Une
autre confusion peut nous
surprendre. Des chrétiens n’hésitent pas en effet à pratiquer des exercices
bouddhistes, à trouver dans le bouddhisme un complément à leur foi, voire une
ressemblance avec le christianisme. Nous voyons même surgir un étrange mélange
qui ressemble fort à du syncrétisme. Certains verront ces rapprochements de
manière positive dans le cadre du dialogue interreligieux. Mais celui-ci
doit-il se réaliser au mépris de l’enseignement de l’Église ? C’est
à ces nouvelles erreurs que notre article va essayer de répondre.
Le
bouddhisme, une religion athée ou une philosophie ?
Par
conséquent, si dans ses origines, le bouddhisme n’était qu’une philosophie ou
une sagesse sans référence à des divinités ou à des conceptions religieuses, le
chrétien pourrait alors croire qu’il serait sans danger pour sa foi, son espérance
et sa charité.
Le
bouddhisme populaire, un « pieux mensonge » ?
Certes, le bouddhisme
populaire n’est guère apprécié par certains occidentaux, qui n’y voient que
superstition et décadence. Le culte qui suit la mort du Bouddha historique est
sans aucun doute un cas typique d’évhémérisme et manifeste effectivement
une déformation de l’enseignement du Bouddha historique.
Le panthéon bouddhique aux
multiples divinités
Le
bouddhisme Vajrayana
multiplie
encore les « divinités »,
en y insérant des divinités féminines. Par exemple, Vajarasattva est la
déesse de pureté, de sagesse et de compassion. Le Tibet vénère la tara verte,
« celle qui agit pour ceux qui la
prie », et la tara blanche, le bodhisattva féminin de la compassion. Parfois,
ces divinités féminines sont des bodhisattvas masculins qui changent de sexe.
Enfin, en se diffusant en
Extrême-Orient, le bouddhisme se mêle aux religions préexistantes dans une
sorte de syncrétisme religieux. Au Japon, le bodhisattva Myôken est considéré
comme un « deva », c’est-à-dire
un des êtres qui peuplent le « devaloka »,
une des autres demeures de monde céleste. Il est en fait une divinité d’origine
taôiste. En outre, leur nom et leur sexe varient en fonction des pays et de
l’école bouddhique qui les vénèrent. Cela explique aussi le nombre
innombrables de « divinités »
dans le panthéon bouddhiste. Il est en fait difficile d’y voir clair.
Des divinités agissantes
Ne
pouvant nier l’évidence, d’autres commentateurs réduisent le rôle de ces
« divinités ». « Les dieux sont tolérés, mais pas vénérés »[5],
nous disent-ils. Cette remarque nous laisse perplexe. Nombreux sont les lieux
de culte qui leur sont dédiés. Songeons aussi aux prières qui leur sont adressées,
« prière contre les calamités, pour
apaiser les esprits malfaisants, pour obtenir le bonheur et la santé, le succès
dans les affaires »[6],
etc. Le bouddhisme n’ignore pas en effet l’efficacité de ceux qu’il invoque.
Quand les Mongols ont menacé d’envahir le Japon dans la seconde moitié du XIIIe
siècle, des moines bouddhistes japonais ont demandé à leurs divinités de
protéger l’île de leur invasion. Nous trouvons aussi des rites d’exorcisme au
moyen d’allumettes et de talismans. Vajrabondhi, maître tantrique, est notamment
réputé pour ses rites. Il est donc bien difficile de parler de tolérance des
divinités quand ils sont tant sollicités.
Les rites
et icônes des bouddhismes
Les
rituels ponctuent la vie du bouddhiste, quelle que soit l’école à
laquelle le bouddhiste appartient. « Les
rituels et la liturgie scandent la vie monastique »[7].
Ils se composent de trois séquences. La première consiste à délimiter une aire
dans laquelle l’officiant invite la divinité. Dans un second temps, il lui
présente des offrandes. Le rituel se termine par un renvoi. Pouvons-nous encore
dire qu’il ne s’agit qu’une tolérance à l’égard des divinités ? Le
bouddhiste attend en fait une aide des divinités qu’il évoque, cherche à
obtenir d’elle un bienfait et n’oublie pas de les remercier.
Une
notion particulière de la religion
Les
bouddhismes comportent donc des « divinités »,
des rites et des rituels, des icônes, etc., comme toute religion. Rien ne
semble manquer aux caractéristiques d’une religion. Pouvons-nous donc sincèrement
croire qu’ils ne sont qu’une sagesse pratique ou une philosophie, une
religion athée ou « non-théiste »
? Ils ne se réduisent pas non plus à une spiritualité. Quel sens donne-t-il
à la « religion » ?
Le président de l’Union bouddhique belge explique en quoi les bouddhismes ne forment pas une religion. « Nous ne sommes pas une religion : nous n’avons pas un dieu créateur. Chez nous, tout être sensible est un bouddha en puissance. »[8] En outre, ils se disent « non-théistes » puisqu’ils ne désignent aucune divinité comme étant un dieu suprême. Il est vrai que chaque école, voire chaque bouddhiste, choisisse leur divinité parmi toutes celles qui peuplent leur panthéon.
De
telles déclarations sont révélatrices d’une erreur fondamentale, voire d’une ruse.
Ce qu’il entend par religion est en fait les religions monothéistes que
sont le judaïsme, le christianisme et l’islam, qui ne professent qu’un Dieu, un
et créateur. Ils rejettent en fait toute comparaison avec ces religions. Le
bouddhisme ne fait pas en effet partie des religions monothéistes mais il
demeure une religion comme toute celles de l’antiquité.
« L'idée d'un bouddhisme athée est une
contrevérité (ou au mieux une demi-vérité) qui a la vie dure. Selon la première
doctrine bouddhique, en effet, l'athéisme est l'erreur qui consiste à tomber
dans un extrême. Cette idée résulte surtout des rationalisations et
extrapolations d'historiens inaptes à saisir le réel de la croyance dans toute
sa complexité. »[9]
Le
bouddhisme désintéressé des questions sur Dieu, au moins en théorie
En
fait, l’idée de l’existence de Dieu ou celle de son inexistence n’intéressent
guère le Bouddha historique. La question est pour lui sans réponse vérifiable.
Par conséquent, elle n’est qu’une perte d’énergie et de temps. Elle est inutile
pour obtenir le nirvana. Ainsi, le socle commun de tous les bouddhismes est
indifférent à la notion de « dieu ».
C’est
pourquoi dans son enseignement, il apparaît bien agnostique mais en pratique,
il ne s’oppose pas aux formes religieuses qui se sont diffusées. Le Bouddha
historique ne remet donc pas en cause la conception religieuse de ses
contemporains. Il ne fonde pas une nouvelle religion et n’instaure pas non plus
de nouvelles idées religieuses. Il n’en parle pas car cela ne sert à rien pour
la voie qu’il décrit. De manière pratique, le socle commun donne au bouddhisme sa
capacité à se mêler à toute religion qui ne se fonde pas sur la croyance d’un
dieu ou d’une divinité unique. Ils nous renvoient ainsi d’une part à ses
origines, c’est-à-dire au védisme dont le bouddhisme historique est issu, et
d’autre part à la conception du monde et de l’homme sur laquelle ils se
reposent tous.
Le
bouddhisme, aller à l’essentiel
Le
Bouddha historique n’a pas en effet fondé une nouvelle religion. Il
est profondément ancré dans celle de son époque. C’est pourquoi aussi il
n’en parle pas dans son enseignement. Comme l’enseigne le védisme, le bonheur
consiste à rompre le cycle de renaissance pour se diluer dans le nirvana. Il
se diffère du brahmanisme uniquement sur les moyens pour y parvenir, en y
écartant toute divinité. Naturellement, il fonde une communauté de moines
hors de laquelle il n’est guère possible de suivre la discipline nécessaire. Il
ne diffère donc pas de ce qui se faisait à son époque, si ce n’est le refus de
suivre l’exemple des moines brahmanes qu’il considère faux en raison de leur
excès et de leur ignorance sur les raisons de leur salut. Mais, la seule chose
qu’il importe au Bouddha historique, c’est toujours de rompre le cycle de
renaissance selon le védisme.
Le Bouddha
historique se veut plus pragmatique, ne pensant qu’à la voie permettant
de parvenir au nirvana. Refusant toute spéculation et toute métaphysique, il
n’insiste que sur les moyens pratiques pour atteindre ce que védisme croit être
le « bonheur », moyens qui
finalement ne dépendent que de soi. Quoique les bouddhistes prient leurs dieux
et déesses, ces dernières importent peu pour la quête du nirvana selon l’enseignement
du socle commun. Tout n’est que la conséquence naturelle de leur existence. Si
l’individu n’épuise pas en lui la soif de vivre par ses propres efforts, il est
condamné à renaître. Notons avec précaution que son « salut » ne semble
pas dépendre de la moralité de ses actions ou encore du mérite qu’il a pu
acquérir. Le « salut » ne vient que de lui, en lu et pour lui.
C’est une des profondes différences avec les religions monothéistes.
Mais
le bouddhisme reste attaché au védisme
N’oublions
pas que le Bouddha historique réagit contre les excès du brahmanisme
tels qu’il les a connus auprès des moines brahmanes. C’est donc naturellement
qu’il fonde une communauté de moines dont la discipline et le code de vie
s’opposent à celle des communautés brahmanes. N’oublions pas que le sentier
du milieu n’était destiné qu’aux moines. En effet comme le brahmanisme, il
reconnaît deux états, celui du « moine »
qui peut atteindre l’Éveil, et celui du « laïc », qui ne peut qu’être à la porte de l’Éveil. L’universalisme
tant vanté des défenseurs du bouddhisme est très étroit.
Le
bouddhisme, voué à la division
Est-ce
un hasard qu’au début de l’ère chrétienne, apparaît le bouddhisme
Mahayana ? Celui-ci insiste davantage sur la compassion à l’égard des
autres et sur le précepte des bonnes actions, notions absentes dans la forme
originelle du bouddhisme, plus ancrée sur l’obtention personnel du nirvana à
partir de soi. À l’amélioration de soi prônée par le bouddhisme historique, il
rajoute six perfections.
Conclusions
Certes,
des formes de bouddhismes plaisent en raison de leur « libéralisme doctrinal » et des vertus qui semblent rayonner de leurs adeptes,
attirant ainsi de nombreux Occidentaux en proie au mal-être, mais hors de
cette conception religieuse de la vie, polythéiste et cyclique, tout n’est que
malentendus et illusions. Tout n’est qu’incohérence.
Le
dialogue interreligieux ne signifie pas qu’il faut refuser de réfléchir de peur
de déplaire ou de prendre position. Tout vrai dialogue se fonde sur
l’honnêteté intellectuelle sans laquelle il n’est que duperie,
hypocrisie et mensonge. Les faux-semblants, les compromis ou les
déclarations ambiguës, aux multiples sens sont des signes évidents de mépris à
l’égard des fidèles et de ceux qui y adhèrent. Nous sommes bien éloignés de la
véritable charité…
Notes et références
[1] Voir Émeraude,
octobre 2020, article « Les bouddhismes traditionnels : connaissances
élémentaires. Diversité et socle commun ».
[2] Le terme de
bouddhisme est parfois employé au singulier, non pour marquer une unité mais
par pure commodité.
[3] Voir Christophe
Carpentier, article Le bouddhisme en passe d’être reconnu, SudPresse, 21 avril 2017.
[4] Matthieu Ricard, Le
bouddhisme est-il une religion ?, 28 mai 2009, matthieuricard.org.
[5] Philippe Corine, cité
par rtbf.be, article Le bouddhisme, philosophie ou
religion ?, 28 mai 2019.
[6] Bernard Faure, Bouddhisme,
édition Liana Levi, Paris, 1997.
[7] Bernard Faure, Bouddhisme,
[8] Carlo Luycks, dans Le
Bouddhisme, une philosophie non confessionnelle ou une religion ?,
Claire Lesegretain, 22 avril 2017, La Croix, la-croix.com.
[9] Bernard Faure, Bouddhisme,
philosophie et religion dans Stoïcisme et bouddhisme, une réflexion des
origines à nos jours, Pierre Haaese, thèse de philosophie, épistémologie, pour le grade de
docteur de l’université de Reims Champagne Ardennes, 12 décembre 2016.
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