Les
conservateurs comme les progressistes dénoncent les dangers de ce livre. Ils soulignent un abus excessif de la
méthode critico-historique appliquée à la Sainte Écriture, l’ambiguïté des
formules ou encore l’arbitraire de ses jugements. Ses défenseurs, plus nuancés,
notent effectivement des formules imprudentes, excessives ou encore équivoques
mais ils préfèrent mettre en valeur les intentions louables de l’auteur, les
perspectives qu’il propose ou encore sa
grande science mis au service de l’Église. Loisy comme son ami Mgr Mignot s’étonnent
même des attaques dont il fait l’objet.
Ses
amis pressent Loisy de répondre aux critiques par de judicieuses explications
et d’apaiser les craintes qu’il a soulevées. De même, en raison de formules ambigües,
ses critiques lui demandent de clarifier ses idées. C’est pourquoi Loisy finit
par publier un deuxième ouvrage intitulé Autour d’un petit livre. Mais, au
lieu d’apaiser les esprits, ce nouveau livre déclenche un véritable incendie. Loisy a jeté « un fagot de bois sec sur le brasier toujours ardent de L’Évangile et l’Église. »[2]
Dans
cet article, nous allons présenter le livre, notamment à partir de la thèse
d’Émile Poulat[3].
Il sera suivi d’un autre article dédié aux critiques.
Aucune
rétraction ni justification mais une confirmation
Dès
les premières lignes de l’avant-propos, le ton est donné : « l’auteur d’un petit livre qui a pour titre L’Évangile et l’Église croit avoir
observé assez longtemps le précepte du silence. Il parle maintenant. Ce qu’il
va dire n’est pas une apologétique ; car il estime que ni lui ni son œuvre
n’ont besoin de se justifier. »[4] Il refuse de répondre aux attentes de ses
critiques. Il leur livrera des remarques « sur ce qui s’est passé à propos du livre » et complétera des
points qu’il a seulement effleurés. Les lettres « tendent à éclaircir soit la question biblique, soit la méthode qui a
été suivie » dans son livre, « soit quelques sujets importants qui ont été à peine abordé dans ce
livre, à savoir l’origine et l’autorité des Évangiles, la divinité de
Jésus-Christ, ou qui y ont été sommairement traités, comme l’institution de
l’Église et des sacrements, l’autorité des dogmes. » Loisy poursuit donc sa méthode.
L’Évangile et l’Église, un livre historique…
Droit
et devoir de l’historien
S’il
devait satisfaire ceux qui le blâment, « il aurait dû remplacer bien des opinions qu’il croit historiquement
vraies, par d’autres qu’il croit fausses et qui peut-être le sont. » Ce qui est vrai selon l’enseignement
catholique peut être fausse historiquement. « Il ne peut regretter de n’avoir pas su mentir pour complaire à une
autorité », une autorité qui refuse de voir « la situation faite à l’exégèse, à
l’apologétique, à la théologie catholique, pas les progrès de la critique
scripturaire et le mouvement général de la science moderne. »
Un
état intellectuel intenable pour les catholiques
Or,
tous ceux qui veulent faire évoluer la situation sont traqués et pourchassés
dans l’indifférence des autorités ecclésiastiques. Loisy demande donc de
« traiter scientifiquement tous les
problèmes que la science non catholique a soulevés à propos de la religion. »
Si les résultats sont encore imparfaits, il faut néanmoins essayer de réussir
avant que la situation ne soit intenable.
Une
situation qui trouble la foi des fidèles
Loisy
dénonce « le silence ou la réserve
des savants catholiques sur certaines questions particulièrement délicates »
que se posent nos contemporains qui trouble
gravement la foi des fidèles sur les dogmes fondamentaux de l’enseignement
catholique. N’ayant pas de réponse, ces fidèles s’instruisent auprès des
livres protestants et incrédules. « L’attitude
même de certaines autorités ecclésiastiques peut les induire à penser que la
croyance officielle de l’Église est en contradiction avec l’histoire, que la
foi catholique est incompatible avec la connaissance de la vérité sur les
origines du christianisme. »
Les
fidèles ne peuvent plus concilier des vérités que les théologiens jugent
absolues et universelles et ce qu’ils peuvent lire dans la Bible, l’évolution
historique de la doctrine chrétienne avec son immutabilité que semblent
défendre les théologiens. Et ces
contradictions ne cessent de croître en raison de la progression de la
connaissance de l’univers et celle de l’antiquité.
Loisy
se défend d’avoir traité qu’une partie de ces inquiétudes. Son livre ne porte
que sur « le rapport historique de
l’Église à l’Évangile. » Ou plus exactement, « il s’agit maintenant, en effet, de voir
comment l’Évangile, qui annonçait le prochain événement du royaume de Dieu, a
produit la religion chrétienne et l’Église catholique. » À ce
problème, il existe une réponse toute
faite : Notre Seigneur Jésus-Christ a tout produit. Loisy ne peut défendre cette réponse. Pour l’historien, il est évident que
l’Église est le produit d’« une
évolution nécessaire ». Ainsi, « l’inquiétude de la foi, sur ce point particulier, résulte de
l’incompatibilité qui apparaît entre la réponse toute faite, dont on vient de
parler, et la réalité de l’histoire. »
Le
nécessaire redressement intellectuel
Loisy
se propose donc de « rassurer la foi
des catholiques » en expliquant
le mouvement chrétien à partir de l’Évangile, « en découvrant au croyant la puissante vitalité de la doctrine et la
possibilité de son progrès », « en interprétant l’Évangile et les documents de l’antiquité
ecclésiastique selon les règles que l’on a maintenant coutume d’appliquer à
tous les textes humaines », « en
tenant compte du mouvement de la pensée contemporaine dans l’ordre
philosophique », … Cependant, Loisy avertit ses lecteurs que cette
explication va leur poser « des
problèmes nouveaux et déconcertants pour leur foi. » Mais aurait-il
honte de laisser « les âmes
simples dans la paisible possession de leur croyance » quand on
n’a aucune crainte de scandaliser les savants ? Son livre n’est pas pour ceux qui veulent demeurer dans leur ignorance.
Loisy
finit par définir le véritable enjeu de son action : « le régime intellectuel de l’Église. »
Le catholicisme est voué « à un
affaiblissement incurable et à une ruine fatale, tant que l’enseignement
ecclésiastique semblera vouloir imposer aux esprits une conception du monde et
de l’histoire humaine qui ne s’accorde pas avec celle qu’a produite le travail
scientifique des derniers siècles », tant que les théologiens n’auraient pris en compte les évolutions
scientifiques, tant que les savants ne
seront pas libérés de leurs entraves. Finalement, le catholicisme est voué
à l’échec s’il se présente toujours « sous
les apparences d’une doctrine et d’une discipline opposées au libre essor de l’esprit humain, déjà minées par la science,
isolées et isolantes au milieu du monde qui veut vivre, s’instruire et progresser en tout. » Finalement, le débat porte sur une conception du monde
et de l’histoire qui ne correspond pas aux connaissances acquises et
que l’enseignement catholique persiste à maintenir.
Un
programme d’une réforme de fond
Les
sept lettres qui suivent l’avant-propos sont adressées à des personnages, que
désignent des fonctions ou des titres. La première revient sur L’Église
et l’Évangile quand les autres traitent ou approfondissent des sujets
qu’il a brièvement abordés dans son livre. La première lettre est la plus instructive :
elle définit et justifie la méthode qu’emploie Loisy.
Première
lettre : sur l’origine et l’objet du petit livre
Le
livre de Harnack a été accueilli avec ferveur par la jeunesse catholique et
avec satisfaction par des ecclésiastiques sensibles au mouvement des idées et
des sciences. Ainsi, dans le milieu catholique, « l’ouvrage de M. Harnack a rencontré plutôt crédit que réserve et
défiance », sans y voir les faiblesses de son système ni l’esprit
foncièrement anticatholique. Loisy
dénonce ainsi ceux qui auraient dû dénoncer cet ouvrage, peut-être par
ignorance du péril, par incompétence ou par crainte du défi. Il a « eu honte, pour l’Église de ce silence
humiliant. » Loisy n’a pas voulu se taire. Mais, l’enseignement ordinaire de l’Église est impuissant pour s’opposer à
Harnack. Ce n’est que des « constructions
doctrinales qui n’ont l’apparence de l’histoire. » Or, il devait
« aborder ce sujet en historien. »…
Du
périmètre de l’histoire
Le
débat porte donc sur « des faits
historiques, du fait évangélique, du fait ecclésiastique, et du rapport que
l’historien perçoit entre l’un et l’autre. » Son but est de montrer
que les faits évangélique et ecclésiastiques sont « connexes, homogènes, intimement liés, ou plutôt qu’ils sont le même
fait dans son unité durable » alors que Harnack soutenait qu’ils
étaient étrangers. Loisy se place donc au point de vue de l’historien. Il affirme alors ne vouloir contester aucun
dogme.
De
même, un dogme ou une définition
ecclésiastique ne peut être démontré par l’histoire puisqu’ils sont un produit
de l’histoire, du développement du christianisme dont il s’agit de prouver.
La démonstrabilité d’un fait qui est objet de foi est un présupposé aux
définitions. « On peut éclairer la
foi par l’histoire, mais non pas fonder l’histoire sur la foi. »
La
méthode historique
Comme
tout fait historique, l’historien se reporte aux anciens documents pour
l’analyser selon son caractère et sa signification propre. Il n’est pas
concevable d’interpréter une texte en s’appuyant sur une interprétation
postérieure à sa rédaction. « Le
sens des textes évangéliques est indépendant de l’interprétation qui en a été
donné plus tard, au moyen d’une philosophie religieuse qui n’est pas dans la
prédication de Jésus. » De même, « pour la critique », il serait arbitraire, voire faux, d’« interpréter les textes d’après ce qu’on sait
maintenant du passé de l’Église. » Car les définitions dogmatiques sont le produit d’un développement qui a
son germe dans l’Évangile, c’est-à-dire « de choses ou d’idées rudimentaires dont on discerne les traces dans le
Nouveau Testament. » Elles ne sont qu’à l’état d’embryon. Cela ne
compromet pas la légitimité de ce développement mais cela évite à l’historien
de commettre des anachronismes.
Une
nouvelle méthode pour répondre aux besoins des catholiques
Or,
« les jeunes intelligences que
l’on façonne partout à une connaissance réelle de l’univers et de l’humanité
ont besoin d’une connaissance tout aussi réelle de la religion que l’on veut
leur inculquer. » C’est pourquoi « une conception non historique de l’Évangile choque tout naturellement
des esprits qui ont quelques expériences de l’histoire. » La jeunesse
est bien au centre des préoccupations du débat comme l’a bien compris Harnack.
Le
livre L’Église et l’Évangile ne peut donc qu’inquiéter et effrayer
ceux qui « ne peuvent ou ne veulent
se figurer le présent et l’avenir du catholicisme que sous la forme immobile et
convenue d’un passé qui n’a point existé. » Le livre n’a pas pour but
de mettre fin à l’enseignement catholique mais d’en retirer ce qui est faux et d’en garder ce qui est vrai. Ainsi, est-il œuvre de vie et
d’espérance.
La
seconde lettre : la question biblique
Loisy
définit les rôles et les devoirs
respectifs du théologien et du critique. « Ce n’est pas à l’historien, s’il est seulement historien, qu’il
appartient de se prononcer sur le fond de la religion et sur l’objet de la
révélation. […] Que le
théologien, de son côté, cesse d’identifier l’histoire avec la théologie et de
considérer ses spéculations comme la forme unique, adéquate et immuable, de la
connaissance religieuse et de la science de la religion. » La critique
ne peut formuler des conclusions de foi comme le théologien ne peut affirmer
des conclusions de l’histoire.
Si
la théologie voit son domaine se rétrécir, elle acquiert de nouvelles
capacités. Pour cela, la théologie doit développer la tradition dans le temps
sans la fixer. La tradition doit-elle se rajeunir en prenant en compte la
critique ? La critique, doit-elle l’accueillir tout en étant respectueuses
des droits du théologien ? Ou les deux disciplines sont-elles
étanches ? Ou enfin, Loisy, accepte-t-il un système de deux vérités :
faux pour la critique mais vrai pour la foi ? Loisy n’aborde pas ses
questions qui se dégage pourtant de sa réflexion. Tout au long du livre, il
donnera pourtant des réponses…
Troisième
lettre : sur la critique des Évangiles
Loisy
défend la pleine et entière liberté du
critique catholique « dans ses recherches
et dans l’analyse historique des livres saints » à l’identique des
savants non-catholiques. Les « lois
de la critique sont les mêmes pour tout le monde. » Par
conséquent, non seulement, il n’y a point de spécificités ni de privilèges pour
le savant catholique quand il étudie un texte sacré mais aussi celui-ci doit
être étudié comme tout texte historique.
Selon
Loisy, l’Évangile selon Saint Jean est uniquement une œuvre de foi,
entièrement symbolique, où le souci de représentation s’efface au profit du
souci de signification, contrairement aux trois autres qu’il qualifie
d’historiques. Néanmoins, ceux-ci ne sont pas soucieux de l’exactitude
historique. « Ils visaient à
produire la foi et ils interprétaient l’Évangile en le racontant. »
Enfin, fruit d’un travail de rédaction et œuvres composites, ils ne se
présentent pas comme des récits immédiats et équivalents de l’Évangile oral.
Quatrième
lettre : sur la divinité du Christ
En
tant qu’historien et selon les faits qu’il constate dans l’Évangile, Loisy
trouve chez Saint Pierre et Saint Paul une
distinction entre le Christ de l’histoire et le Christ de la foi. Notre
Seigneur Jésus-Christ a vécu dans la conscience de son humanité et de sa
vocation messianique. Mais, la définition formelle de sa divinité s’est dégagée
progressivement dans la conscience de la tradition chrétienne de la notion de
messie où elle existait en germe, et de l’influence divine que le Christ
exerçait sur les croyants. « Aucun
principe de théologie, aucune définition de l’Église n’obligent à admettre que
Jésus en fait la déclaration formelle à ses disciples avant sa mort. »
Cette révélation est l’œuvre du Saint Esprit par un effort contenu de la foi
pour saisir de mieux en mieux un objet qui les dépasse, ce qui explique les
hérésies sur ce sujet dès le début du christianisme. Ainsi, « la divinité de Jésus n’est pas un fait de
l’histoire évangélique dont on puisse vérifier critiquement la réalité, mais la
définition du rapport qui existe entre le Christ et Dieu, c’est-à-dire une
croyance dont l’historien ne peut que constater l’origine et le développement. »
Or cette croyance est absente dans l’enseignement de Jésus mais seulement
présente dans le quatrième évangile, texte qui ne relève pas de l’histoire. En
outre, Loisy ne voit néanmoins aucune continuité entre l’expression que Jésus
s’est donnée de lui-même et la formulation du dogme. Bien que cette conclusion ne correspond pas à l’enseignement
catholique, Loisy ne juge pas que cela puisse troubler la foi. « La christologie n’a pas besoin d’être
enseignée expressément par Jésus pour être vraie. »
La transformation
de notre société soulève de nouveau le problème christologique. Les connaissances actuelles
impliquent aux croyants de renouveler sa conception religieuse par la critique
de certaines idées, comme celle de la création, de la révélation ou encore de
l’incarnation. Pourtant, Loisy demande de conserver ce qui est acquis mais de traduire nos définitions dans une langue
compréhensive par nos contemporains. Il est difficile de bien saisir
l’intention de Loisy. Veux-t-il modifier les formules ou les idées qu’elles
définissent ? La critique qu’il demande porte en effet sur l’idée et non
sur sa formulation.
Cinquième
lettre : sur l’Église
Mais
Loisy refuse cette conclusion. En tant qu’historique, l’Église n’est pas
l’œuvre du Christ de l’histoire mais de Notre Seigneur Jésus-Christ ressuscité,
lui aussi objet de foi. « C’est
la continuité de la foi qui fait pour l’historien la continuité de l’Évangile
et de l’Église. » D’autres points fondamentaux comme la primauté du
pape ne découlent non plus de l’Évangile mais de la foi. « La considération historique de l’Écriture ne
compromet pas plus l’autorité de l’Église qu’elle ne mine tout autre élément du
christianisme vivant. Elle ne détruit qu’une chose, le mirage du raisonnement
par lequel on croyait déterminer d’une manière absolue, en partant d’un texte
biblique, la forme nécessaire et immuable du pouvoir ecclésiastique et que
celle-ci eût été perpétuellement réalisée. » Loisy en conclue que l’Église peut encore évoluer suivant
les progrès généraux de l’humanité civilisée et « sous l’influence de nécessités relatives ».
Sixième
lettre : sur les dogmes
Loisy y voit un
avantage : l’accord du dogme et de la science. L’impossibilité de cette
conciliation souvent soulignée ne s’explique que par l’attitude des théologiens
qui s’opposent au mouvement de la science et n’attendent rien du progrès des
connaissances comme si la théologie est « en état et en droit d’exercer un contrôle direct et absolu sur tout le
travail de l’esprit humain. » Cette prétention crée « un danger permanent pour la foi de quiconque
réfléchit un peu sur ce qu’on lui enseigne au nom de Dieu, auteur de la Bible
et de l’Église, son interprète infaillible. »
La
conciliation entre la foi et la science s’opère par une nouvelle attitude de l’Église à l’égard du progrès au niveau des
croyants et non de l’autorité. « L’accord
entre la foi et la science est toujours à réaliser ; il ne se fait point
par décret de l’autorité, mais il s’accomplit et se perfectionne peu à peu par
la bonne volonté des croyants qui étudient, des savants qui croient. »
Septième
lettre : sur l’institution des sacrements
Loisy
présente pour chaque sacrement ce que nous apprend l’histoire. « La conception systématique d’un programme
cultuel dressé par Jésus lui-même avant sa passion, et où les sept sacrements
auraient eu leur place déterminée, avec indication de ce que la théologie
scolastique a voulu appeler leur matière et leur forme, ne résiste pas à la
critique. » Selon ces
résultats, l’historien ne peut plus confondre le point de vue historique et
celui de la spéculation théologique, « la vérité de l’histoire, chaque jour mieux connue » et « la
donnée théologique matériellement comprise ». Loisy souligne donc
l’abîme qui existe entre l’enseignement de l’Église et les leçons de
l’histoire. Pourtant, il pense que rien n’empêche de maintenir la doctrine
sacramentelle.
Conclusions
Contrairement
au livre L’Évangile et l’Église, volontairement plus discret, Autour
d’un petit livre insiste plus sur l’écart qui existe entre les
résultats de l’histoire et l’enseignement catholique, faisant ainsi nettement
éclater les insuffisances criantes de la théologie. Constatant leur ignorance,
leur paresse intellectuelle et leur autosuffisance, Loisy demande aux
théologiens de rénover leur science en
abandonnant leurs préjugés. La foi, les dogmes, l’orthodoxie ne
peuvent donc plus se confondre avec une telle théologie. Entre la vérité historique et la vérité théologique, c’est bien la
première qui doit s’imposer sur la seconde contrairement à ce qu’il énonce. C’est
ainsi que, jamais, ce qui juge faux du point de vue de l’histoire, Loisy ne le
considère vrai pour la foi. Il ne le considère que comme un témoignage de la
foi ou « vraie, d’une certaine
mesure, pour la foi ». Ou encore, selon la nature des faits, comme la
divinité du Christ ou sa résurrection, il les considère comme ne relevant pas
de l’histoire. Ce n’est point sa divinité qui est historique mais la foi en sa
divinité. C’est une évidence pour lui. Ainsi, l’historicité de faits de la Sainte Écriture est soit niée soit
modifiée dans sa représentation.
Finalement,
à côté du Christ de la foi, objet de
foi, se présente distinct le Christ de l’histoire, objet d’histoire, un Christ
terriblement diminué. Mais le Christ de la foi n’est pas non plus celui de
la théologie puisque, avant tout développement de la théologie, il croit
constater à la fois un développement de la foi et une action de la foi. La foi
agit sur la représentation du Christ, c’est-à-dire sur son idéalisation, et sur
le développement de l’institution chrétienne, sous l’effet conjugué des circonstances
et de sentiments religieux. Mais, l’idéalisation s’est-elle développée au fur
et à mesure des faits historiques comme support objectif de la foi ou la
perception de la réalité historique s’est-elle nourrie de cette
idéalisation ?...
Enfin,
après avoir montré à plusieurs reprises l’abîme qui existe entre l’histoire et
la théologie au profit de la première, il est difficile de maintenir la
distinction entre deux disciplines, disciplines qui seraient d’égale valeur,
chacune relevant d’un périmètre donné, chacune ayant sa fonction propre, comme
l’affirme pourtant Loisy. Nous en concluons que la théologie est finalement subordonnée, et non associée, à l’histoire.
Si le seul devoir qu’il demande à l’historien est de lui donner une attention
particulière en tant qu’elle est normative à la croyance ou encore un aspect du
christianisme, il exige du théologien de prendre en compte les résultats de
l’historien et d’adapter son enseignement à ses résultats. C’est pourquoi, en
raison de la supériorité de l’histoire sur la théologie, Loisy veut l’émancipation de l’historien de la tutelle
anachronique du théologien.
Notes et références
[1] Voir Émeraude, décembre 2023, À l'origine du modernisme : L'Évangile et l'Église d'Alfred Loisy.
[2] Félix Klein, La route du petit Morvandiau, tome VI.
[3]
Émile
Poulat, Histoire, dogme, critique dans la crise moderniste, 1ère
partie, Albin Michel, 3e édition, 1996.
[]
Loisy, Autour d’un petit livre, Avant-propos, première édition, éditeurs
Alphonse Picard et fils, 1903, gallica.fr. Toutes les citations
viennent de cet ouvrage.