Quand nous songeons à la vie
intérieure, nous pensons aussi à toutes ces activités ou objets qui n’ont pas
de consistance matérielle comme nos pensées, nos idées, nos sentiments. La vie meut tout un monde insaisissable, incorporelle et pourtant bien
réel. Et nos rêves ou nos cauchemars n’ont ni chair ni étendue.
L’intelligence, la mémoire, l’imagination peuvent-elles se laisser enfermer
dans une partie du corps ? Sont-ils comparables aux processeurs et à tous
les autres composants de nos postes informatiques ?
Et si deux machines peuvent
se ressembler, nous sommes certains, chacun d’entre nous, d’être uniques,
d’être différents de l’autre. Plus notre individualité est marquée, plus nous
sommes véritablement Homme. Si les corps fonctionnent généralement de la même
façon, chaque homme, chaque femme est unique, par sa personnalité, par ce moi
qui pense et s’exprime. La vie fait que
nous soyons véritablement et essentiellement uns et distincts des autres…
Mais la vie n’est pas qu’intérieure. Elle s’exprime, se déploie,
s’exporte de nous-mêmes pour devenir paroles, émotions, actions. Elle modèle le
monde, l’explore et le scrute, de l’infiniment petit à l’infiniment grand,
élevant des foyers, bâtissant des cités, menant des guerres. En étendant notre
regard à tous les êtres vivants, nous définissons généralement la vie selon ses
facultés, celles de se reproduire, de se nourrir, de respirer ou encore de
croître et de décroître. Plus savamment, des scientifiques la caractérisent par
les propriétés d’autoconservation, d’autoreproduction et d’autorégulation. Ces
définitions ne disent pas ce qu’est la vie en elle-même. Elles nous permettent
de distinguer les êtres vivants et non-vivants. Ce sont des signes qui nous témoignent de la vie. Nous n’atteignons
pas encore ce qui fait que le corps vivant est vivant.
Il existe aussi une autre
manière de voir la vie, une manière qui s’impose malgré nous. En effet, il nous
est difficile de parler de la vie sans songer
à sa fin, c’est-à-dire à la mort.
Toute vie naît et meurt. Inéluctable, la mort est comme le point final qui
achève une histoire. Après ce point, le silence….
Qu’est-ce que la mort ?
Cherchons d’abord à définir
ce qu’est la mort. Les dictionnaires la définissent généralement comme « la cessation de la vie » ou encore
l’« arrêt des fonctions
vitales (circulation sanguine, respiration, activité cérébrale, … »[1].
Cependant, « l’arrêt des fonctions
vitales » pourrait être l’effet
de la mort ou encore la manifestation de la mort, c’est-à-dire un signe qu’elle est là, présente dans
le corps. Nous savons en effet qu’un homme est mort quand il ne respire plus,
quand son cœur ne bat plus, son sang ne s’écoule plus. D’autres y verront la cause de la mort. Ce n’est pas la
mort en elle-même…
Tous admettent sans
difficulté que la mort est « la
cessation de la vie ». Un homme est mort quand il ne vit plus. Comme
nous l’apprend le grand physiologiste Claude Bernard (1813-1878), la question
de la mort est étroitement liée à celle de la vie. « Ce qui vit, c’est ce qui mourra, ce qui est mort, c’est ce qui a vécu. »[2]
Or, pour lui, la biologie ne sait pas ce qu’est la vie. L’objet de son étude
n’est pas en effet la vie mais les phénomènes de vie[3].
Par conséquent, la biologie serait aussi
incapable de nous définir ce qu’est la mort.
La mort clinique n’est pas
la mort
La mort clinique correspond
en fait à la définition du dictionnaire, c’est-à-dire à la cessation des
fonctions vitales. Selon le droit français, le médecin « diagnostique l’état de mort sur la base d’un
ensemble concordant de signes négatifs coïncidant avec l’arrêt des fonctions
vitales (respiration, rythme cardiaque, circulation sanguine, activité
cérébrale, réflexes oculaires et ostéotendineux) et de signes positifs
d’apparition de l’état cadavérique (mydriase, hypothermie, hypotonie ou
rigidité cadavérique, lividité). »[5]
Un homme est donc mort cliniquement quand il montre des signes qui témoignent
de la cessation physique de la vie. La définition du dictionnaire confond ainsi
la mort et la mort clinique, ce qu’est la mort et ses effets.
La mort, une force
irrésistible et opposée à la vie
Pour Descartes, la mort
survient par corruption d’un des organes. « La mort n’arrive jamais par faute de l’âme, mais seulement parce que
quelqu’une des principales parties du corps se corrompt. »[8]
Un homme mort est comme une horloge dont l'un des éléments du mécanisme est cassé. Mais
comme toute machine, ses composants s’usent et finissent par corrompre l’ensemble.
C’est même parce qu’elle fonctionne qu’elle finit par tomber en panne. Claude
Bernard en conclut que « la vie, c’est la mort ».
Selon ces discours, nous ne
pouvons donc pas vivre sans que la mort ne soit déjà présente en nous. Nous
nous éloignons encore plus d’une mort définie comme l’absence de vie. Nous la
sentons venir. Parfois, elle nous surprend comme une faucheuse, mettant fin à
une route qui s’annonçait pourtant longue et prometteuse. Et quand elle arrive,
sa présence est souvent lourde, envahissante, nous laissant dans un mur de
silence. Nous ne songeons plus au mort mais à nos souvenirs…
La mort, injustice ou fin de
l’illusion ?
Et pourtant, dans ce havre
de bonheur et de facilité, la mort est encore bien présente et continue de
frapper tout le monde, riches et pauvres, puissants et faibles, sans
distinction. Elle met rapidement un
terme à nos illusions, à notre monde factice. Nous pouvons alors comprendre
la terreur ou la panique qui s’empare de nos sociétés quand la mort se montre
si présente, quand elle s’affiche si ouvertement avec une arrogance égale à la
sienne. La mort fait horriblement peur au point que son nom n’est plus guère
prononcé. L’homme ne meurt plus, il disparaît ou décède, si possible loin des
vivants, à l’hôpital, dans l’anonymat. Son cadavre n’est plus visible. Il gène.
Il doit rapidement devenir un tas de cendres. Le mort est un pestiféré…
La
mort est considérée comme injuste, pire encore, comme un échec. Si
nous mourrons, c’est à cause du médecin qui a échoué, de la société qui n’a pas
su prolonger la vie, de l’État qui n’a pas réussi à nous protéger suffisamment.
La mort n’est en fait plus naturelle pour une société qui s’imagine que par ses
lois, ses désirs deviennent la norme…
Nos contemporains cherchent
aussi à anticiper la mort, peut-être pour qu’elle ne gâche pas leurs illusions.
Comme d’horribles farceurs, ils la devancent et la surprennent. Ils se donnent
la mort, évitant ainsi souffrance et douleurs. Ce n’est même plus une mort mais
un lent et profond sommeil, un
assoupissement dans un voyage sans retour, un endormissement dans un rêve sans
lendemain. Faisant la fortune des ouvriers de la mort, elle devient alors un
repos sans fin, aussi tranquille que leur naïveté. C’est ainsi que les derniers
instants de la vie, sans-doute les plus précieuses, sombrent dans
l’insondable inconscience. Nous essayons ainsi de maîtriser la vie jusqu’aux
derniers soupirs sans savoir pourtant ce que sont la mort et même la vie…
Conclusions
Nos réactions face à
l’épidémie qui frappe notre époque sont révélatrices de notre manière de
concevoir la vie et la mort. Pour la majorité, tout doit être fait pour éviter
que le virus ne se répande. Rien n’est devenu impossible pour faire cesser la
montée des chiffres de décès, devenue insoutenable pour nos
contemporains. O chiffres, jamais votre pouvoir n’a été si grand !
Jamais vous n’avez été si manipulés par les hommes pour en tromper d'autres ! Jamais l’homme n’a jamais
été si aveuglé par des statistiques qui ne donnent lieu à aucune méfiance, à
aucune question. Tout est alors bon pour
préserver nos bons citoyens de la maladie et de la mort au point de
bouleverser les fondations de la société et de ruiner l’avenir. Personne ne
doit prendre de risques d’affection, nous dit-on, y compris ceux qui sont aux
portes de la mort. La devise « la
liberté ou la mort », si chère à nos aînés, si présente dans nos
multiples commémorations, n’est plus que poussière…
Au-delà des précautions
nécessaires et sages, une véritable frénésie a emporté la société. Sans-doute
dans un proche avenir, quand le temps sera plus calme et plus propice à la
réflexion, nos contemporains prendront conscience de leurs erreurs, de leurs
fautes et de leur folie. Ils reprendront conscience que la vie n’a de sens parce qu’elle a un terme, et que ce terme nous
impose de vivre selon des valeurs qui dépassent le simple bien-être et même
notre existence ici-bas. L’important n’est donc pas de vivre mais de bien mourir…
[1] Dictionnaire Le
Robert de poche, 2008.
[2] Claude Bernard, Définition
de la vie, dans Revue des deux mondes, 3ème
période, tome 9, 1875.
[3] Voir Émeraude,
février 2021, article « L'incompétence de la science devant le mystère
de la vie. Et pourtant... ».
[4] Article Médecine
légale, constatation de la mort, site police-scientifique.com,
lu le 5 avril 2021.
[5] Réponse du
ministère : Solidarité publiée dans le JO Sénat du 15/02/1990.
[6] Bichat dans Recherches
physiologiques sur la vie et la mort, 1800.
[7] Lamarck,
Recherche sur l’organisation des corps vivants.
[8] Descartes, Les
Passions de l’âme, I, article 6.
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