L’image surannée d’un Christ révolutionnaire ou d'« un anarchiste qui a réussi »[2] est ainsi reprise après tant d’autres idéologues et écrivains depuis le XIXe siècle. Comme nous l’avions déjà évoqué dans le dernier article[3], les premiers marxistes et communistes pensaient que les principes originels du christianisme étaient communistes. Durant les émeutes de mai 1968, il était possible de lire des graffitis acclamant Jésus comme « le seul révolutionnaire ». Des chrétiens dits progressistes partagent plus ou moins cette image de Notre Seigneur Jésus-Christ. Plus récemment, en 2023, une revue de philosophie soulève de nouveau la question de son profil anarcho-communiste[4]. Le journal L’Humanité est aussi revenu sur l’image d’un « Jésus, une révolution »[5] Bref, la figure d’un Jésus marxiste reste encore d'actualité…
Pourquoi des communistes cherchent-ils à peindre Notre Seigneur Jésus-Christ comme révolutionnaire quand eux-mêmes sont fondamentalement antichrétiens et athées ? Pour répondre à cette question, nous allons entendre une des anciennes personnalités du communisme en France, Henri Barbusse (1873-1935), l'un des premiers à construire un Jésus marxiste…
Henri Barbusse (1873-1935), un fidèle communiste…
Qui cherche à recruter Jésus…
Barbusse finit par publier une trilogie littéraire[8] qu’il consacre à Jésus au sein de laquelle il esquisse la figure d’un Jésus marxiste. À partir d’un postulat aujourd’hui commun, il oppose le Jésus historique et le Jésus enseigné par l’Église, accusant Saint Paul d’avoir perverti les Évangiles. Puis, il interprète les livres saints selon la méthode dite matérialiste marxiste, c’est-à-dire la dialectique hégélienne adaptée au matérialisme[9] afin d’en dégager le portrait d’un Jésus désacralisé et marxiste, défenseur d’idées révolutionnaires. Enfin, il compare les premiers chrétiens aux bolcheviks, ce qui lui permet de donner plus d’éclats et de prestige aux révolutionnaires et de les faire entrer dans un mythe ou encore dans une continuité historique.
Une œuvre de propagande...
Pourtant, dans la note qu’il nous adresse dans son livre, Barbusse ose dire qu’il est de « ceux qui pensent que l’écrivain n’a pas le droit de traiter de tels sujets à sa fantaisie et selon son goût personnel » et « qu’il est tenu de vérifier scrupuleusement ce qui lui passe par la tête avant de l’exprimer »[13]. Subterfuge pour apporter encore de la confusion ?
Enfin, comme Barbusse l’écrira au bolchévique Lounatcharski (1875-1933), sa trilogie constitue une campagne contre la religion chrétienne : « ces trois ouvrages représentent, sous des formes littéraires et des modalités différentes, trois manifestations de la même idée, et plus exactement : de la même campagne. Il est bien évident que je n’aurais pas consacré tant d’efforts pour édifier trois œuvres sur un tel sujet s’il n’y avait pas là, à mes yeux une raison sociale et un objectif de propagande. »[14] Son idée est simple : les disciples de Jésus ont détourné l’enseignement du prophète, l’ont mis à mort [15] et réinventent sa vie pour construire une nouvelle religion.
Un crieur d'une nouvelle « bonne nouvelle »
En lisant le Jésus de Barbusse, nous découvrons en effet une autre histoire, mêlant des scènes évangéliques, des personnages et des paroles dans un ordre erroné et avec des interprétations radicalement différentes de l’enseignement de l’Église.
Le narrateur se considère comme « la voix des voix, le cri des cris »(X, 98) ou encore, proclame-t-il sur la croix, « le Messie du peuple et le Verbe des hommes »(XXXIV, 31) Il est venu non du ciel mais de la terre, nous pour entendre la voix de Dieu mais celle des hommes. Le narrateur joue en fait le rôle du crieur tel que l’a dessiné Barbusse dans une de ses nouvelles, intitulée Crieurs. Cette nouvelle montre « un « crieur » transmettre à des « suppliants » des vérités qu’il détient et qu’ils ne peuvent apercevoir, prisonniers qu’ils sont d’un univers d’habitudes et de préjugés »[16]. S’identifiant clairement à Jésus, Barbusse se prend certainement pour un messie politique selon des commentateurs[17].
« La colère de voir » (XXX, 102)
Le narrateur décrit en effet les hommes comme vivant dans un monde irréel « car l'homme a superposé au réel, à cause de la liberté folle des idées et des mots dans le vide, beaucoup de mondes imaginaires mêlés l'un à l'autre et où il est perdu. »(XI, 17) Il s’est créé des rêves comme Dieu et des idoles dont il est le prisonnier et dont il doit désormais s’en débarrasser. Parmi les idoles, se trouvent la religion qui l’enferme dans « des pratiques, des observances et des règles » et « des préceptes morts. »(XX, 37-38) ou encore l’argent, qui est « la loi du monde de la fiction, de la guerre et du mensonge »(XXIV, 13).
Le narrateur appelle donc ses auditeurs à revenir à la réalité, à la voir et à vaincre leurs « vrais ennemis », « que sont les riches et les puissants »(XXX, 76), ou encore leurs « exploiteurs », ceux qui abusent de leur travail et qui « ont dans les pans de leurs robes le sang des âmes des innocents »(XXX, 78), sans oublier les prêtres et les zélotes, c’est-à-dire les nationalistes ou patriotes.
Le crieur nous assure : « Le salut réside en nous »
Le peuple pourrait tout faire s’il pouvait, s’il savait. Mais « l’œuvre du savoir est ralentie et repoussée »(XXX, 20). Le narrateur est donc le crieur qui veut soulever le courage et la foi des hommes en eux-mêmes afin que, par eux-mêmes, ils se libèrent. « C'est l'espoir de l'homme qui est la chair de Dieu. Ceci est la bonne nouvelle de Dieu. »(XXII, 78-79) Cet espoir est ce qu’il appelle « la vie intérieure ». Ainsi, « chacun est son propre Christ. »(XXIII, 43)
Dans sa dernière rencontre avec le narrateur, Marie, « toute jeune femme de Magdala »(IX, 32), qu’il considère comme son vrai disciple, lui définit sa mission : « iI est venu un homme qui a élevé dans ses mains, pour les montrer, la souffrance, la misère, et la grandeur humaine. Tu as annoncé les choses qui étaient cachées depuis le commencement du monde. Tu as semé ceci. Croyez pleinement à vous-mêmes, refaites la vie selon votre image, et vous serez sauvés. Que chacun maîtrise son Dieu, que tous maîtrisent leurs rois. »(XXXII, 89-93) La révolution n’est donc pas donnée par le ciel. Elle vient de la terre pour le ciel. La révolte est finalement « la porte des cieux »(XVI, 35).
Le crieur en appelle à la révolution sanglante
Un slogan : « Faire le juste. Défaire l'injuste. »(XXXIV, 14)
Le narrateur voit le monde comme « une guerre ordonnée aux mortels sur la terre » (X, 53), entre les riches et les pauvres, ou encore comme une lutte engendrée par la convoitise. Après la révolution tant attendue, « tout serait à tous » et « il n’y aurait plus de maître ni d’esclave »(X, 63). Mais qu’entend-il par justice ? L’égalitarisme… Le monde de justice est un monde où, réellement, « chacun sera l'égal de chacun »(XXX, 86). Reprenant les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ, il déclare, pour son rêve égalitaire, « qui s'élève sera abaissé, qui s'abaisse sera élevé »(XXX, 86-87), faussant encore le sens des paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Contre le patriotisme et le christianisme
Le narrateur rencontre plusieurs personnes qui lui demandent de porter leur combat. D’abord des zélotes qui prônent la révolte contre les mêmes ennemis. Mais il refuse d’y participer et d’être l’étendard de leur lutte car leur « révolte n’est pas assez grande. »(XXVII, 77). Elle n’est qu’une revanche et non le combat pour la justice, ou encore une « révolte aveugle et gaspillée »(XXX, 21) Le narrateur n’apprécie non plus la lutte pour délivrer une nation. Il se déclare sans patrie. Les ragots que rapporte la mère du narrateur le décrivent comme « un sans-patrie » qui « ne respecte pas assez les gens en place et les propriétaires. »
Le narrateur rencontre ensuite Paul, qu’il qualifie de « génie » et de « pharisien immense »(XXVIII, 102). Celui-ci lui propose de profiter de l’enthousiasme qu’il suscite dans la foule pour créer une nouvelle religion afin de supplanter celle des Juifs à partir de son histoire qu’il falsifiera en l’assimilant au Messie des prophéties. Mais le narrateur ne veut pas de sa religion qu’il voit comme une nouvelle « démagogie » alors qu’il prône la fin de toute religion. « Tu as détruit l'idole d'Israël et n'en as laissé que la grande charpente humaine de justice, mais l'homme du chemin de Damas a mis un autre dieu à la belle place vide au lieu d'y mettre la vie. »(XXIX, 74-75). Le narrateur rie enfin des chimères de Paul, « le renouveleur de religion »(XXIX, 21) : « L'amour de Dieu nous rachètera, dis-tu. Ce sont là des amusements de princes. »(XXVIII, 69). Il prévoit enfin le détournement de son invention par les puissants. « Mais quand cette doctrine régnera solidement, avec son dieu cloué, elle sera la chose des riches et des bourreaux. »(XXIX, 83)
Le narrateur se rend alors compte « qu'en semant la vérité, j'avais semé des deux côtés le mensonge »(XXIX, 4-5), que sont le nationalisme ou le patriotisme et le christianisme, les deux dangers de son appel à la justice.
Un Jésus contre l’autorité et la religion
Le narrateur méprise la religion juive et la dénonce comme un aveuglement ou une oppression. Lorsqu’il est à la synagogue, écoutant un maître, la tête baissée, réuni serré avec d’autres enfants, il déclare que « la vertu du croyant est d’avoir peur de Dieu. »(IV, 8). Quand il visite pour la première fois le Temple, il rencontre « des scribes, des prêtres, des sacrificateurs, qui dogmatisent et discutent »(VII, 20). Le souvenir des sacrifices et des odeurs l’écœure. Pour lui, le véritable sacrifice est de « faire ruisseler la vérité en poignardant les symboles dans son cœur. »(VII, 66-67). Il se plait à décrire les signes de richesses qu'arborent les juges qui le condamnent.
Tout au long de l’histoire, le narrateur dénigre le christianisme qu’il voit comme une invention humaine. Ses descriptions ne sont pas sans arrière-pensée. Il fait croire insidieusement que ses pratiques et ses rites viennent du paganisme. Il décrit par exemple une statue païenne qui ressemble à celle de Notre Dame tenant l’enfant Jésus ou décrit un culte rendu à Mithra, équivalent au culte eucharistique. Pour lui, l’Église n’est pas une institution mais le peuple. Le narrateur rejette aussi toute idée de miracles et de mystère. « Le mal, c'est d'aimer avant de comprendre. Car il ne faut pas commencer à bâtir la maison par le haut. Comprendre d'abord, aimer ensuite. »(XXX, 21) Il parle alors de « l’amour de l’intelligence »(XXX, 5). Pour le narrateur, l’idée même de Dieu est une folie. C’est l’angoisse ou la peur de la mort qui soulève cette idée comme il l’expérimente avant de mourir.
Contrairement aux discours apologétiques, le narrateur dénonce la médiocrité des apôtres, y compris Jean, « qui ne sauvera pas mon souvenir »(XXX, 77), ainsi que leur manque de courage, après la Pentecôte.
Une figure défigurée du Christ
Le narrateur est un homme comme un autre. Il est un pécheur. Il avoue ainsi son désir pour Marie, « toute jeune femme de Magdala »(IX, 32) qui le refuse, et, en raison de ce refus, il vit le plaisir avec une autre. Après une autre déception amoureuse, il voit le monde différemment et découvre la réalité, qu’il définit comme « une guerre ordonnée aux mortels sur la terre »(X, 53), entre les riches et les pauvres, ou encore comme une convoitise.
La figure de Jésus que décrit Barbusse ainsi que son enseignement s’opposent radicalement à notre connaissance et à l’enseignement de l’Église. C’est bien un Jésus révolutionnaire et marxiste qui se révèle et justifie la violence bolchévique puis communiste. Son récit mêle des mots à résonnance communiste et des mots religieux. La narrateur s’intitule même « l’ouvrier des ouvriers »(X, 95).
Le Jésus de Barbusse, le messie du communisme
Le Jésus de Barbusse est un marxiste. Il ne s’en cache pas. Il compare son corps à un « un drapeau rouge »(XXXIV, 27-29). Les ragots que rapporte sa mère lui attribuent même le terme de « communiste » »(XXXII, 49). Un de ses articles de L’Humanité, publié le 11 août 1926, porte le titre de « Jésus, marxiste ». Dans le second ouvrage de sa trilogie intitulé Les Judas de Jésus, Barbusse justifie sa conception de Jésus.
Dans son livre Les Judas de Jésus, Barbusse étudie les débuts du christianisme puis analyse les Évangiles afin d’en retirer « la vraie leçon de Jésus » pour terminer par un parallèle entre les premiers chrétiens et les révolutionnaires des années 1920. Son objectif est bien de montrer que le combat que mène ces révolutionnaires rejoint celui du christianisme primitif et que finalement ce que Jésus a prophétisé arrive avec la révolution communiste. Dans son ouvrage Les Judas de Jésus, Barbusse « entreprend alors de débarrasser le Nouveau Testament de son enveloppe spirituelle, pour n’en conserver que le matériel »[18] pour ensuite défendre sa thèse : « il y a une distinction absolue entre le prophète Jésus qui était un révolutionnaire et le Christ qui n’est qu’une entité théologique abstraite. »[19] Il est convaincu que les disciples de Jésus ont falsifié son histoire et ses paroles afin de forger un Jésus plus apte à porter une nouvelle religion. Cette dichotomie entre le Jésus historique et le Jésus enseigné lui permet d’arriver à d’autres oppositions comme la religion et le politique, ou encore la révolution et Dieu.
C’est ainsi que Barbusse interprète la figure de Jésus dans un sens proprement politique en lui enlevant toute valeur spirituelle, tout en le rapprochant des révolutionnaires de son temps, qui, comme son Jésus, sont des crieurs, portés par une idée juste, une cause légitime, par une exaltation efficace. Par cette conversion, les communistes peuvent légitimement employer des mots autrefois réservés à la religion comme la foi, le sacrifice, le martyre. Ils entrent en quelques sortes dans un mythe.
Suivre les traces des nouveaux exégètes
Pour se justifier encore, Barbusse nous apprend qu’il veut suivre les traces de ceux qui « ont transformé l’exégète chrétienne et l’ont fait entrer dans le domaine de la science » et cite : « Loisy, Charles Guignebert, P.-L. Couchoud, et tous les auteurs de la collection Christianisme »[23]. Revenons sur deux des références de Barbusse, Charles Guignebert (1867-1939) et Paul-Louis Couchoud (1979-1959). Ces exégètes reconstruisent une histoire de Jésus en rejetant ce qu’ils considèrent comme des préjugés ou des inventions.
Paul-Louis Couchoud, philosophe, médecin et poète, défend la thèse mythiste, qui ne reconnaît pas l’historicité de Jésus. « Jésus appartient à l’histoire par son nom et par son culte, mais il n’est pas un personnage historique. »[26] Il défend donc l’idée que sa connaissance a été inventé par les croyants pour justifier leur croyance et le culte dont il fait l’objet. C’est pourquoi il parle de « réalité spirituelle ». Il défend l’idée que Paul est le véritable fondateur du christianisme.
Une arme communiste contre le christianisme
Il est facile d’imaginer Notre Seigneur Jésus-Christ à partir d’idées préconçues et de le justifier par des sources préalablement choisies, tronquées et falsifiées. Des phrases bien choisies, hors de leur contexte, permettent de leur donner un nouveau sens et de raconter une nouvelle histoire cohérente. Lorsque on veut interpréter les Évangiles uniquement par un regard rationaliste, on rejette nécessairement tout ce qui nous semble peu rationnel, c’est-à-dire les miracles et l’accomplissement des prophéties, sans lesquels il n’est guère possible de saisir Notre Seigneur Jésus-Christ. L’étude est ainsi biaisée dès le départ. Le but de Barbusse n’est pas de mieux connaître le personnage historique mais de « dépouiller Jésus de tout son attirail chrétien »[27] pour combattre le christianisme et renforcer le communisme.
En outre, hors du Nouveau Testament, il n’est guère possible de décrire Notre Seigneur Jésus-Christ tel qu’Il a été véritablement. Bien qu’utiles, les autres sources sont soit éphémères, soit susceptibles d’erreurs. Si nous refusons d’entendre ses premiers disciples, car jugées peu sûrs, nous perdons nécessairement des témoignages précieux et finalement nous concevons une personne telle que nous voulons qu'il soit, c'est-à-dire un Jésus mythique ou idéalisé. C’est justement, pour éviter cette erreur, que les évangélistes ont écrit. Qui aujourd’hui oserait raconter la vie d’un personnage historique sans entendre ceux qui l’ont connu ? Devons-nous par principe leur refuser toute créance de peur que leur témoignage soit biaisé ? Est-il encore cohérent de donner plus de crédibilités aux récits tardifs provenant d’hérétiques, de juifs et de musulmans ? Ce n’est ni sérieux ni honnête. Il est si facile de déconstruire un enseignement pour en construire un autre selon ses convictions, surtout en un temps où cette histoire est si peu connue…
En un temps où, affaiblie par nos lâchetés et notre ignorance, notre perception de la réalité est continuellement remise en cause par des idéologies, il est devenu simple de mépriser la vérité qui nous a été transmise. Selon les discours des faiseurs de rêves, le passé n’est que mensonge alors que la nouveauté, surtout peu classique ou dérangeante, est nécessairement vraie. C’est oublier, d’une part, que l’enseignement est légitimé par une autorité et par le passé, et d’autre part, que le témoignage oculaire reste un des garants les plus sûrs contre la manipulation. Nous préférons croire à un témoin qui a vu les faits qu’il évoque et le décrit avec le langage de son temps qu’un idéologue qui perçoit une réalité veille de vingt siècles et imagine le passé avec son regard d'homme contemporain …
Déconstruire pour construire, telle est la méthode employée. Il s'agit d’abord de remettre en question des certitudes et de mépriser ceux qui enseignent la vérité puis, le cerveau nettoyé, de peindre une nouvelle figure de Jésus afin de rapprocher son image de celle des révolutionnaires des années 20. Ainsi, ces derniers deviennent plus favorables, notamment auprès des communautés chrétiennes tout en affaiblissant la force adverse que représente l’Église. Barbusse tente aussi de leur donner le souffle et l’enthousiasme religieux dont ils ont besoin et que donne une forte « capacité utopique »[28] comme l’avait aussi compris Julien l’Apostat[29]. Un mouvement qui porte le souffle religieux est d’une force prodigieuse.
Conclusions
Ainsi, le Jésus de Barbusse entre dans un cadre très humain. Certes, il crie fortement et clairement comme un homme moderne, mais son cri n’est pas différent de ceux qui se révoltent contre toute forme d’oppression. Ce n’est pas un hasard si dans son troisième ouvrage de sa trilogie, Barbusse compare son Jésus avec les révolutionnaires indiens qui luttent pour leur indépendance. Son idole est d’abord et avant tout un juge sévère et implacable qui ne peut concevoir la miséricorde. Sans-doute, est-ce pour cela qu’il rejette toute idée de Dieu. Car ici-bas, le soleil brille aussi bien sur les bons que sur les méchants. La plainte de Job se transforme en lui en une idéologie athée qui se ferme à toute idée d’amour. Barbusse est alors aveuglé par la justice humaine, son idole. Tout est alors permis en son nom, y compris la révolte sanglante contre tous ceux qu'il désigne comme adversaires de son dieu, ceux qui possède le pouvoir ou la richesse et qui constituent l’ordre établi. Nous savons aujourd’hui par l'histoire ce que cela signifie en réalité lorsque cette idole s’empare des révolutionnaires, la cruauté et la désolation…
Notes et références
[1] Tillement, vidéo Jésus contre le christianisme, épisode 2, youtube. Interprétation des Évangiles très littérale, voire simpliste, selon la pensée actuelle (antiraciste, anti-misogyne), selon une orientation révolutionnaire (antiétatique, antihiérarchique), par un choix habile des paroles et actions évangéliques et par des omissions. Le rappel partiel de la scène portant sur le paiement des impôts est symptomatique. L’absence d’évocation du péché en est un autre. Exemple de manque d’honnêteté intellectuelle et de duperie.
[2] Malraux, L'Espoir, 1937.
[3] Émeraude, janvier 2025, article "Sur la formule : "la religion est l'opium du peuple" ...".
[4] Voir Samuel Lacroix, article Jésus-Christ est-il anarcho-communiste ?, 22 décembre 2023, philomag.fr.
[5] Voir Maurice Ulrich, Jésus, une révolution, 23 décembre 2022, humanite.fr.
[6] Barbusse, Les Judas de Jésus, Paris, Flammarion, 1927.
[7] Barbusse, Jésus Christ a-t-il existé ?, 28 juillet 1926, Jésus marxiste,11 août 1926, À propos de Jésus marxiste, 9 octobre 1926.
[8] Jésus, 1927, Les Judas de Jésus, 1927 et Jésus contre Dieu. Mystère avec cinéma et musique, 1927.
[9] Ce qui apparaît comme un non-sens, la dialectique hégélienne s’appliquant sur l’idée.
[10] Barbusse, Jésus, Note, Flammarion, 1927, gallica.bnf.fr. Nos citations viennent de cet ouvrage.
[11] Barbusse, L’Exploitation de Jésus, L’Humanité, n°10305, 27 février 1927 dans Le Jésus marxiste d‘Henri Barbusse : l’impossible métamorphose du christianisme, Jérémy Camus, Schuwer (ed.), Actes de la Journée d’études Le Christ refiguré (1848-1949), 11 avril 2015, Centre André Chastel, Galerie Colbert, mis en ligne en juillet 2017, lu le 16 janvier, via le billet de Marie Planchot, Le Jésus marxiste d‘Henri Barbusse : l’impossible métamorphose du christianisme, 07/05/2021, 124-Sorbonne. Carnet de l’École Doctorale d’Histoire de l’art et Archéologie, consulté le 16 janvier 2025, 124revue.hypothèses.org,
[12] Jérémy Camus, Le Jésus marxiste d‘Henri Barbusse : l’impossible métamorphose du christianisme.
[13] Barbusse, Jésus, Note, Flammarion, 1927, gallica.bnf.fr.
[14] Barbusse, lettre, 25 novembre 1927, Archives nationales russes des arts et des lettres, RIGALI, F. 998, liste 1, n°3412 dans dans Henri Barbusse entre Jésus et Staline, Alexandre Stroev, Revue d’histoire littéraire de la France, 121e année, n°2, avril-juin 2021, jstor.org.
[15] Dans son deuxième ouvrage de sa trilogie, nous apprenons que le bourreau de Jésus l’a fait échapper mais fous de rage, ses disciples l’ont tué sans le reconnaître.
[16] Denis Perrot, Henri Barbusse : « suppliants » et « crieurs », dans Revue d’histoire littéraire de la France, 2015/4, vol. 115, cairn.info.
[17] Jean Relinger (1935-2018) et Philippe Baudorre (1954), professeurs d'universités.
[18] Barbusse, L’Exploitation de Jésus, L’Humanité, 27 février 1927.
[19] Barbusse dans Annette Vidal, Henri Barbusse, soldat de la paix, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1953, p.151, dans Le Jésus marxiste d‘Henri Barbusse : l’impossible métamorphose du christianisme, Jérémy Camus.
[20] Barbusse fera une biographie consacrée à Staline, en 1935, intitulé Staline, un monde nouveau vu à travers un homme, et a écrit un scénario de propagande en sa faveur, intitulé Créateurs, avant de mourir.
[21]Henri Barbusse, Staline, un monde nouveau vu à travers un homme, Paris, Flammarion, 1935 dans Le Jésus marxiste d‘Henri Barbusse : l’impossible métamorphose du christianisme, Jérémy Camus.
[22] Alexandre Stroev, Henri Barbusse entre Jésus et Staline dans Revue d’histoire littéraire de la France, 121e année, n°2, avril-juin 2021, jstor.org.
[23] Barbusse, L’Exploitation de Jésus, L’Humanité, n°10305, 27 février 1927.
[24] Guignebert, Jésus, 1933.
[25] Maurice Goguel, compte rendu sur La vie cachée de Jésus, Guignebert, Flammarion, 1921, dans Revue d’histoire et de Philosophie religieuses, année 1921, 1-6.
[26] Couchoud, L’énigme de Jésus, dans Mercure de France, T. 162, n°593, 1er mars 1923, Wikipédia, article Paul-Louis Couchoud, lu le 18 janvier 2025.
[27] Barbusse, Lettre du 2 février 1928, Archives nationales d’histoire politique et sociale, Moscou, RGASPI, F. 142, liste 1 n°791, f. 8-10 dans Henri Barbusse entre Jésus et Staline, Alexandre Stroev, Revue d’histoire littéraire de la France, 121e année, n°2, avril-juin 2021, jstor.org.
[28] Émeraude, janvier 2025, article "Sur la formule : "la religion est l'opium du peuple" ...".
[29] Émeraude, article "Julien l'Apostat, un exemple d'évolution religieux", décembre 2015.