Barbara Fredrickson, un
« génie du mouvement de la psychologie positive »
Nous avons remarqué que les
bibliographies de Fredrickson présentes dans les livres et sur les sites français ne parlent
pas de « longévité » ou de
« sagesse » mais plutôt de « résilience » et de « bien-être ». Il est vrai que le
bien-être tel qu’il y est décrit tend à se confondre avec la philosophie ou
plus précisément avec la sagesse bouddhiste. Ce n’est pas un hasard si Matthieu
Ricard a préfacé l’ouvrage traduit en français. Fredrickson n’est pas non pas
indifférente à l’égard du bouddhisme puisqu’elle a présenté ses recherches au
Dalaï Lama.
Le rapport de positivité
Fredrickson a écrit cet
article avec Martial Losada. Celle-ci revendique une expertise dans un
domaine particulier des mathématiques, et plus particulièrement dans la science
des systèmes dynamiques non-linéaires.
L’histoire d’une fraude
révélée
Au cours de sa formation de psychologue, Brown est surpris
que les coordonnées émotionnelles soient définies par un rapport si précis. En étudiant les
fondements mathématiques de l'article, il se met à douter de la véracité des calculs.
Quelque chose le trouble. Il demande alors de l’aide à un véritable
mathématicien Alain Sokal, également physicien et épistémologue américain.
Une nouvelle imposture
intellectuelle
Quelle est donc cette
forfaiture ? Au lieu de vérifier par l’expérience que la thèse est bonne,
Losada a cherché des données qui la prouvent. L’équation qu’elle a alors mise
en valeur dans son article n’est en fait exacte que pour ces données
particulières. Ce n’est pas la seule à truquer des résultats. Un autre
psychologue, Diederik Stapel, a aussi utilisé cette méthode frauduleuse que ses
étudiants ont découverte et dénoncée à l’université de Tilburg en 2001 [7].
Psychologue social réputé, Stapel
inventait et trafiquait des jeux de données d’expérience pour écrire ses
articles dans des revues, et cela pendant
dix ans. « Les données et les
découvertes étaient, à bien de égards, trop belles pour être vraies. Les
hypothèses de recherche étaient presque toujours confirmées. » L’intéressé
a avoué sa supercherie. Une enquête a aussi prouvé les faits et a conclu à des
négligences en matière scientifique et méthodologique au niveau du système de
production, de contrôle et de critique interne des sciences. Dans un livre
autobiographique, Stapel a expliqué ses motivations : « chercher, découvrir, tester, publier, avoir
du succès et être applaudi ».
Une méthode peu fondée
- la fabrication des résultats : le chercheur invente ses propres donnés, ne voulant guère prendre le temps et l’énergie nécessaires pour les collecter afin que l’article qu’il veut rédiger soit rapidement publié ;
- la falsification des données : le chercheur n’est pas satisfait des données qu’il a collectées et il les modifie pour confirmer ses hypothèses ;
- le plagiat classique : le chercheur s’approprie en tout ou en partie la recherche d’un autre et lui appose sa signature.
Les domaines les plus sujets à la fraude sont la médecine et la biologie. Parfois, les fraudes ne sont pas aussi caractéristiques. Elles consistent à des pratiques peu compatibles avec la rigueur scientifique.
Ces différents exemples de
fraudes ou d’erreurs montrent qu’il
n’est pas si simple et évident de prouver scientifiquement des théories qui
relèvent de la psychologie et plus particulièrement des sentiments ou
émotions. Celles-ci s’appuient sur des données d’auto-évaluation faciles à
obtenir mais dont la fiabilité n’est pas garantie pour certains sujets
complexes. « Le problème est que
lorsqu’il s’agit de distinguer, par exemple, ceux qui languissent de ceux qui
s’épanouissent, il peut y avoir toutes sortes de raisons culturelles et
personnelles pour lesquelles un individu ou un groupe pourraient souhaiter nier
les sentiments négatifs ou même minimiser les sentiments positifs. » La complexité de la vie est
difficilement saisissable et génère bien des
biais dans l’interprétation des données.
Des émotions disséquées dans
un laboratoire
Pourtant, nous pouvons être
légitimement inquiets. Fredrickson n’est ni chimiste, ni généticienne, ni
biologiste. Elle n’est pas non plus très scientifique en dehors de la
psychologie. Dans un domaine si complexe que sont la science du cerveau et
celle des émotions, il est bien
difficile de vulgariser une démonstration sans tomber dans la simplicité.
En outre, toute théorie présente des faiblesses et soulève des questions. Il
est fini le temps de la certitude
scientifique. Enfin, le contenu du livre est étrange comme nous allons le
voir. Ainsi, ne tombent-elle pas encore dans une imposture intellectuelle
malgré elle ?
L’ouvrage est constitué de
deux grandes parties. La première est toute théorique. Après avoir décrit
scientifiquement ce qu’est l’amour à partir des dernières recherches, l’auteur
décrit les effets bénéfiques de l’amour sur nous et notre comportement. La
deuxième partie est pratique. Il propose une série d’exercices qui permettent
de vivre des « micro-moments d’amour »
afin d’améliorer notre santé et d’atteindre le bonheur. Ces exercices sont
essentiellement des méditations, faite de manière « laïque », pour « ouvrir
notre cœur » et « développer
notre capacité d’amour ». Ces méditations s’accompagnent de récitations.
Au cours de la journée, il demande de profiter de toutes les émotions pour la faire
développer. Comment ? Par l’imagination, la visualisation,
l’autosuggestion. Comment pouvons-nous par exemple développer la
compassion ? Très simple. Dans la rue, dirigeons nos pensées vers les
personnes souffrantes en souhaitant leur paix. Pensons aussi aux êtres
souffrants et mêlons nos respirations à la leur. Il s’agit de « transformer notre cœur » par nos
pensées intérieures. Et chaque soir, comme un examen de conscience porté sur
les moments de la journée, sur ces temps de méditation et d’intériorisation, nous
devons récapituler toutes les interactions que nous avons eues et de calculer
le temps de potentiel de « résonnance
positive » inexploitée dans la journée. C’est ainsi que « les émotions positives ouvrent le
champ de notre conscience et nous aident à accéder à la sagesse. »
Concluons. « Étudier et renforcer
les émotions positives […] nous
feront devenir de meilleurs êtres humains grâce à une plus grande joie de
vivre. »[10]
Des méditations pour la
santé mentale
Le lecteur est convié à un
ensemble de « méditations » qui ne sont finalement que des
exercices mentaux, d’imagination et d’auto-persuasion. Elles ont pour but de
cultiver les émotions positives dont l’amour en est la « suprême ». Soulignons le point
essentiel : ces émotions positives ne
sont générées que par nous-mêmes et pour nous-mêmes. L’autre n’est en fait
qu’un objet ou encore un instrument que la pensée utilise pour développer en
nous ce que nous aimerions faire sans néanmoins le faire réellement. La
compassion se réduit par exemple à une pensée tournée vers l’autre sans qu’elle
nous porte vers l’autre de manière concrète.
Quelle piètre image que nous
donne alors cet ouvrage de l’amour, de la compassion, de l’altruisme ?... Car
finalement tout cela n’est que
sentiment de l’amour, de la compassion, de l’altruisme. La finalité comme
le fondement ne se fondent que sur nous-mêmes et non sur l’autre. Nous sommes
nous-mêmes auteurs, acteurs et
bénéficiaires de ces sentiments. Mais ce ne sont que des sentiments. L’homme
intérieur n’est finalement qu’un moi
exalté. Tout cela n’est qu’illusion et éphémère. L’exaltation de soi par soi-même, est-ce cela la sagesse, le
bonheur ? Le pur hédonisme sentimental…Nous sommes bien éloignés des
penseurs grecques et du bouddhisme dont il se réclame pourtant…
Une question philosophique et
non scientifique
Car revenons à l’essentiel
si peu abordé dans ces ouvrages. Que désigne en effet les « émotions positives » ou encore plus
simplement le terme « positif » ?
Une émotion est-elle positive parce qu’elle est favorable à notre santé
mentale, parce qu’elle procure un bienfait pour notre corps et notre bien-être,
ou parce qu’elles nous rendent meilleurs ? Selon l’ouvrage, elle est
positive parce qu’elle nous rend de « meilleurs
êtres humains ». Mais les sentiments, y compris de joie, peuvent être
erronés. Nous pouvons être joyeux en nous droguant ou en gagnant une fortune de
manière malhonnête. Serons-nous alors de « meilleurs êtres humains » si nous vivons dans le mensonge ? Il
faut donc avant tout du discernement dans ce que nous éprouvons et par conséquent
du jugement afin de juger de la véracité de ce que nous éprouvons et de l’effet
de nos émotions. Tout cela relève de la
raison puis de la morale. Cela ne relève pas de la science. Par conséquent,
une émotion devient positive parce que nous l’avons jugée ainsi soit par ses
effets, soit par son origine. Elle n’est
pas positive en elle-même.
De même, le fait de méditer sur
un objet plaisant afin de générer une émotion « positive » relève aussi de la raison dirigée par un ensemble
de valeurs morales. Quand nous méditons sur la compassion, nous sommes guidés
par l’idée de la compassion. Pouvons-nous méditer sur des actes mauvais parce
que cela nous procurera de la jouissance physique ?
En clair, un sentiment n’est
pas uniquement positif en raison des bienfaits qu’il peut procurer à notre
corps. Il entre dans un système de
valeurs, dans une conception morale de l’homme, dans une philosophie morale.
Conclusions
Mais, tout cela n’est qu’émotions donc par nature, éphémères, peu durables. Même en les multipliant, elles restent à
la surface de l’être. Nous ne sommes pas non plus dupes de l’illusion qu’elles créent. Sont-elles aussi capables de fournir
l’énergie nécessaire quand une épreuve s’abat sur nous ? Le château de
carte s’écroule à la moindre secousse. Le bonheur comme notre vie ne peuvent se
reposer sur les émotions quelle qu’elles soient. Ce n’est pas en regardant un
film, en absorbant des drogues ou par l’autosuggestion que nous allons
progresser réellement, véritablement. Notre
vie s’améliore par des actes de vertu qui cultivent la vertu elle-même. Or
la vertu n’est pas sentiment. Aucune hormone, aucun flux nerveux ne pourront
nous rendre vertueux. Elle relève de
l’âme et non du corps. Nous ne sommes plus au niveau de la science mais
bien de la philosophie, et plus précisément de la métaphysique…
Enfin, si la sagesse
consistait à favoriser la création de conditions favorables à la production
d’émotions positives, et finalement à exalter notre moi par des sentiments
plaisants, à entretenir cette exaltation, nous serons amener à rejeter les « émotions négatives », à refuser une réalité : notre propre misère. Il serait alors
aussi bien difficile de vouloir se sacrifier pour une cause ou un être cher. Or
qu’est-ce que l’amour sans sacrifice ? Tout don de soi conduit à un sacrifice. En refusant tout sentiment
déplaisant, il serait alors bien difficile de porter notre regard hors de
nous-mêmes et finalement vers le ciel. Un bonheur si illusoire nous conduirait
inévitablement vers le véritable orgueil. C’est
du pur solipsisme…
Ainsi, contrairement à ce
que pourrait faire penser l’ouvrage, la
théorie qui nous est présentée n’est pas scientifique mais bien philosophique.
Elle est portée par une conception particulière de l’homme, une conception
assez simpliste, enlevant tout rôle à la raison. Elle contient aussi de
nombreuses confusions dans les termes, réduisant notamment la vertu à un
sentiment. Tout se réduit rapidement à un
déterminisme physique intolérable. Nous sommes bien éloignées de la connaissance réelle et complète de l’homme.
Là réside une imposture intellectuelle…
[1] Voir Émeraude, janvier 2021, article "La psychologie positive, à la recherche du bonheur ou bien de l'illusion du bonheur ? ".
[2] Barbara Fredrickson, Ces
micro-moments d’amour qui vont transformer votre vie, Love
2.0, une approche révolutionnaire de l’émotion suprême, Marabout,
résumé sur le site bibliotherapie-suisse.ch.
[3] La bibliographie est
tirée du site de Fredickson positivyresonance.com.
[4] Andrew Anthony, article The British amateur who debunked the
mathematics of happiness, The Guardian, 18 janvier 2014, www.theguardian.com.
[5] Alan Sokal et Jean
Bricmont, Impostures intellectuelles, Introduction, Odile Jacob, 1997.
[6] Parmi ces auteurs,
nous pouvons citer Jean Baudrillard (1929-2007), théoricien de la société
contemporaine, Jacques Lacan (1901-1981), psychanalyste, Julia Kristeva, née en
1941, philologue et psychanalyste, Luce Ligaray, née en 1930, linguiste,
philosophe et psychanalyste, Bruno Latour, né en 1947, anthropologue,
sociologue et philosophe, Gilles Deleuze (1925-1995), philosophe…
[7] Voir Le
Monde, article Le scandale Stapel, ou comment un homme seul
a dupé le système scientifique, Pierre Barthélémy, 9 décembre 2012,
www.lemonde.fr.
[8] Voir De la
fraude dans les labos, Nicolas Chevassus-au-Louis, Seuil, 2016.
[9] Page Love
2.0, psychologies.com, 1 janvier 2021.
[10] Barbara Fredrickson, Ces
micro-moments d’amour qui vont transformer votre vie dans Résonance
positive renouvelable à l’infini, l’Amour est une émotion qui se travaille,
Queen Belili, 27 juillet 2016, cecilerecolleau.fr, accès le
1janvier 2020.
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