« Personne
ne peut se convertir sans renoncer à sa liberté morale et mentale »,
nous dit le premier ministre anglais, W. E. Glastone (1809-1898). Il craint
qu’après la proclamation du dogme de l’infaillibilité du pape au premier
concile de Vatican, en 1870, les catholiques anglais soient contraints à obéir
au pape au mépris de leur fidélité à l’égard de la couronne. Sans songer à ce
dogme ou encore au patriotisme, l’homme moderne ne pense pas autrement. Ainsi, il refuse la foi sous prétexte de la
liberté de conscience ou encore accuse-t-il l’Église de ne point la
respecter contrairement à la société moderne qui en a fait sa loi. Sans-doute
est-ce l’un des principaux reproches à l’égard de l’Église. Ainsi, devons-nous
étudier plus longuement le sujet de la liberté de conscience dans le cadre de
notre essai apologétique…
La
liberté de conscience et le droit universel
Il
assimile d’abord, dans un même article, la
liberté de pensée, la liberté de
conscience et la liberté de religion
avant d’exposer plus concrètement ce qu’elles impliquent sans vraiment les
définir formellement. Nous constatons ainsi que l’article défend ce qui était autrefois
appelé la liberté de culte. Il
ne doit avoir aucune contrainte en matière religieuse pour exprimer ou
enseigner sa foi, seul ou en commun, en privé comme en public. Ces différentes
formes de libertés protègent l’individu et la religion à l’égard d’une autorité
extérieure, politique ou religieuse. Cependant, remarquons aussi que l’article les
associent à la « liberté de changer
de religion », introduisant alors
une notion d’autonomie de l’individu au sein de la religion. Notons enfin
qu’il n’est pas formulé la liberté d’adhérer à une religion.
L’évolution
de la conception de la liberté de conscience en matière religieuse
Au
XVIe siècle, Montaigne plaide pour la liberté de conscience sans prôner la
liberté de culte. Il considère que la liberté de culte peut conduire à des
excès de zèle et remettre en cause la stabilité sociale. Il prend pour exemple
l’empereur Julien, qui, après avoir publié un édit de tolérance, déclenche
beaucoup de haine lorsqu’il veut restaurer les cultes païens. « La passion pousse hors les bornes de la
raison. »[3]
Le
XXe siècle est marqué par un revirement de l’Église qui soulève la question de
la liberté de conscience en matière religieuse. Pourtant, contrairement aux
discours[6]
que nous pouvons entendre, son changement de position porte uniquement sur la
liberté de culte et la liberté de professer publiquement toutes les opinions et
les convictions[7].
Dénoncée à plusieurs reprises comme une erreur, elle finit par la proclamer
lors du deuxième concile de Vatican dans la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté
religieuse, qui traite du « droit
de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière
religieuse. »
De
nos jours, les questions actuelles portent désormais davantage sur la liberté
de conscience. Les évolutions sociales comme l’interruption volontaire de
grossesse, l’euthanasie et bien d’autres sujets posent des cas de conscience et
soulèvent de nouveau de manière fulgurante la question de la liberté de
conscience, et plus simplement celle de la liberté. Peut-elle être sans
limite ?
La
notion de liberté au sens physique, le for interne et le for externe
Qu’est-ce
que la liberté ? La « liberté »
peut être définie comme l’absence de liens dans trois domaines : physique,
qui exclut toute contrainte d’ordre physique, moral et psychologique
qui désigne le libre arbitre.
Quand
nous devons parler de liberté physique, nous devons distinguer ce qui relève du
« for interne » et du
« for externe ». Le terme
« for » signifie tribunal.
Il provient du mot latin « forum »,
qui, durant l’antiquité, désignait la place où étaient traitées les affaires
publiques. Le « for interne »
désigne le tribunal de la conscience alors que le « for externe » désigne les tribunaux jugeant des actes publics.
Ainsi le « for interne »
relève de tout ce qui appartient à la conscience, et, dans sa notion plus
étendue, ce qui concerne notre vie privée, notre vie religieuse. Le « for externe » porte sur notre personne
publique, sur nos paroles, nos actions, nos comportements publics au regard
de la société. Les différentes lois distinguent ainsi la vie privée et la
vie publique.
En
droit canonique, la distinction est encore plus précise. Le « for interne » est le jugement d’un
acte par rapport à sa conscience personnelle. Le « for externe » correspond au
jugement d’un acte par rapport à des critères objectifs externes. Par
exemple, la confession relève du for interne. Cette distinction, issue du
vocabulaire ecclésiastique et du droit canonique, permet d’éviter des confusions,
de ne sanctionner que des délits correspondant à des actions effectives, et non
des délits d’opinions.
La
liberté de conscience au for interne
La
liberté de conscience porte d’abord sur le droit à la liberté religieuse au
for interne. Tout homme a droit à l’immunité de contrainte, une immunité
totale, en matière religieuse dans la vie privée. Aucune autorité, aucune
puissance ne peut nous forcer à prier dans notre foyer ou nous refuser de
prier.
Pour
l’Église, la contrainte pour forcer à croire est un mal, qu’elle a toujours condamné comme le
rappelle le pape Léon XIII : « C’est
d’ailleurs la coutume de l’Église de veiller avec le plus grand soin à ce que
personne ne soit forcé d’embrasser la foi catholique contre son gré, car,
ainsi, l’observe sagement Saint Augustin, l’homme ne peut croire que de plein
gré. »[8]
Ou, comme le dit Saint Thomas d’Aquin, si « croire est en effet le propre de la volonté »[9],
il n’est pas permis de forcer à croire car, quelle que soit la religion, elle
dénature l’acte de foi. Si elle n’est pas la vraie religion, cela est
encore plus condamnable. Saint Thomas interdit ainsi toute contrainte à la foi
aux païens et aux juifs pour qu’ils croient.
Cependant,
Saint Thomas ajoute que « les
fidèles doivent néanmoins les contraindre, si la chose leur est possible, pour
les empêcher de mettre obstacle à la foi par leurs blasphèmes, leurs mauvaises
persuasions ou par des persécutions ouvertes ». La véritable question
porte sur la liberté de conscience au for externe. Pour Saint Thomas d’Aquin, l’usage
de la contrainte en matière religieuse n’est justifié que pour éviter des
obstacles à la foi et la protéger. Dans la vie publique, la liberté de
conscience n’est pas aussi évidente. Nous devons alors faire une nouvelle
distinction selon le type de contraintes, celles qui forcent à agir et celles
qui empêchent d’agir.
La
liberté de conscience au sens moral
Pour
celui qui dispose d’une conscience éclairée, il est prédisposé à croire en Lui. Mais, tout homme a-t-il le droit
moral de croire ou de ne pas croire, de pratiquer tel culte à Dieu ou tel
autre ? Newman montre que l’homme doit se soumettre à sa conscience
puisqu’elle est le sanctuaire où résonne la voix de Dieu. Elle implique des
exigences. Ainsi, comme le demande aussi Saint Thomas d’Aquin, il y a un
impératif d’obéissance… Agir contre sa conscience reviendrait même à un
péché selon Saint Thomas.
Or,
comme ses prédécesseurs, le pape Léon XIII refuse que « chacun peut indifféremment, à son gré,
rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu »[11].
Cela signifie que nous n’avons pas la liberté morale d’adhérer à une fausse
religion, à la pratiquer et à la propager. En effet, la liberté morale se
réfère toujours à quelque chose de vrai ou de juste. « Le vrai et le faux ne peuvent avoir les
mêmes droits »[12].
Quelles que soient les décisions d’un État, il est ainsi moralement interdit de
tuer. S’il nous donnait la liberté de tuer une personne, quel que soit le motif,
nous ne pourrions moralement exercer cette liberté. Ainsi, au sens moral et
en matière religieuse, le seul droit dont nous disposons est de pratiquer la
vraie religion, c’est-à-dire de servir Dieu comme Dieu entend être servi.
Cela ne signifie pas que les personnes qui pratiquent une fausse religion
soient condamnables. Son erreur peut s’expliquer par un ensemble de
circonstances qui ne leur sont pas imputables.
La
question de la conscience erronée
Pouvons-nous
alors obéir à notre conscience qui nous demande de professer une fausse
religion ? Les positions de Newman et de Léon XIII sont-ils en effet conciliables ?
Ou dit autrement, la conscience peut-elle nous éloigner de la vraie
religion ? Ou encore, une conscience erronée nous oblige-t-elle ?
Selon
Saint Thomas d’Aquin et bien d’autres docteurs de l’Église, une conscience,
même erronée, nous oblige. Celui qui agit contre sa conscience agit mal.
Cela ne signifie pas que le jugement de la conscience est bon ou mauvais. Cela
ne signifie pas non plus que tout ce que nous croyons est vrai. La question
ne porte pas en effet sur le jugement de la conscience, c’est-à-dire sur la
connaissance, mais sur la volonté du sujet. Cela ne signifie pas non plus
que toute action conforme à la conscience de celui qui agit est bonne et que
par conséquent, elle est autorisée…
Une
volonté bonne ou mauvaise
Saint
Thomas d’Aquin nous rappelle que le bien et le mal appartiennent à la
volonté quand le vrai et le faux relèvent de la raison. La bonté de la
volonté dépend évidemment de son objet. Voler une banque est un acte mauvais,
aider son prochain, un acte bon. Mais comme la volonté tend aussi à un bien que
la raison perçoit, la bonté dépend aussi de la raison. Or, « toute volonté qui est en désaccord avec la
raison, que celle-ci soit droite ou erronée, est toujours mauvaise. »[13]
En effet, l’objet de la volonté n’est pas considéré suivant ce qu’il est dans
la nature, bon ou mauvais en soi, mais selon qu’il est perçu. Elle est ce que
la raison lui propose. C’est pourquoi la volonté est mauvaise quand elle
veut le mal perçu comme tel, non ce qui est mal en soi, mais ce qui est mal
d’après la raison. Si la raison présente une chose comme mauvaise, la volonté
serait mauvaise si elle se porte vers elle, non pas parce que la chose en
elle-même, c’est-à-dire par substance, est mauvaise mais parce qu’elle est
mauvaise d’après l’idée que s’en serait faite la raison, ou encore mauvaise par
accident.
La
conscience selon Saint Thomas d’Aquin
Or,
la conscience peut se tromper et être trompée. Ce qu’elle présente comme
bien peut être en effet faux. Le contraire est aussi possible. Saint Thomas
appelle « conscience erronée »
quand « elle vient à dire à
quelqu’un qu’il est tenu ex praecepto de faire ce qui est mauvais en soi, ou
qu’elle lui défende des choses qui sont bonnes en elles-mêmes. »[16]
Cependant,
que la conscience soit droite ou erronée, celui qui ne se soumet pas à sa
conscience agit mal. S’il choisit ce que sa conscience lui présente comme
un mal, alors il consent au mal et donc il commet une action mauvaise.
Il
ne s’agit pas de laisser toute personne agir selon sa conscience
Pour
Saint Thomas, le fait que la volonté soit conforme à la conscience, bien que
nécessaire pour que la volonté soit bonne, n’est pas en effet une
condition suffisante. Le jugement de conscience doit aussi être vrai. Finalement,
le simple fait que la volonté soit conforme à la conscience n’autorise pas à la
mettre en œuvre. Il serait donc absurde de laisser une personne commettre
quelques choses de mal, l’excuser ou la disculper, voire la soutenir, sous
prétexte qu’elle agit selon sa conscience, une conscience qui l’a jugée à tort comme
un bien. Ce serait même une très grave erreur puisqu’elle laisserait la
personne dans l’erreur au lieu d’éclairer sa conscience. Pourtant…
En
outre, si la raison ou la conscience est erronée sur des choses qu’elle est
tenue de savoir, la volonté qui est conforme à la raison ou à la conscience
erronée est alors mauvaise. En effet, le bien et le mal moral consiste dans
l’acte en tant qu’il est volontaire. Nous pouvons agir par ignorance. Cela
relève de l’involontaire. Mais si l’ignorance est voulue, soit directement
c’est-à-dire par un acte volontaire ou indirectement c’est-à-dire par
négligence, cela ne devient plus de l’involontaire. Parmi les choses à
connaître, Saint Thomas cite la loi de Dieu. Ainsi, une volonté qui est
conforme à une raison qui agit par ignorance volontaire ou par négligence est
mauvaise puisque son erreur provient d’une ignorance voulue.
Conclusion
La
liberté de conscience est liée à la connaissance. Si celle-ci est erronée, elle
peut conduire à des actes mauvais. Elle devient alors une liberté pour mal
agir. Comme le demande l’Église, la conscience doit donc être élevée, formée,
éduquée afin que la raison perçoive ce qui est bon et mauvais, qu’elle
sache faire cette distinction. Que servirait en effet notre liberté si elle
nous conduisait à la perte du véritable bien ?
Aujourd’hui
encore, que fait l’État en donnant libre accès dans les écoles à des idéologies
de toute sorte ? Elle tente de former la conscience des enfants et futurs
adultes afin que ce qui est mauvais en soi soit désormais perçu bon dans le
but de modifier leur comportement. De même, de manière insidieuse, les
médias les plus accessibles essayent de normaliser des choses mauvaises afin de
modifier la perception des individus et ainsi former les consciences à des
actes autrefois considérés comme mauvais, mais qui demeurent mauvais en soi.
Est-ce un hasard si les plus fragiles, les plus influençables commettent, sans
le savoir, des actes répréhensibles, voire abominables ? Le recours à
la liberté de conscience n’est finalement pour des idéologies qu’un moyen
simple et puissant pour s’imposer dans les esprits et transformer la société
selon leur bon vouloir, surtout lorsque se dissolvent les structures
capables de les éduquer comme la famille …
[1] Déclaration universelle des droits de
l’homme, article 18, phchr.org. L’article est repris dans la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne, Titre III, article 10,
Journal officiel de l’Union Européenne C 303/17, 14 décembre 2007,
european union agency for fundamental rights, fra.europa.eu.
[2] Dominique Avon, Liberté de conscience :
histoire d’une notion et d’un droit, Annuaire de l’École pratique des hautes Études, résumés des conférences et
travaux, 124, 2017, https://doi.org.
[3] Montaigne, Essai, II, 19.
[4] Kant, Lettre à Mendelssohn, 16
août 1783.
[5] Voir Émeraude, décembre 2019, article « Laïcité : la suprématie de l’État mais l’échec d’un idéal ». De nombreux articles
retracent l’histoire de la laïcité (août à décembre 2019).
[6] Voir par exemple ‘l’article de
Wikipédia sur la liberté religieuse, lu le 9 juin 2024. L’Église aurait considéré comme un
« délire » la liberté de religieuse. Or, les textes de référence
portent sur la liberté de culte.
[7] Voir encyclique Syllabus complectens praecipuos
nostrae aetatis errores, Syllabus sur les principales erreurs de notre
temps, Pie IX, n°79, 8 décembre 1864.
[8] Léon XIII, encyclique Immortale
Dei, 1er novembre 1885, vatican.va.
[9] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, II, II, 10, 8.
[10] Voir Émeraude, mai 2024, article « Le
développement de la doctrine chrétienne selon Newman », juin 2024, article
« La fonction religieuse de la conscience selon Newman »
[11] Léon XIII, encyclique Libertas,
20 juin 1888, vatican.va.
[12] Léon XIII, encyclique Libertas,
20 juin 1888, vatican.va.
[13] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, 1a 2ae, article 5, conclusion, trad. de l’abbé
Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com.
[14] « ce qui est dicté », cnrtl.fr.
[15] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, 1a 2ae, article 5, conclusion.
[16] Saint Thomas d’Aquin, Somme
théologique, 1a 2ae, article 5, conclusion.
[17] Louise Ferté, Au miroir de la liberté de
conscience : l’utopie laïque et son destin, dans Le
Télémaque, 2017/1, n°51, cairn.info.
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