Il est vrai que depuis le XXe siècle, le mourant est entièrement pris en charge par l’institution hospitalière. Rares sont ceux qui ont eu le privilège de mourir chez eux auprès de leurs proches. Souvenons-nous de ces mesures détestables qui ont empêché une mère ou une épouse d’accompagner son enfant, son mari dans ses derniers soupirs ! Elles n’ont guère soulevé l’indignation générale. Puis dès que la vie le délaisse, le corps est aussitôt aux mains d’une entreprise funèbre qui veille sur tout jusqu’à son enterrement au prix d’une carte d’offres incroyables. Elle peut proposer une cérémonie funèbre, avec musique, lecture et méditation, pour accompagner les derniers instants où le corps demeure encore avec les vivants. Mais quelle profonde tristesse avons-nous éprouvé en assistant à un tel simulacre ! La mort, un objet médical, un produit de pure consommation...
Le
chrétien éprouve aussi une certaine angoisse devant la mort comme le témoigne
Saint Augustin[2]
mais son cœur demeure en paix. Il ne
la renie pas. Il ne l’exclut pas non plus de son existence. Comment pourrait-il
vivre sans elle quand devant lui se dresse la croix de Notre Seigneur
Jésus-Christ ? Ne croyons pas que sa vie soit morbide ou qu’il soit hanté
par la mort. Ce serait ne rien comprendre à ce qu’il croit et aime, à ce qu’il
est. Pour bien comprendre la place que la mort occupe chez le chrétien, nous
allons désormais présenter rapidement la
conception chrétienne de la mort …
La
mort physique, un mal douloureux inévitable
Mort de saint Guthlac XIIe siècle |
Pour
le chrétien, la mort est avant tout la séparation
de l’âme et du corps. Comme nous l’avons longuement expliqué dans nos
articles, l’Église enseigne en effet que l’homme est l’union d’un corps et
d’une âme[4], d’une
âme qui est le principe de vie du corps. L’homme meurt donc quand ce qui le
compose se désunit. La mort ne se réduit donc pas à la privation de vie mais elle
est surtout la fin de l’homme telle qu’il est, c’est-à-dire son
anéantissement par la séparation de ce qu’il est, âme et corps. Elle met donc fin à sa nature humaine.
La mort est donc un mal en soi. Ce n’est ni une maladie
ni un accident. La maladie ou l’accident peut nous conduire à la mort mais ils
ne sont pas la mort. Quelles que soient
les circonstances qui conduisent à la séparation de l’âme et de du corps, la mort ne peut donc qu’être douloureuse,
physiquement et moralement, comme tout rupture. Elle est une violence à ce
qui fait que l’homme est homme.
Cet
anéantissement nous fait alors naturellement peur. Comment pouvons-nous ne pas
craindre cette déchirure qui n’épargne personne ? Tout homme connaîtra la
mort, quels que soient sa richesse, son rang social, sa gloire terrestre, etc. Et
elle est unique. La mort ne le frappe en effet qu’une fois puisqu’« il est arrêté que l’homme meurent une fois »
(Épitre
aux Hébreux, IX, 27). Et rien ne peut empêcher qu’elle le frappe.
C’est donc un fait unique et
incontournable dans son existence. L’homme
est finalement impuissant devant la mort.
« Un homme lorsqu’il est mort et dépouillé et consumé, où est-il, je vous prie ? »(Job, XIV, 10) Que deviennent en effet le corps et l’âme quand ils se séparent ? Sans la vie pour l’animer, de nature matérielle, le corps n’est plus que cadavre enclin à la corruption et à la décomposition de la chair. De nature spirituelle, l’âme demeure incorruptible et immortelle. Elle continue donc à être, mais sans lien avec le corps avec lequel elle était unie. La question est donc de savoir où va l’âme quand elle se détache du corps.
En
fait, la véritable question que pose le chrétien est différente. Il ne s’agit
pas pour lui de savoir où elle va mais dans quel état elle est quand survient
la mort. En effet, cet état détermine sa prochaine demeure et surtout ce
qu’elle va devenir. Car la mort n’est
pas une fin…
La mort ou la vie spirituelle
Quand la mort frappe l’homme, dans l’état où elle est, l’âme se détache du corps et continue à exister hors du corps pour connaître un sort en fonction de la mesure de la vie spirituelle qui réside en elle. Si elle est dans un état de mort spirituelle, elle sombre dans les ténèbres infernales de manière irrévocable. Elle est consumée de douleurs tout en demeurant ce qu’elle est. Si au contraire, la vie divine est encore en elle lorsque la mort survient, elle connaîtra la paix et la joie éternelle ou encore une souffrance purifiante. Ainsi, selon son état au moment de la mort physique, l’âme est en enfer, au paradis ou au purgatoire.
Lorsqu’elle se détache du
corps, l’âme n’est ni dans l’ignorance, ni dans une sorte d’abêtissement. Elle paraît devant Notre Seigneur
Jésus-Christ qui la juge selon ses œuvres, selon le bien et le mal qu’elle
a commis. Dans une vive lumière, elle prend parfaitement conscience de tous les actes de sa vie avec toutes les
circonstances. Tout est mis à jour. Après ce
jugement dit individuel, et en connaissance de cause, l’âme se rend au
paradis si elle est parfaitement pure, ou au purgatoire si elle lui reste des
fautes à expier, ou enfin en enfer si elle porte au moins une faute dont elle
n’a point voulu faire pénitence.
La mort, une longue attente…
« Selon la disposition générale de Dieu, les
âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur
mort en enfer, où elles sont tourmentées
de peines éternelles, et que néanmoins, au jour du jugement général tous les
hommes comparaîtront avec leurs corps « devant le tribunal du Christ » pour rendre compte de leurs actes personnels,
« afin que chacun reçoive le salaire de ce qu’il aura fait pendant qu’il
était dans son corps, soit en bien, soit en mal. »[2e épître aux Corinthiens, V, 10])[5]
Ainsi quand viendra le jour
où l’âme retrouvera son corps, l’homme connaîtra alors soit le bonheur ou la
vie éternelle ou brûlera dans un feu terrible sans qu’il ne soit consumé. La
mort est donc un long passage entre la terre et le ciel, ou encore une porte
vers la voie du bonheur ou d’un malheur éternel, ou enfin une attente heureuse
ou désespérante.
Nous pouvons alors
comprendre que, si la mort physique est redoutable, le juste l’attend avec
impatience pour recevoir le prix de ses œuvres de la main même de Notre
Seigneur Jésus-Christ. La vie qu’il anime son âme, une vie nécessairement faible,
limitée et inconstante, pourra alors s’épanouir avec plénitude sans faiblesse.
La mort physique est alors une
délivrance qui le conduit à la vie éternelle. « La mort, ennemie de la vie, devient la voie de la vie même. »[6]
Cet espoir de vie éternelle et de délivrance ne signifie pas qu’il déteste la
vie ici-bas ou encore son corps par lesquels justement il a réussi à suivre le
chemin de Dieu. Par la résurrection, le corps lui-même participe au bonheur
avec justice[7].
Il connait la valeur de la vie comme de la mort. Ce qu’il redoute le plus est la mort spirituelle.
Mais pour l’injuste, le
menteur et tous les fauteurs de mal, la
mort est un malheur terrible qui n’a pas d’égal dans le monde où il a sévi.
Lorsque la mort les frappe, le sort est fixé. Il est trop tard pour le pardon
et le repentir. Ils avaient toute une vie pour se corriger…
Origine de la mort
« L’homme a encouru la mort en raison du péché et non en raison d’une nécessité de nature »[8]
Bible d’Alcuin Genève, Bamberg |
C’est ainsi qu’en naissant, l’homme est voué à la mort
physique et son âme dans un état de mort spirituelle. Le baptême le purifie du péché originel et de tout péché puis fait
renaître l’âme de la vie divine. Elle est dans un véritable état de grâce. Tant
qu’elle demeure fidèle à Dieu, c’est-à-dire unie à lui par sa foi, son
espérance et sa charité, c’est-à-dire par une foi vivante, elle reste dans cet
état de sainteté. Mais cet état n’est ni définitif ni déterminé.
À tout moment, l’âme peut le perdre. Si l’homme baptisé commet un péché mortel,
alors son âme retrouve un état de mort spirituel. Elle ne pourra retrouver la
vie divine que par le pardon de Dieu et la contrition, c’est-à-dire par la
confession. Au cours de son existence, nombreuses sont les grâces qui lui sont données
pour maintenir et accroître la vie divine, notamment par le canal admirable du
sacrement de l’Eucharistie qui lui donne la source infinie de toute vie, Notre
Seigneur Jésus-Christ. Aucune grâce ne manque à l’homme pour se relever de
la mort spirituelle.
La mort comme instrument de salut
« Nous croyons que nous avons été purifiés dans
sa mort et dans son sang pour être ressuscités par lui au dernier jour dans
cette chair dans laquelle nous vivons maintenant ; et nous sommes dans l’attente
que nous obtiendrons de lui, soit la vie éternelle en récompense de notre bon
mérite, soit la peine du supplice éternel pour nos péchés. Lis cela, tiens-le
fermement, soumets ton âme à cette foi. Ainsi tu obtiendras du Christ
Seigneur la vie et la récompense. »[10]
Conclusion
Depuis le péché originel, la
mort est un véritable châtiment. Si l’homme est naturellement mortel, il a
néanmoins été créé dans un état d’éternité, jouissant de la présence divine.
Par sa désobéissance, Adam et sa descendance ont perdu cette double grâce,
l’immortalité et la vie divine. La mort témoigne donc la chute de l’homme. Il
est alors enfermé par les liens de la mort. Mais Notre Seigneur Jésus-Christ a
rétabli notre dignité première de manière admirable. Son sacrifice nous sauve,
sa résurrection nous délivre de la mort. La victoire qu’Il a emportée met ainsi
un terme à son empire. Désormais, la mort n’a plus le dernier mot. Il y a
« une résurrection bienheureuse ou
une résurrection malheureuse. Chacun recevra ce qu’il aura choisi avant sa mort
durant sa vie. Tous les saints ressusciteront pour être avec Dieu pour
toujours : corps et âme. Tous les damnés ressusciteront pour être séparés
de Dieu pour toujours : corps et âme. Pour les premiers, ce sera la gloire
et la joie du corps et de l’âme, pour les seconds, la souffrance et le
désespoir éternel. »[11]
Ainsi, le chrétien ne
conçoit la mort ni comme une fin ni comme une banalité. Il ne la renie pas non
plus. Il sait combien ce fait unique et irrévocable est déterminant pour son
destin. La mort est comme la réalisation d’une attente qui a duré depuis sa
conversion. Elle lui donne ce qu’il n’a pas cessé d’espérer et de vouloir. Elle
est comme la ligne d’arrivée d’une course plus ou moins longue et difficile
au-delà laquelle se trouve toute son espérance. Elle donne ainsi sens à la
vie qu’il a menée. Tous son passé, qui n’est plus, prend ainsi sens et
valeur. Notre vie ici-bas n’est pas vaine pour Dieu. Qui peut croire que la vie
est sans valeur quand elle possède un tel prix ? S’il est triste de la
mort de sa mère, Saint Augustin sait qu’elle n’est pas un malheur mais bien un
bonheur pour elle puisqu’elle a gagné la vie éternelle par sa vie ici-bas.
Notes et références
[1] Louis-Vincent Thomas, Mort
et pouvoir, Payot, Paris, 1978
[2] Voir Émeraude,
septembre, article « La vérité devant la mort : les confessions de
Saint Augustin... ».
[3] Dictionnaire Le
Petit Robert, 2011.
[4] Voir Émeraude,
mars 2021, article « L'homme, l'union d'un corps naturel et d'une âme
rationnelle. Il n'est ni un corps, ni une âme, encore moins deux entités
juxtaposées qui s'ignorent... ».
[5] Benoît XII, Constitution
Benedictus Deus, 29 janvier 1336, Denzinger 1002.
[6] Saint Augustin, La
Cité de Dieu, livre XIII, II.
[7] Voir Émeraude,
mars 2021, article « La conception de la nature humaine au travers du
mystère de la résurrection du corps ».
[8] Voir Concile de
Trente, 5e session, 17 juin 1546, décret sur le péché originel,
n°2, Denzinger n°1512.
[9] Voir Émeraude,
février 2013, article « Péché d'origine, péché originel ».
[10] Fides Damasi,
Symbole de foi attribué au Pape Damase
Ier, Denzinger n°72.
[11] Abbé Laurent Spriet, Se
relever après un avortement, 2020, édition Peuple libre.
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