L’objet
de la nouvelle division que connaît de nos jours l’Eglise porte sur la Sainte Messe. Depuis presque
soixante ans, le monde assiste à un triste spectacle, douloureux et amer pour
les fidèles, ironique et plaisant pour leurs adversaires. Messe de Saint Pie V
ou de Paul VI, messe traditionnelle ou moderne, les catholiques se déchirent
sur un sujet qui, sans-doute, est bien éloigné des préoccupations de nos
contemporains et leur paraît alors désuet et ridicule, mais surtout incompréhensible tant l’ignorance est
grande. Régulièrement, au gré d’un décret pontifical, la division se relâche ou
se durcit, l’intransigeance des uns radicalisant souvent les autres, apportant alors
une plus grande confusion. La Sainte
Messe fait aussi l’objet de division
entre les catholiques et les protestants sans cependant en être le point
principal.
Pour
bien comprendre ces divisions, nous devons d’abord nous poser la question de la
définition de la sainte messe : qu’est-ce
qu’en effet la sainte messe ?
Une
commémoration ?
Selon
un dictionnaire commun, la messe est « une
célébration catholique qui commémore le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix. »[1] La
plupart de nos contemporains pensent sans-doute qu’elle n’est qu’une commémoration, c’est-à-dire une
cérémonie destinée à rappeler le souvenir d’un événement passé, celui de la crucifixion de Notre Seigneur
Jésus-Christ, à l’image de cérémonie du 11 novembre qui commémore
l’armistice de la première guerre mondiale.
Selon
un dictionnaire plus spécialisé, la messe est définie comme la « principale célébration du culte chrétien,
commémorant le repas de la Cène et le sacrifice du Christ. »[2] Cette
définition précise d’abord qu’elle est un
élément principal du culte chrétien. Selon le même dictionnaire, le culte
est l’« hommage rendu à Dieu et à
ses saints, au moyen de pratiques rituelles définies par la liturgie. »
Le terme de « messe » est en
effet souvent associé à un rite et à une liturgie. La définition rajoute
qu’elle commémore aussi le repas de la
Cène, c’est-à-dire le dernier repas pris par Notre Seigneur Jésus-Christ
avec ses Apôtres la veille de sa mort sur la Croix.
Un
sacrifice chrétien ?
La Sainte Messe
selon l’enseignement du Concile de Trente
Ainsi,
dans la Sainte Messe, est offert un
sacrifice véritable, réel, visible. Elle ne se réduit pas à un simple
souvenir du sacrifice de la croix. Elle n’a non plus pour but de rassembler la
communauté des fidèles dans un repas fraternel. Elle n’est pas enfin un simple
acte de cette même communauté. Le concile de Trente condamne toutes ces idées
réductrices de la Sainte Messe
« Recevez,
ô Père céleste, Dieu éternel et tout-puissant, cette hostie sans tâche que moi,
votre indigne serviteur, je vous offre à vous, qui êtes mon Dieu vivant et
véritable, pour mes péchés, mes offenses et mes négligences sans nombre, pour
tous ceux qui qui sont ici présents et pour tous les fidèles vivants et morts,
afin qu’elle serve à mon salut et au
leur pour la vie éternelle. Ainsi soit-il. »[7]
Enfin,
c’est lors de la double consécration qu’a lieu le sacrifice non sanglant. Pour
qu’elle ait lieu, il est requis le
ministre compétent, les paroles de
la consécration et l’intention de
celui qui dit les paroles indépendamment des fidèles qui y assistent.
La
messe selon Luther
Luther
considère en effet que les prêtres ont développé une sorte de rite sacrificiel
païen par lequel nous serions censés fléchir Dieu en notre faveur et acquérir à
ses yeux un certain mérite. Il rejette
donc l’idée de toute sacrifice propitiatoire. Sa position correspond à sa
doctrine selon laquelle tout homme n’a aucun pouvoir pour mériter son salut. La
justification n’est opérée que par la grâce seule. Il est donc inutile d’offrir
un sacrifice à Dieu pour expier ses fautes et obtenir le salut. L’idée d’un
sacrifice propitiation est même impie…
Luther
définit le rôle du culte. Celui-ci consiste à reconnaître que Dieu est le
premier artisan de notre salut et à croire en Lui. Il considère donc que le vrai culte, c’est la foi elle-même. Le
but de la messe est donc d’instruire les fidèles et de leur rappeler le
sacrifice du Calvaire afin de provoquer
l’acte intérieur de foi.
Luther
ne supprime pas la messe mais il la transforme progressivement pour revenir à
« l’institution simple et originelle »
de la Cène. Ainsi, ne supportant pas le terme de « messe », il parle de « cène » afin de bien signifier le centre de la cérémonie. Il a
donc élaboré une nouvelle célébration,
supprimant dans la messe traditionnelle tout ce qui peut rappeler l’idée de
sacrifice, distraire les regards et l’attention du fidèle vers « la pure institution du Christ lui-même »,
c’est-à-dire les vêtements sacerdotaux, les ornements, les chants, les prières
et « toute cette mise en scène qui
frappe les yeux. » En raison des nouveaux buts à atteindre, la prédication trouve une place
prépondérante pendant le culte ainsi que l’usage des langues vernaculaires.
Cependant,
Luther croit en la présence réelle de
Notre Seigneur Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin. Il ne l’a
jamais remise en cause. Mais, au lieu de parler de « transubstantiation », il parle de « substantiation ». Le pain et le vin restent pleinement pain et
vin tout en étant pleinement chair et sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. Dans
la transubstantiation, toute la substance du pain et celle du vin sont
transformées en corps et sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi, dans la
Cène, il maintient certaines pratiques
comme les agenouillements du communiant, l’usage de la clochette au moment de
la consécration et l’élévation des saintes espèces. Ces pratiques seront
ensuite supprimées par les luthériens…
La
Cène selon Calvin et Zwingli
Zwingli
défend aussi l’idée de la présence spirituelle de Notre Seigneur Jésus-Christ
dans la vie et le cœur des fidèles qu’exprime la célébration de la Cène grâce à
l’action du Saint Esprit. Par conséquent, le pain et le vin ne sont que des signes ou des symboles de son corps
et de son sang.
Rupture
de culte entre catholiques et protestants
Au
XVIe siècle, la messe divise profondément les catholiques et les protestants ainsi
que les luthériens, les calvinistes et les disciples de Zwingli. Le sens de la messe et la réalité de la présence réelle sont
les deux points qui séparent radicalement les catholiques et les protestants.
Finalement,
en raison de leur divergence doctrinale
sur le salut et la justification, les catholiques et les protestants ne peuvent
concevoir un même culte qui, justement, exprime ce qu’ils croient. Par
conséquent, il est évident que les pratiques rituelles, les gestes, les
prières, et tout ce qui entre dans « la
mise en scène » demeurent très différentes. Il suffit d’assister à ces
cérémonies pour en remarquer les différences substantielles. Finalement si la messe
n’est pas un point central de la division entre les catholiques et les
protestants, elle est un signe éclatant
de leurs divergences doctrinales profondes. Par conséquent, tout œcuménisme est
voué à l’échec si elle ne consiste qu’à travailler sur le signe.
Et
la nouvelle messe ?
De
nos jours, nombreux sont les catholiques qui ne voit dans la Sainte Messe que
« le banquet sacré »,
oubliant le sacrifice qui lui est inséparable. Il est difficile de leur jeter
la pierre quand les évolutions qui ont
conduit à nouvelle messe tendent à effacer les signes du sacrifice et à mettre
en exergue les aspects du banquet. Ce n’est pas un hasard si désormais, au
lieu d’employer le mot « autel »,
celui de « table » est
préféré, ou que dans l’explication de la nouvelle messe, le mot « sacrifice » n’est plus employé.
Nous
pouvons trouver d’autres définitions encore plus troublantes qui exclut même toute
idée de sacrifice. « La messe est
une réunion des chrétiens au cours de laquelle on partage la Parole de Dieu et
on célèbre l’eucharistie. »[9] La
répartition de la nouvelle messe en deux parties, la liturgie de la parole et
la liturgie eucharistique, semble confirmer cette définition erronée, voire
condamnable, puisque l’idée même qu’elle s’agit d’un sacrifice n’est plus
rappelé. La disparition de l’« offertoire »,
qui, justement souligne dans la messe traditionnelle l’aspect sacrificiel de la
Sainte Messe, tend encore à réduire cette idée. En outre, en cherchant
davantage la participation des fidèles, la pratique rituelle est davantage tournée
vers eux. Toutes ces nouvelles orientations impliquent nécessairement une représentation plus faible du sacré et
donc de la présence divine. Il suffit d’assister à une messe de Paul VI
pour constater rapidement cette absence. Nous pouvons donc comprendre sans
difficulté que cette conception de la messe et la pratique rituelle qui en
résulte puisse fait l’objet de trouble et de dissensions au sein des
catholiques. L’anarchie de la liturgie qui a accompagné la réforme liturgique
n’a fait qu’accentuer la division…
Conclusions
En
raison de leurs doctrines, les différents mouvements protestants ont mis en
place un nouveau culte qui les sépare encore plus des catholiques. Signe de
leur croyance, la Cène est différente substantiellement de la Sainte Messe. La loi de la foi établit ainsi la loi de la
liturgie. Il ne peut donc y avoir unité des chrétiens dans le culte si la
foi n’est pas une. Le retour de l’unité passe nécessairement par un retour à la
foi sans chercher vainement à unir les chrétiens dans le même culte.
Or,
en 1969, l’institution de la nouvelle messe fait évoluer le sens de la messe
pour insister davantage sur l’Eucharistie au détriment de l’idée de sacrifice
au point que de nos jours, l’idée de sacrifice n’est plus qu’un vague souvenir.
Bien plus tard, le catéchisme de l’Eglise catholique a donné une définition de
la messe qui diffère celle du Concile de Trente, l’orientant davantage vers le
« banquet sacré », alors
que le deuxième Concile de Vatican n’a demandé aucun changement substantiel de
la Sainte Messe. Les définitions qui fleurissent ici et là au sein de l’Eglise
vont même à l’encontre de la doctrine du Concile de Trente. La loi de la liturgie finit ainsi par
établir la loi de la foi. C’est pourquoi encore aujourd’hui la nouvelle
messe fait l’objet d’une division au sein des catholiques, non pas par un
attachement nostalgique ou par un sentiment de piété quelconque, mais en raison
même de la doctrine qui fonde les évolutions, doctrine qu’aucun concile n’a
proposée, bien au contraire. Le refus de
voir ces changements doctrinaux ne permet pas alors d’identifier les causes
de la crise actuelle et par conséquent de les résoudre. Une meilleure
connaissance de la Sainte Messe et une clarification de ce qu’elle est permettraient
déjà d’éviter des confusions malheureuses et des erreurs afin de retrouver le
véritable sens du culte chrétien.
[1] Larousse de poche, mot
« messe », 2003, Larousse.
[2] Vocabulaire historique du
christianisme, mot « messe », 2004, Armand Colin.
[3] Boulenger, Dictionnaire
de culture religieuse et catéchistique, article « messe », Imprimerie Jacques et
Démontrond, 1938.
[4] Boulenger, Dictionnaire
de culture religieuse et catéchistique, article « oblation ».
[5] Boulenger, Dictionnaire
de culture religieuse et catéchistique, article « oblation ».
[6] Concile de Trente, 22ème
session, Doctrine et canon sur le sacrifice de la messe, chapitre 2, 17
septembre 1562, Denzinger 1743.
[7] Prière
Suscipe de l’Offertoire de la messe traditionnelle, Missel 1962.
[8] Catéchisme de l’Eglise catholique,
2ème partie, 2ème section, chapitre Ier, article 3,
chapitre VI, n°1382, vatican.va.
[9] Père Yves
Combeau, « La messe, qu’est-ce que c’est ? »,
30 août 2022, lejourduseigneur.com.
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