Mais derrière cette image
idéalisée du bouddhisme, il existe une réalité ou encore une histoire que nous
devons connaître. Car les bouddhismes ont aussi un passé en Occident. C’est par
cette connaissance que nous pourrons briser
bien des chimères et dévoiler les mensonges…
Nous trouvons en Occident de
nombreuses formes de bouddhismes qui se caractérisent notamment par leur
origine. Essayons de les connaître les unes après les autres…
Le bouddhisme occidental originel
Le bouddhisme occidental est
un produit des études menées au XIXe siècle, imprégnées de rationalisme, de
positivisme et de laïcisme. Il est utilisé pour combattre le
christianisme, voire « trouver
un substitut au christianisme »[3].
Il n’est finalement que l’interprétation de connaissances biaisée par une
certaine conception de la vie et de la religion. Il n’est finalement qu’un
instrument aux mains des anticléricaux et de certains savants, à la
recherche d’une morale laïque ou d’une religion universelle idéale.
Mais le bouddhisme
occidental est aussi marqué par une certaine réticence et par la désapprobation.
Alors que les uns s’appuie sur lui à des fins politiques ou idéologiques,
d’autres le méprisent, le considérant comme une religion d’anéantissement de
la personne ou un culte nihiliste. Mais selon de nombreux commentateurs, ce
« bouddhisme occidental »
ne serait qu’une tentative de répondre à l’angoisse des Occidentaux devant le
vide spirituel dans lequel ils sont plongés depuis le XIXe siècle.
La diffusion du bouddhisme en Europe
En raison de nombreuses
initiatives dispersées et isolées de bouddhistes européens et laïcs, de nombreuses
organisations se mettent en place en Europe, et plus particulièrement en
Allemagne. En France, nous pouvons par exemple citer la Société des amis du bouddhisme,
fondée en 1929 par une riche Américaine Miss Lounsberry. Ainsi, avant la
deuxième guerre mondiale, les activités du bouddhisme en Europe sont surtout le
fait d’Européens convertis, le plus souvent des laïcs. Elles ne durent
guère.
Le bouddhisme natif
Pagode vietnamienne à Marseille
Si ces formes de bouddhisme sont
diverses et varient en fonction de leur origine, il s’appuie sur un
socle commun[5]
sur lequel s’élèvent des croyances religieuses, mêlées à des religions
préexistantes, croyances qui s’expriment au travers de rites et de symboles. Ce
socle commun ne peut être compréhensible et donc séparé d’une métaphysique
particulière, celui du védisme.
Depuis le milieu du XIXe
siècle, des bouddhistes fuient leur pays en raison des persécutions dont ils
sont victimes dans leur pays d’origine et de la misère qui gagne les
institutions bouddhiques. En France, ils proviennent surtout du Laos, du Vietnam
et du Cambodge. De nos jours, les réfugiés et migrants bouddhistes sont deux ou
trois fois plus nombreux que les occidentaux convertis. En 1990, selon une
estimation, ils représentent en France 85 % sur une population de bouddhistes
de 350 000, 70% en Angleterre (180 000) et en Allemagne
(170 000) [6].
Dans les pays de l’Est, c’est plutôt l’inverse, 20% en Tchéquie, 14% en
Hongrie, 10% en Pologne.
Dans le but de préserver
leur identité et leur culture, les communautés asiatiques fondent des
institutions, développent des pagodes pour leur culte selon leur rite,
célèbrent en collectivité leurs fêtes traditionnelles. Ces bouddhistes ne se
mélangent guère avec leurs homologues européens dont ils ne reconnaissent pas
le bouddhisme. Cependant, selon des études, les bouddhistes asiatiques
récemment immigrés tendent à universaliser leur religion pour la rendre compatible
avec les valeurs occidentales en insistant sur sa modernité, sa
spiritualité et sa rationalité, même s’ils insistent sur leurs différences
culturelles. C’est pourquoi ils ont tendance à abandonner leurs rites
dévotionnels et magiques. Néanmoins, des conflits peuvent éclater entre les
bouddhismes natifs et occidentaux.
Le néo-bouddhisme
Le troisième bouddhisme est
issu à la fois de l’Europe et de l’Asie. C’est un mélange entre des pensées
occidentales et orientales. Il est souvent appelé « néo-bouddhisme » ou « bouddhisme moderniste ». Il est
conçu comme « un mode de pensée
rationnel »[7].
Il est dépeint comme « pragmatique,
rationnel, universel et socialement actif. »[8]8]
Le néo-bouddhisme s’oppose
aux bouddhismes traditionnels qu’il considère
généralement comme dénaturés et corrompus. Enfin, la métaphysique qui supporte
le bouddhisme est soit rejeté, soit mis sous silence. Nombreux sont les débats
qui l’attaquent, le relativise ou les défendent.
Il est d’abord très lié au
pays dans lequel il a pris naissance avant d’être un mouvement international.
Comme au Japon, il est nationaliste et se montre comme un moyen d’affirmer la
supériorité culturelle du pays face à l’hégémonie occidentale. Ses dirigeants
ou maîtres sont souvent des intellectuels asiatiques en contact avec
des savants occidentaux et connaisseurs de la philosophie et de la
littérature occidentale.
L’autre élément
caractéristique est l’affaiblissement du rôle des moines, voire leur
disparition. Le néo-bouddhisme est fondamentalement laïc.
Quelques exemples de
néo-bouddhismes
Anagarika Dharmapala
1864-1933)
Au Japon, l’exemple
le plus typique de néo-bouddhisme est le bouddhisme Zen développé par Daisetz
Teitaro Suzuki, universitaire et intellectuel. C’est par lui et surtout
par ses livres qui le font connaître aux Occidentaux. Depuis le Congrès
national des religions de 1893 à Chicago, il en est aussi un véritable apôtre.
Ses livres sont alors diffusés dans toute l’Europe, surtout dans les années 50.
En 1952, il s’enracine en Grande-Bretagne puis en Allemagne en 1956. Des
maîtres du bouddhisme zen finissent par s’installer en Occident. Ils donnent
des conférences et fondent des centres de bouddhisme. Suzuki a supprimé du
bouddhisme traditionnel japonais tout élément contextuel et rituel puis l’a
traduit en termes compréhensibles par les Occidentaux, des termes dérivés de
l’idéalisme allemand, du romantisme anglais et du transcendantalisme américain.
Dans les années 60, la méditation du bouddhisme zen se popularise. Des centres
ou séminaires se multiplient.
En Inde,
nous pouvons citer le bouddhisme Navayana, dit « le Nouveau Véhicule » en opposition
aux bouddhismes traditionnels, « Grand
Véhicule » ou « Petit
Véhicule ». Les éléments traditionnels du bouddhisme, doctrinaux et
pratiques, sont rejetés au profit de la science, de l’activisme et des
réformes sociales. Nous pouvons y trouver des idées de Karl Marx. Le
fondateur, Ambedkar, remet en question le socle commun du bouddhisme,
c’est-à-dire les Quatre Nobles Vérités [9].
Il supprime le karma, la méditation, le nirvana. Il réinterprète les principes
du Bouddha dans une logique de lutte des classes et d’égalité sociale.
Au Tibet, le
bouddhisme de la Voie du Diamant est considéré comme une forme moderne du
bouddhisme tibétain. Il se diffuse en Occident depuis les années 60, et de nos
jours en Europe de l’Est. Dès le milieu des années 70, des lamas de haut rang
assurent des conférences en Europe, provoquant la fondation de nombreux
groupes.
C’est ainsi que des cercles
de méditation, des groupes, centres et sociétés se multiplient en Occident.
Selon la société bouddhiste anglaise, ils sont passés de soixante-quatorze à
trois cent quarante groupes de 1975 à 1997.
Le néo-bouddhisme occidental
L’autre conséquence du
développement des pratiques bouddhiques est la prédominance des maîtres de
méditation d’origine occidentale, souvent disciples de maîtres asiatiques.
Dans le néo-bouddhisme de forme theravâda, ils dirigent des cercles ou groupes
pratiquant des formes de médiation dite « vipassana » (« vision
pénétrante ») ou encore « satipatthana »
(« conscience attentive »).
Les maîtres formés par des occidentaux occupent une place de plus en plus importante.
Notons que ce sont des maîtres laïcs qui enseignent les pratiques à des
laïcs, ce qui est un élément nouveau du bouddhisme natif, voire du
néo-bouddhisme du XIXe siècle.
L’autre particularité du
néo-bouddhisme occidental, selon la plupart des études, est la part
désormais dominante des femmes. Il est vrai que des femmes ont pris une
part importante dans la naissance et le développement du bouddhisme occidental
originel comme dans la société de théosophie.
Ce néo-bouddhisme est
essentiellement pratique. Selon un maître zen japonais, le « zen occidental populaire […] a toujours quelque chose pour chacun, ne
demande rien à ses admirateurs […] et
s’adapte aisément et facilement à une culture affairée et prospère, […] n’accorde que peu de valeur à tout ce qui
n’est pas d’une utilité visible et immédiate, sans autre effort. »[14]
Enfin, la dimension
individuelle du bouddhisme occidental est assez marquée. Le « bouddhiste occidental » recherche
en lui ce qui lui permet de s’épanouir et de vivre des instants d’intériorité
intense. Il n’est pas question de se mettre en communauté et de vivre selon une
discipline imposée contrairement au « bouddhisme
natif ». La notion de « sangha »
y est donc rejetée.
Finalement, « on peut […] se demander pourquoi elle doit encore se réclamer du bouddhisme, et
n’est pas simplement une forme, relativement modérée certes, de spiritualité de
type New Age. »[15]
Le bouddhisme thérapeutique
De plus en plus, ces
pratiques ne font plus référence au bouddhisme et ne s’enseignent pas dans un
environnement religieux. Elles cherchent plutôt à fonder leur légitimité et
leur efficacité sur la science et la psychologie. L’institut Mind
and Life réalise des expériences neuroscientifiques pour
prouver scientifiquement les bienfaits de la méditation pour le monde
occidental. Le scientifique et bouddhiste Matthieu Ricard, porte-parole du
Dalaï-lama, tente de reconnaître la méditation comme « science de l’esprit », donc gage
de rationalité. Les milieux médicaux s’approprient de ces pratiques.
Conclusion
Les différentes formes de néo-bouddhisme
en Occident, et plus spécialement en France, sont des produits de la société occidentale ou un bouddhisme asiatique
fortement occidentalisé, spiritualisé et pragmatique. Éloignées des bouddhismes
natifs, elles ont été conçues ou élaborées pour répondre à des besoins, à des valeurs et à des idéologies spécifiques
aux Occidentaux.
D’abord, le bouddhisme
occidental a servi d’instruments pour les anticléricaux dans leur lutte contre
l’Église au point d’interpréter les textes sacrés selon leur propre théorie.
Puis, influencées par les pensées et les idéologies occidentales, et sans-doute
pour mieux s’implanter dans les sociétés américaines et européennes, d’autres
formes de bouddhismes se sont développées en Asie, s’écartant des formes
traditionnelles, avant de toucher l’Occident. Les fidèles des bouddhismes natifs
sont aussi tentés d’épurer leur religion de tout élément peu adapté à la mentalité
et aux valeurs occidentales. Enfin, devant une société éprise du culte du
bien-être ou face à des hommes et des femmes marqués par le vide spirituel ou
la pauvreté religieuse de leur société, les formes de bouddhisme ont encore
évolué, plus spirituel, plus pratique,
plus égocentrique.
Nous ne sommes donc plus
étonnés des incohérences et des contradictions des bouddhismes occidentaux. Leurs
partisans cherchent à fuir une société et sa misère dans des mouvements qu’elle
a elle-même produits. Ils y recherchent des remèdes à des maux qui sont à leur
origine et les nourrissent. Ces maux ne peuvent finalement que s’exacerber ou
s’éterniser en eux. Comme la société dans laquelle ils sont nés, les
bouddhismes occidentaux témoignent d’une misère spirituelle et intellectuelle,
elle-même le fruit d’idéologies et de courants de pensées développées depuis
plus d’un siècle en Occident. Ils s’adaptent à la demande et au niveau de leurs
adeptes, devenus depuis longtemps des consommateurs.
La situation du bouddhisme
occidental révèle un autre point fondamental : la faiblesse ou la
naïveté d’un christianisme porté sur le dialogue interreligieux et l’œcuménisme,
laissant des formes de religiosité et de spiritualité se répandre sans obstacle
dans la société. Car de nos jours, les néo-bouddhismes sont présentés comme
« une force capable de concurrencer
le christianisme occidental »[20],
capable de répondre au mal-être, opposée au matérialisme et aux religions.
Notes et références
[1] Voir Émeraude,
novembre 2020, article « Le "bouddhisme occidental", pur
produit des idéologies du XIXe siècle ».
[2] Martin Baumann,
professeur du département d’histoire des religions, université de Bremen en
Allemagne, Le bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et
rencontre entre un bouddhisme moderniste et traditionnaliste, dans Recherches
sociologiques, 2000/3.
[3] Marion Dapsance, Le
bouddhisme à l’occidentale, histoire d’une déformation, 22 août 2018.
[4] Martin Baumann, Le
bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et rencontre entre un
bouddhisme moderniste et traditionnaliste.
[5] Voir Émeraude,
octobre 2020, article « Les bouddhismes traditionnels : connaissances
élémentaires. Diversité et socle commun ».
[6] Estimations des
bouddhistes et des groupes d’obédience bouddhique à la fin des années 1990
fournie par Le bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et
rencontre entre un bouddhisme moderniste et traditionnaliste, M.
Baumann.
[7] Martin Baumann, Le
bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et rencontre entre un
bouddhisme moderniste et traditionnaliste.
[8] Martin Baumann, Le
bouddhisme theravada en Europe : histoire, typologie et rencontre entre un
bouddhisme moderniste et traditionnaliste.
[9] Voir Émeraude,
octobre 2020, article « Les bouddhismes traditionnels : connaissances
élémentaires. Diversité et socle commun ».
[10] Voir Émeraude,
novembre 2020, article « Le "bouddhisme occidental", pur
produit des idéologies du XIXe siècle ».
[11] Bernard Faure, Bouddhismes,
philosophies et religions, Flammarion, 1998, dans Bouddhisme et stoïcisme,
Mauro G. A. Rossi, avril 2005.
[12] Bernard Faure, conclusion :
bouddhisme ou néobouddhisme ?
[13] Bruno Étienne et Raphaël Liogier, Être bouddhiste en France aujourd’hui dans Idées
reçues sur le bouddhisme, Mythe et réalités, Bernard Faure, Le bouddhisme n’est pas une religion mais une spiritualité, éditions
Le Cavalier bleu.
[14] Elsie Mitchell,
introduction, La Voie de Zazen de Rindô Fujimoto, dans Bouddhisme et stoïcisme,
Mauro G. A. Rossi, avril 2005.
[15] Bernard Faure, conclusion :
bouddhisme ou néo-bouddhisme?
[16] Frédéric Lenoir, La rencontre du bouddhisme et
de l'Occident, Fayard, 1999 dans Le
bouddhisme en France : une lecture critique de Frédéric Lenoir,
Éric Rommeluère, Université bouddhique européenne, Recherches sociologiques,
2000/3.
[17] Jacques Barcot, Bouddha,
PUF, 1947.
[18] Le néo-bouddhisme
occidental : un objet illégitime ?
[19] Faure, Le
Bouddhisme, 2004., éition Le cavalier bleu.
[20] Marion Dapsance, La
rencontre du bouddhisme et de l’Occident dans la sphère médiatico-académique
française : une sotériologie théosophique, 2015.
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