dans une sorte de semi-captivité, il est retenu au Bénévent. C’est durant son
séjour qu’il prend connaissance de la lettre de l’évêque d’Achrida, et des
événements qui se déroulent à Constantinople. Léon IX écrit aussitôt au
patriarche de Constantinople et s’attaque directement à la question principale,
laissant de côtés les « énormités »
qu’on dénonce pour aller au cœur du sujet, c’est-à-dire à la primauté
pontificale. Il rappelle au patriarche qu’il ne lui convient pas de faire la
leçon à l’Église romaine, qui a toujours été indéfectible dans sa foi
contrairement aux patriarches de Constantinople, et dont les usages ont droit
au respect de tous, d’autant plus qu’elle se montre tolérant pour les usages
des monastères grecs établis à Rome et en Italie.
Comme la situation est de
plus en plus critique dans la péninsule italienne, le gouverneur des
possessions byzantines réclament la fin de la controverse afin d’arrêter les
progrès de la conquête normande et de mener une action commun avec les forces
pontificales. Sous la pression de l’empereur, Michel Cérulaire envoie au pape
une lettre conciliante, sans toutefois évoquer les griefs ni admettre la
primauté pontificale. Il se déclare totalement étranger de la lettre de
l’évêque d’Achrida et des manifestes contre les Latins. Il propose un compromis
qui met Rome et Constantinople sur le même pied d’égalité.
Les légats romains vs Michel
Cérulaire
Mais face à Michel
Cérulaire, se dresse le cardinal Humbert (1015-1061). Celui-ci n’est guère porté à un tel oubli.
Il rédige au nom du pape une lettre, à l’adresse du patriarche byzantin, dans
laquelle il présente le patriarche de Constantinople comme un personnage suspect
sur lequel courent de graves accusations et dont il doit s’amender devant des
légats pontificaux pour éviter une condamnation. Il s’attaque à son tour à des
griefs qui sont forts anciens. Il défend enfin fermement la primauté
pontificale. « Nous espérons,
dit le pape en terminant, que nos légat
trouveront innocent, ou corrigé, ou prêt à céder à leurs admonitions et à
t’amender. »[11]
Puis, dans une lettre adressée à l’empereur, le pape signale la conduite
intolérable de Michel Cérulaire qui persécute les fidèles de l’Église Latine en
raison du rite romain. Le pape envoie trois légats à Constantinople, dont le
cardinal Humbert.
Michel Cérulaire recevant les légats Miniature du XIe siècle |
Si l’empereur accueille les
légats romains avec tout le respect dû au pape, Michel Cérulaire n’a point
cette attention. Selon une lettre adressée au patriarche d’Antioche[12],
les légats n’acceptent pas de prendre place après les métropolitains lorsqu’ils
sont reçus dans la salle de la chancellerie. Ils protestent de l’offense faite
au pape, s’abstiennent d’adresser au patriarche les salutations et les marques
de respect d’usage, remettent la lettre du pape et se retirent aussitôt. La
réaction de Michel Cérulaire varie selon deux versions. Pour l’une, Michel
Cérulaire ne considère pas cette lettre comme authentique en raison d’un examen
minutieux du document, du sceau et du contenu. Pour l’autre, il conteste la
légitimité de ces légats, le pape étant mort après leur départ. Il est vrai que
le pape étant mort, les légats romains ne peuvent plus guère le représenter. Finalement,
Michel Cérulaire refuse de les recevoir ou de comparaître devant eux. Selon une
lettre qu’il envoie à Pierre d’Antioche, il donne une autre raison de sa
conduite. Il trouve intolérable l’arrogance des légats, qui affirment être
venus non pour recevoir des leçons mais pour en donner, non pour s’amender
d’eux-mêmes pour remettre les autres dans le droit chemin. Le fossé est
gigantesque entre les légats romains qui défendent la primauté apostolique et
le patriarche de Constantinople qui agit en toute indépendance. Toute entente
s’avère impossible.
La rupture…
Devant l’obstination de
Michel Cérulaire à refuser toute entrevue avec les légats, ces derniers
décident de lancer contre lui et ses partisans une sentence d’excommunication.
Le 16 juillet 1054, au moment où les fidèles viennent s’assembler pour la messe
et le clergé se prépare à commencer la sainte liturgie, les légats s’avancent
vers le maître-autel et y déposent la sentence d’excommunication. Le geste est
public. Les fidèles s’insurgent. Une émeute gronde à Constantinople contre
l’attitude des légats. Michel Cérulaire, en est-il l’investigateur ? Il la
laisse se développer…
Quatre jours plus tard, à
Sainte Sophie, le synode permanent[13],
qui réunit une vingtaine de métropolites et d’évêques, prononce à son tour
l’excommunication des légats. Il veut amener toutes les Églises à la rupture
avec Rome. Michel Cérulaire envoie ensuite des lettres aux patriarches d’Orient
justifiant son attitude et traitant l’évêque de Rome en brebis perdue. Il
énumère aussi une liste de nombreux griefs[14]
qui « révèle, mieux que tout le
reste, toute l’étroitesse d’esprit de celui qui l’a dressée et son aversion
profonde pour les Occidentaux. »[15]
Certes, des griefs sont puérils et ne devraient pas impressionner les
esprits cultivés mais ils peuvent impressionner la masse des fidèles orientaux et
renforcer le mépris qu’ils éprouvent à l’égard des Latins, considérés comme
séparés de l’Église catholique.
Il est étrange que ces
sentences prononcées par les deux parties soient restées dans les mémoires. Que
vaut en effet la sentence d’excommunication des légats romains qui ont agi de
leur propre gré, voire sans mandat en raison de la mort du pape Léon IX ? En
outre, elle présente de graves erreurs et d’anachronisme. Michel Cérulaire est
accusé d’avoir supprimé le filioque du Crédo de Nicée-Constantinople, ce qui
est faux. Les légats romains ont excommunié Michel Cérulaire et ses partisans
tout en faisant l’éloge de l’empereur. Le patriarche de Constantinople a seulement
excommunié les légats. Eux-seuls sont donc concernés par la sentence. Mais,
n’oublions pas, il s’est adressé aux autres patriarches pour dénoncer la
discipline, les coutumes et la foi des Latins. Il a aussi rayé le nom du pape
dans les diptyques[16],
manifestant ainsi le refus de communion.
L’effacement du nom du pape dans
les diptyques
diptyque d'Anastasius (ivoire) |
Un diptyque était une double
tablette liturgique sur laquelle étaient inscrits les noms des papes, des
patriarches, des évêques, des martyrs ainsi que des empereurs et des rois, et
tout bienfaiteur de l’Église dont il devait être fait mention à la messe et
dans les prières[17].
Lorsqu’un patriarche était élu, il envoyait aux autres patriarches une lettre
dite synoptique contenant l’avis de sa consécration et sa profession de foi.
Son nom figurait alors dans les diptyques de leurs Églises. L’absence de nom
signifiait la rupture entre deux Églises.
L’effacement du nom est donc
révélateur. C’est en fait l’absence du nom du pape au diptyque qui consacre véritablement
le schisme[18].
En 1089, le pape Urbain II s’étonne que son nom ne soit pas invoqué dans la
liturgie byzantine. Le nom des papes n’est donc plus inscrit dans les
diptyques. Il interroge alors Constantinople. Pour lui répondre, un synode est
tenu en Orient la même année. Le clergé admet que le pape n’a pas été exclu de
la communion par un jugement synodal et qu’il sera admis dans les diptyques lorsqu’il
leur enverra sa profession de foi. Mais aucune lettre contenant sa profession
de foi ne sera naturellement reçue. En effet, est-il raisonnable de demander au
pape de justifier sa foi quand il en est le garant ? La commémoraison
du pape n’a donc pas été réintroduite. Le synode rejette en outre la demande du
pape sur la levée de l’interdiction des azymes pour la communion faite aux
Latins. Mais comme le signale l’empereur, les Latins peuvent célébrer leur
messe en toute tranquillité dans la ville de Constantinople. Enfin, le synode
propose au pape de l’inviter à un concile pour traiter de l’union. Il paraît
donc évident qu’en 1089, l’Église d’Orient est bien consciente de sa séparation
avec l’Église d’Occident.
Un schisme silencieux
Après la mort de Michel
Cérulaire, les excommunications réciproques ne semblent pas avoir d’effet dans
les relations entre les chrétiens occidentaux et orientaux. « Rares furent ceux qui mesurèrent l’ampleur
du désastre. »[19]
En 1055, le pape Victor II n’y fait pas allusion dans la lettre qu’adresse à
l’impératrice Théodora pour proposer une alliance contre les Normands.
L’empereur Alexis Ier entretient des relations avec les abbés du Mont-Cassin et
se préoccupe du sort du pape Pascal II retenu par l’empereur Henri V. Sur sa
proposition, une ambassade romaine se rend à Constantinople pour débattre de
l’union. Nombreuses sont ses tentatives. Les débats portent sur des griefs
sérieux, dont le principal demeure au XIIe siècle la primauté pontificale. Nous
revenons en fait au point de départ : « l’empire universel et sans fin de la Nouvelle Rome état à l’évidence
symétrique de la primauté non moins universel de l’Église romaine »[20].
Le pape défend la primauté
romaine quand le patriarche de Constantinople une certaine collégialité. Byzance
développe l’idée d’une Église une dans sa diversité, n’ayant qu’un chef, Notre
Seigneur Jésus-Christ. Tel est le sujet des lettres que s’échangent le pape
Adrien IV et le patriarche Georges Tornikès en 1156, puis entre le pape
Innocent III et le patriarche Jean Kamatêros avant 1204.
Finalement, selon la thèse
de Steven Runciman[21]
(1903-2000), souvent reprise, le schisme serait consommé en 1204 quand les
croisés latins saccagent et pillent la ville de Byzance.
En outre, Michel Cérulaire
n’est guère apprécié par ses interventions dans les affaires politiques,
notamment son affrontement avec
l’empereur Isaac Comnène. Son esprit d’indépendance à l’égard du pouvoir
impériale et ses ambitions ne plaisent guère dans l’Empire byzantin, plus
habitué à voir un patriarche docile aux empereurs. Cela expliquerait sans-doute
le silence des chroniqueurs sur le schisme. Il sort de l’état de grâce quand
les adversaires à l’accord d’union entre l’Église byzantine et l’Église romaine
au concile de Florence s’opposent à l’empereur. Enfin, au XIe et XIIe siècle,
des négociations entre les Byzantins et les Latins obligent les premiers à ne
pas rappeler l’incident de 1054.
L’opposition contre les
« erreurs » de l’Église romaine du XIe au XIIe siècle
Concile de Florence Bulle de l'union Laetentur coeli |
Des traités consacrés aux
erreurs des Latins se développent surtout au début du XIIe siècle au temps du
règne d’Alexis Comnène. Ils colportent de nombreux stéréotypes. Ils se réfèrent
essentiellement à Photius, ce qui confère à leurs arguments le poids de la
tradition et les renvoient à un lointain passé. Michel Cérulaire n’est pas cité
dans les principaux documents. Ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle qu’il prend
un rôle central dans les textes antilatins. En effet, au concile de Lyon, en
1274, un accord d’union est conclu entre le pape, l’empereur, le patriarche de
Constantinople et d’autres personnalités, ce qui provoque une hostilité
farouche des adversaires à tout rapprochement avec l’Église romaine. Les
différents traités ou opuscules puisent ainsi leurs arguments de la lettre de
Photius aux patriarches orientaux, de celle de Michel Cérulaire à Pierre, patriarche
d’Antioche, et enfin du fameux Contre les Francs. « Tous ceux qui sont avec le pape se trouvent
depuis des années hors de l’Église universelle, étrangers à la tradition des Évangiles,
des Apôtres et des Pères en raison de leurs usages illicites et barbares. »[22]
La primauté de
Constantinople à la place de celle du pape…
Finissons par le droit
byzantin. Il est surtout marqué par le patriarche d’Antioche et canoniste
Théodore Balsamon (v. 1130, v. 1195), qui traitent les Latins de schismatiques.
Selon ses propos, comme l’Églises de Rome est dans l’erreur et que l’Églises de
Constantinople partage les mêmes privilèges, c’est à elle désormais d’assurer
seule la primauté sur l’Église. La primauté provient de la donation de
Constantin. Par conséquent, sa dignité lui vient aussi de l’empereur. Le
transfert vers la nouvelle Rome opéré par Constantin fait du patriarche de
Constantinople le véritable héritier de la donation. « Une telle interprétation annule en outre la
préséance de la fondation apostolique, au profit exclusif de l’origine
constantinienne. »[23]
Cependant, il prône aussi l’égalité entre les cinq patriarches, tous oints et
vicaires du Christ, ce qui peut surprendre. Il défend notamment la primauté
universelle du patriarche de Constantinople dans ses Commentaires au
Nomocanon en quatorze titres[24],
rédigé vers 1170. Vers 1335, dans ses Syntagma kata stoichéion, le
canoniste Matthieu Blastarès défend à son tour la primauté du patriarche de
Constantinople en s’appuyant sur les commentaires de Théodore Balsamon[25].
Conclusions
La plupart des commentateurs
voit dans la rupture de 1054 la manifestation d’une incompréhension entre deux
mondes de cultures différentes, que l’incompréhension a finis par séparer. Les
différences liturgiques, linguistiques, disciplinaires ne cessent en effet de
croître entre eux. Une opposition séculaire latente a conduit à une séparation
progressive. Il ne faut pas non plus oublier tous ceux qui ont développé, voire
exalté, le mépris populaire à l’égard de l’autre Église, éloignant de manière
irréparable les uns des autres pour de viles ambitions au point que le schisme
est devenu « une donnée identitaire
pour l’Église byzantine. »[26]
Au centre du schisme, se
trouve donc la primauté pontificale. Les principaux erreurs ou griefs qu’on
reproche à Rome ne sont guère sérieux ou ont déjà été justifiées. Au
commencement du schisme, nul ne conteste vraiment cette primauté en soi. Michel
Cérulaire refuse celle d’un pape en raison des prétendues hérésies de l’Église
romaine. Les canonistes ne la rejettent pas non plus mais la reportent sur
celle du patriarche de Constantinople toujours en prétextant la même raison. Il
est étrange que ce prétexte soit aussi celle des princes opposés aux papes et
des conciliaristes. Or, aujourd’hui, nul n’ignore que les accusations portées
contre l’Église de Rome ne valent ni une excommunication ni une condamnation
pour hérésie. Aujourd’hui, les masques étant tombés, le véritable motif
apparaît clairement…
[2] Georges Ostrogorsky, Histoire
de l’État byzantin, chap. V.
[3] Voir Le
monde byzantin. Tome 2 : L’Empire byzantin (641-1204), Jean-Claude
Cheynet, Presses Universitaires de France, 2006.
[4] Voir Émeraude, janvier 2019, article « Tension entre Rome et Constantinople jusqu'au XIe siècle avant Photius et le schisme ».
[5] Voir Grumel Venance, Le titre de patriarche œcuménique sur les
sceaux byzantins dans Revue des Études Grecques, tome 58,
fascicule 274-278,1945, https://doi.org,
www.persee.fr.
[6] Les historiens
byzantins : Michel Psallos, Jean Skylitzès, Tia Kolbaba, Zônaras, Michel
Attaleiatès.
[7] P. G., tome CXX, col.
836.
[8] Les samedis du
Carême, les Catholiques jeunent comme le font les Juifs mais pour des raisons
bien différentes.
[9] Léon, évêque
d’Achrida, à Jean, évêque de Trani, P. G., tome CXX, col. 841.
[10] Voir Émeraude, février 2019, article « L'ambition au cœur de la rupture entre l'Occident et l'Orient ».
[11] Léon IX, lettre à
Michel Cérulaire, patriarche de Constantinople, P. G. tome CXLIII, col. 777.
[12] Voir Epist. Cerularii ad Petrum Antiochenum, 6, P. G., tome CXX,
col. 785-788.
[13] Le synode est une
assemblée permanente qui aide le patriarche à gouverner son église. L’armature
du synode comprend douze métropolites dont la plupart ont leur siège à
proximité de Constantinople. S’ajoutent les évêques qui sont présents dans la
capitale. Généralement, lorsqu’il est convoqué pour traiter des questions
importantes, il comprend un nombre nettement plus important de participants. En
1030, contre une hérésie, il est constitué de trente-deux métropolites, onze
archevêques, une foule d’autorités politiques. Cela montrerait une convocation
improvisée de Michel Cérulaire, qui n’aurait pas prévu un tel dénuement. Voir Le
schisme de 1054 : un non-événement ?, Jean-Claude Cheynet, Paris-Sorbonne IV, Centre d’histoire et de
civilisation de Byzance, presses universitaires, 2007, Faire l’événement au Moyen-âge,
https//books.openedition.org.
[14] Le nombre de griefs
est de vingt-huit. Ils comprennent toutes les différences de croyances,
d’usages ou de coutumes, entre Rome et Byzance, même les plus puériles. Ils
sont parvenus jusqu’à nous dans un opuscule appelé Contre les Francs ou Sur
les Frances et les autres Latins. Cf. P. G., tome CXL, 541 et suivant.
[15] Martin Jugie, Le
Schisme de Michel Cérulaire, dans Échos d’Orient, tome 36, n°188,
1937, https//doi.org.
[16]Le geste de Michel
Cérulaire est rappelé au XIIe siècle.
[17] Dictionnaire de culture
religieuse et catéchistique, chanoine L. E. Marcel, imprimerie Jacques
et Démontrond, 1938.
[18] Le patriarche
d’Antioche Pierre nous informe en effet que Michel Cérulaire a rayé le nom de
Léon XI sur les diptyques alors qu’en 1009, les noms des papes étaient encore
inscrits.
[19] Daniel-Rops, Ces
chrétiens, nos frères, chap. IV, Fayard, 1965.
[20] Evelyne Patlagean, Apogée
de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), chap.VI,
Histoire du Christianisme, tome V, Desclée, 1993.
[21] Voir La
Papauté et les Églises d’Orient, XI-XIIe siècle, Steven Runciman.
[22] Opusculum contra Francos,
édition J. Hergenröther, Monumenta graeca ad Photium eiusque
historiam pertinentia, Ratisbonne, dans Apogée de la papauté et expansion
de la chrétienté (1054-1274), Evelyne Patlagean, chap.VI
[23] Evelyne Patlagean, Apogée
de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), chap.VI.
[24] Le Nomocanon
aux quatorze titres est un recueil de canons apostoliques, de canons de
conciles et de lois impériales aux matières ecclésiastiques. L’auteur serait
Photius selon Théodore Balsamon.
Cependant, des canonistes n’acceptent pas tous cette attribution.
[25] Voir La
réception du Syntagma de Matthieu Blastarès en Serbie, Jivko Panev,
dans Études
balkaniques, 2003, n°10, http//etudesbalkaniques.revues.org.
[26] Jean-Claude Cheynet, Le
schisme de 1054 : un non-événement ?
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