Les paroles de Notre
Seigneur Jésus-Christ peuvent nous paraître étranges par leurs ambiguïtés.
Certains commentateurs ou libres penseurs usent de ces prétendues
contradictions pour défendre et diffuser des erreurs ou pour réfuter l’enseignement
de l’Église. Certes, nous dit-on, Il a institué Saint Pierre comme chef de
l’Église, comme pierre de fondement de l’édifice qu’Il a fondé. Mais ces
paroles ne concernaient que « Simon
appelé Pierre » au début de l’aventure. Cela est même normal
puisqu’aucun architecte sérieux ne peut construire une maison sur du sable. Or
une parole adressée à Saint Pierre ne peut guère concerner les hommes qui l’ont
succédé. Ils prétendent alors qu’il n’est pas possible de faire reposer les
pouvoirs du pape sur la Sainte Écriture. En fait, nous affirment-ils, les événements historiques ne seraient que
la véritable origine du pouvoir pontifical. Face aux empereurs et princes
qui voulaient s’imposer, les papes auraient affermi leur position. Ainsi, s’ils
adhèrent désormais à la primauté de Saint Pierre, chose que leurs aînés ont
souvent reniée, ils remettent plutôt en
question la primauté pontificale.
Un tel discours peut nous surprendre.
Il est en effet bien difficile de l’entendre quand nous méditons sur les
paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est encore plus surprenant quand
nous connaissons les premiers textes chrétiens, les lettres de ceux qui ont
connu les apôtres, les écrits des premières communautés. Ils indiquent tout le
contraire. Que faut-il alors entendre ? Ou plutôt qui faut-il
entendre ?...
La primauté de Saint Pierre,
un sujet qui n’est plus d’actualité
Icône du VIe siècle
Monastère de Sainte-Catherine du Sinaï
|
Dans le passé, la primauté de Saint Pierre a en effet fait
l’objet de sérieuses contestations et de
nombreuses objections. On a remis en cause les paragraphes des textes
évangéliques qui la justifient. Après le travail de nombreux experts, défenseurs
de la foi, leur authenticité est dorénavant admise sans aucune difficulté. On s’est aussi
attaqué aux interprétations des paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Mais grâces
aux méthodes critiques, leur véracité a été démontrée. Enfin, on a refusé
l’idée que Saint Pierre puisse être évêque de Rome, usant parfois de la
prééminence de Saint Paul dans les écrits sacrés.
Ne soyons pas dupes. En
remettant en cause la primauté de Saint Pierre, on n’essayait pas d’attaquer
réellement l’enseignement de l’Église sur ses origines mais on tentait plutôt de
remettre en question la primauté pontificale. Telle était la véritable cible de leurs attaques. Si on montre en effet que la
primauté de Saint Pierre est erronée, ou simplement d’origine humaine, la
primauté des papes perd inévitablement toute légitimité. Elle devient un fruit
de l’histoire ou des hommes. Leur attaque est instructive. Par leur insistance, elle souligne, sans
doute à leur dépend, le lien fondamental qui unit la primauté de Saint Pierre à
celle des papes. L’autorité du second perd toute valeur si la première n’est
pas justifiée. Certes, l’attaque a avorté. On ne peut guère rejeter l’évidence :
Saint Pierre a bien été institué chef des Apôtres par Notre Seigneur
Jésus-Christ, pasteur de tous les fidèles.
Aujourd’hui, l’attaque est plus directe. Elle porte dorénavant sur le lien qui relie Saint Pierre au pape.
Une objection, qui pourrait nous paraître naïve, est souvent relevée, surtout
depuis la révolte de Luther. Elle a encore plus de force de nos jours dans
l’ignorance ambiante où nous sommes, ignorance qui est finalement la
force même de ces attaques. Selon cette objection, Notre Seigneur Jésus-Christ
ne parle jamais du pape. Aucun écrit de la Révélation ne l’évoque. N’ayant
aucune justification dans la parole divine, la primauté pontificale ne serait
alors que le fruit de l’histoire. Elle est uniquement d’origine humaine.
La nécessité de l'évolution, porteuse de progrès ?
Le raisonnement ne s’arrête
pas là. Ne méprisons pas en effet l’intelligence de nos adversaires. Si la primauté est
née de l’histoire et s’est développée selon les circonstances, le gouvernement de
l’Église peut alors continuer à évoluer pour qu’il s’adapte de nouveau aux
situations et aux événements dans le but d’être toujours efficace. Rien n’est
figé. Le dynamisme est même preuve de vitalité. L’important est en effet de
marcher, toujours marcher et encore marcher. Seul compte le progrès, nous dit-on encore
aujourd’hui. Parfois, en écoutant certains discours, nous avons l’impression de
revenir dans un passé peu lointain et peu glorieux. On néglige les belles et
dramatiques leçons de l’histoire. Évidemment, nos adversaires veulent que l’Église
marche dans la direction qu’ils ont eux-mêmes désignée et sur la voie qu'ils ont tracée. Il n’y a progrès à leurs
yeux que s’il répond à leurs attentes. Sinon ils en appellent à l’aveuglement, au
passéisme, à l’obscurantisme, voire au fanatisme. On ridiculise. On méprise. On
diabolise. Certes, ils en appellent à la tolérance mais ils en usent pour faire
taire leurs adversaires. Certes, ils semblent respecter les idées de chacun
mais ils refusent qu’elles se répandent ou qu’elles portent le moindre signe de
véracité. Tout est relatif et subjectif, nous dit-on, sauf leurs propres
philosophies, leurs propres opinions. L’ignorance et le silence réconfortent
alors leur hégémonie.
La promesse toujours vivante
XVIe siècle Marco Zoppo |
Revenons pourtant aux paroles de
Notre Seigneur Jésus-Christ. Il ne donne pas seulement une fonction
particulière à Saint Pierre avec des pouvoirs, Il lui fait aussi une promesse.
« Aussi moi je te dis que tu es
Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne
prévaudront point contre elle. » (Matth., XVI, 18) Entendons bien ces
paroles. « Les portes de l’enfer ne
prévaudront point contre elle. » Elles vont au-delà de Saint Pierre et
de ceux qui l’écoutent. Elles nous atteignent encore aujourd’hui.
L’Église est et demeurera à l’abri
des forces du mal. Telle est la promesse de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et cette promesse s’appuie sur un roc, sur Pierre. L’indéfectibilité de l’Église est
indubitablement liée à Saint Pierre. Que devient alors cette promesse si Saint
Pierre n’est plus. Un homme peut-il à lui-seule assurer ce rôle
fondamental ? Il est voué à la mort, à la perdition, à l’impuissance. De
même, quand Notre Seigneur Jésus-Christ envoie ses apôtres pour convertir les
hommes, croie-t-Il vraiment que les douze qu’Il a choisis suffisent à changer
le monde durant les quelques années qu’il leur reste ? Enfin, Notre
Seigneur Jésus-Christ ne leur cache pas les souffrances qu’ils devront endurer.
Saint Pierre n’ignore pas son martyr. Toutes ces promesses seraient donc
absurdes si elles n’étaient limitées qu’au temps des premiers apôtres et qu’aux
hommes auxquels elles s’adressent directement. La Sainte Écriture n’est pas une
pièce de musée constituée de lettres mortes.
Faut-il aussi s’arrêter aux
Évangiles ? Les Actes des Apôtres et les Épîtres
sont aussi à prendre en compte. Ils nous décrivent les premiers pas de
l’Église. Ils approfondissent et éclairent l’enseignement de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils
appartiennent pleinement à la Sainte Écriture, à la Révélation. Ces textes sont
sources de notre foi. Certains cherchent à les relativiser, n’y voyant qu’une
perception des apôtres, qu’une interprétation toute relative des Paroles de
Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est alors oublier la promesse divine. C’est
rejeter ce qu’auparavant on avait admis.
Et que font les
apôtres ? Que fait cette Église indéfectible ? Les apôtres fondent
des communautés de fidèles qui appartiennent à la même Église, l’Église qui est
à Corinthe, à Éphèse, à Thessalonique, etc. Et que font-ils ? Ils
choisissent des hommes qui porteront le titre d'évêques.
Le terme d'« évêques »
Le terme « évêque » provenir très probablement du
terme grec « episkopos »
qui signifie « surveillant, gardien,
protecteur ». Il est aussi proche, dans la langue grecque, de deux
verbes, « episkeptomai »
(« visiter, examiner ») et « episkopeo »
(« regarder, inspecter »).
Dans la version des Septante, nous trouvons aussi le terme de « episkope » pour désigner la « visite de Dieu ». Cette visite peut être un
événement heureux. Dieu se souvient de son peuple et Il vient à son secours, le
libère. Il peut être aussi un terrible jugement et donc un événement
redoutable. La « visite de Dieu »
indique donc que Dieu se met en présence de l’homme. Le terme se retrouve dans
le Nouveau Testament dans un même sens. Mais il s'enrichit aussi d'un sens
nouveau.
Dans les Actes
des Apôtres, le terme d’« évêque »
est plutôt pris dans un sens général. Il est utilisé pour désigner plutôt une
tâche réservée aux chefs des communautés. Il est alors synonyme au terme de « presbytre » (« presbuteros »),
qui donnera plus tard celui de « prêtre ».
Parlant aux anciens d’Éphèse, Saint Paul les avertit des dangers qui menacent
la foi. « Prenez donc garde à
vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint Esprit vous a établis
évêques, pour paître l’Église du Seigneur, qu’Il s’est acquise par son propre
sang. » (Actes des Apôtres, XX, 28) Il est employé pour désigner l’acte
même de « veiller, surveiller »,
c’est-à-dire de régir, ou celui qui est désigné pour remplir cette mission. Il
est rattaché aux mots de « troupeau »,
« paître ». La mission
ressemble à celle du berger qui veille sur son troupeau. C’est pourquoi Saint
Pierre utilise aussi le terme d’« évêque »
pour désigner Notre Seigneur Jésus-Christ car Il est bien « le pasteur et l’évêque de nos âmes »
(I
Pierre, II, 25).
Dans ses épîtres, Saint Paul
s’adresse aux « évêques »
comme les chefs des communautés ou comme des prêtres. Il en définit les qualités
à plusieurs reprises. « Il faut donc
que l’évêque soit irréprochable » (I Timothée, III, 2), nous
dit-il. Il doit prendre soin de l’Église. « Si quelqu’un ne sait pas gouverner sa propre maison, comment
prendra-t-il soin de l’Église de Dieu ? » (I Timothée, III, 5) Le terme d’« évêque » semble être flou.
L'établissement des « évêques » successeurs des apôtres
Saint Paul
établit aussi Tite pour qu’il achève ce qu’il a organisé dans la ville de Crète. Il
doit aussi établir des anciens dans chaque ville. « Il faut que l’évêque soit irréprochable, comme étant un économe de Dieu »
(Tite,
I, 7) L’épître qu’il lui adresse lui donne des instructions sur le gouvernement
des fidèles. Tite apparaît donc comme un personnage important, supérieur aux
« anciens » et aux « prêtres ». Le titre et la fonction
d’« ancien » est repris du
judaïsme. Dans leur organisation, les Juifs nomment des « anciens » ceux qui se trouvent dans
le Sanhédrin et à la tête des synagogues.
Saint Paul institue aussi
Timothée, son « enfant légitime
dans la foi » (I Timothée, I, 2), comme évêque. Il
lui demande de veiller sur la doctrine et son enseignement. Le terme pour le
désigner prend alors tout son sens. Comme pour Tite, Timothée apparaît comme un homme important, reconnu par l’ensemble de la communauté, y
compris par les anciens. Saint Paul le distingue aussi des « presbytes » c’est-à-dire de prêtres.
Il lui demande en effet de veiller sur eux afin qu’ils « gouvernent bien, soient jugés dignes d’un
double honneur, surtout qui travaillent à la prédication et à l’enseignement. »
(I
Timothée, V, 17) Il leur impose les mains. Il doit les reprendre
lorsqu’ils manquent à leurs devoirs. « O
Timothée, garde le dépôt, évitant les discours vains et profanes, et les
controverses d’une science qui ne méritent pas ce nom » (I
Timothée, VI, 20) Ainsi, dans ces premières communautés, le groupe des
prêtres est sous l’autorité de l’« évêque ».
Finalement, dans le Nouveau
Testament, si le terme d’« évêque »
est parfois utilisé pour désigner ceux qui veillent et surveillent, comme tout
chef de communauté, par exemple les prêtres, il apparaît clairement que
certains d’entre eux se présentent comme de véritables évêques, véritable chef
d’une église, qui doit veiller sur les prêtres et les diacres comme sur les
fidèles. Saint Paul en a lui-même institué pour l’organiser. Tite et Timothée
en sont des exemples. Ils sont porteurs du dépôt de la foi, de l’orthodoxie de
la doctrine. Dans les épîtres de Saint Paul, nous sentons dans l’établissement
des évêques une volonté de continuité. Tite et Timothée sont bien les
représentants des apôtres, responsables de l'Eglise localisée dans un lieu. Eux-mêmes doivent établir leur successeur.
L’institution des évêques
selon le témoignage des pères apostoliques, Saint Clément puis Saint Ignace
Avant de poursuivre,
rappelons que Saint Clément est évêque de Rome (93-97) à la fin du Ier siècle,
et que Saint Ignace est évêque d’Antioche (107-117). Ils ont connu des Apôtres.
C’est pourquoi ils portent le titre de « père apostolique ». Leur témoignage est donc précieux pour
connaître l’organisation de l’Église au premier siècle et la doctrine entre la
fin du premier siècle et le début du second, c’est-à-dire au lendemain du temps
des apôtres…
Saint Clément de Rome est le
plus proche. Il nous apporte un témoignage encore plus précieux. Il dit en
effet aux Corinthiens que les apôtres ont établi des évêques, les reliant aux
promesses de la Révélation. Le terme qu’il emploie est le même que celui de
Saint Paul. « À travers les campagnes
et les villes, ils proclamaient la parole, et c’est ainsi qu’ils prirent leurs
prémices ; et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils les
établirent évêques et diacres des futurs croyants. Et ce n’était pas là chose
nouvelle : depuis de longs siècles déjà l’Écriture parlait des évêques et
des diacres ; elle dit en effet : J’établirai leurs évêques dans la
justice, et les diacres dans la foi (Isaïe, LX, 17). »[1]
La Septante
utilise le terme d’épiscope et parle de « gouverneur ». Saint Clément force probablement le texte du
prophète. Il rappelle aussi que Moïse a choisi une tribu, celle des Levi, pour
exercer le sacerdoce et le service du culte. Il a fait ainsi pour éviter les
désordres car « la jalousie surgit à
propos du sacerdoce »[2].
Saint Clément évoque aussi
cette raison pour expliquer l’établissement des évêques. « Nos Apôtres aussi ont su qu’il y aurait des
contestations au sujet de la dignité de l’épiscopat. C’est pourquoi, sachant
très bien ce qui allait advenir, ils instituèrent les ministres que nous avons
dit et posèrent ensuite la règle qu’à leur mort d’autres hommes éprouvés
succéderaient à leurs fonctions. »[3]
Saint Clément précise surtout
que « d’autres personnages éminents »[4]
ont aussi établi des évêques sans nommer leur titre. Ces « personnages éminents » désignent probablement
ceux qui ont été établis par les apôtres, comme Timothée et Tite. Plus loin, il
évoque les « presbytres » [5]
mais selon certains commentateurs, ils s’agiraient des ministres qui ont reçu
la dignité de l’épiscopat. Il semblerait alors que la terminologie n’est pas
encore bien définie. Il est toujours difficile de distinguer l’évêque (« episkopos ») du presbytre (« presbuteros ») même
si leur rôle apparaît clairement.
Saint Ignace, évêque
d’Antioche, est nettement plus clair dans ses lettres. Il décrit une organisation
plus avancée dans l’Église. Les termes « episkopos » et « presbuteros »
désignent bien deux autorités distinctes, le premier, chef de l’Église locale,
le second, prêtres. Il parle notamment d’Onésime qui a été envoyé par les
chrétiens d’Éphèse. Il est leur « évêque
selon la chair »[6],
sans doute par opposition à l’évêque selon l’Esprit qui est Notre Seigneur
Jésus-Christ. Il nous renvoie à Saint Pierre qui désigne aussi Notre Seigneur
Jésus-Christ comme « pasteur et
évêque » de nos âmes. Puis plus loin, il parle du « presbyterium », c’est-à-dire le
collège des prêtres, qui est « accordé
à l’évêque comme les cordes à la cithare »[7].
Il y a bien une distinction entre les deux charges, les prêtres relevant de
l’autorité de l’évêque.
Saint Ignace nous rappelle
aussi les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ. Comme Il est uni au Père,
« les évêques, établis jusqu’aux
extrémités de la terre »[8],
sont unis à Lui, nous dit-il. Notre Seigneur Jésus-Christ parlait aussi de
l’unité des apôtres en Lui. L’évêque est aussi celui qui est envoyé par le
maître de maison pour administrer sa maison. « Donc il est clair que nous devons regarder l’évêque comme le Seigneur
Lui-même. »[9]
Il perpétue son œuvre comme les apôtres ont été envoyés pour la poursuivre. Ainsi devons-nous obéir à
l’évêque puisqu’il représente Notre Seigneur Jésus-Christ. « Il convient d’obéir sans aucune
hypocrisie ; ce n’est pas cet évêque visible qu’on abuse, mais c’est
l’évêque invisible qu’on cherche à tromper. » [10]
Saint Ignace nous parle ainsi de chrétiens qui ne sont pas unis à leur évêque.
Il prône donc l’unité des fidèles en l’évêque. « Tous
ceux qui sont à Dieu et à Jésus-Christ, ceux-là sont avec l’évêque »[11].
Il faut donc s’attacher à l’évêque si nous voulons demeurer en Jésus-Christ. Et
finalement, « que là où paraît
l’évêque, que là soit la communauté, de même que là où est Jésus-Christ, là est
l’Église catholique. »[12]
Saint Ignace réclame donc
clairement l’unité pour chaque communauté. Elle doit se serrer autour de son
évêque, du presbyterium et des diacres. L’évêque est au centre de cette unité.
« Il est le premier auteur en qui
l’on trouve nettement marqué l’épiscopat unitaire, c’est-à-dire la suprématie
de l’évêque sur le corps des prêtres et sur les diacres. »[13]
Il en est le centre doctrinal et disciplinaire comme il en est aussi le centre
liturgique.
L’évêque de Rome
Début de la Première épître de Clément
Édition gréco-latine d'Oxford (1633)
|
Comme nous venons longuement de l’évoquer,l’évêque est d’origine apostolique. Il perpétue l’œuvre de l’apôtre mais de
manière locale, auprès d’une communauté bien définie pour lequel il a été
établi. Pouvons-nous aussi le dire de l’évêque de Rome, successeur de Saint
Pierre ? N’est-il que l’évêque de Rome comme Saint Ignace est celui
d’Antioche ou Saint Irène, celui de Lyon ?
Remarquons que dans sa
lettre, Saint Clément parle aux Corinthiens avec autorité et charité. Il leur
écrit pour mettre fin à une discorde qui les divise. Certains fidèles se sont en
effet unis pour destituer les « presbytères ».
L’évêque de Rome y intervient pour ramener la paix et la soumission aux
pasteurs légitimes. Son intervention paraît en outre naturelle. « Il parle avec une autorité frappante,
nettement, en homme qui veut être obéi. »[14]
A-t-il été consulté ou agit-il de sa propre initiative ? Nous l’ignorons.
Qu’importe. La lettre est un premier témoignage indubitable du primat de l’évêque de
Rome.
Dans la lettre aux Romains,
Saint Ignace décrit l'Eglise de Rome comme « l’Église qui
préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d’honneur, digne
d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de
pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom
du Père »[15]
Notons bien les termes. Remarquons en effet que l'Église de Rome ne préside pas sur la région des Romains mais bien
dans la région romaine. Les mots employés n’indiquent pas les limites de la présidence
de l’Église romaine mais le lieu où elle est établie. Elle préside dans la
ville de Rome.
Ensuite, examinons le terme de « charité » qu'il utilise. Dans quel sens Saint Ignace l'emploie-t-il ? Plus loin, dans la
même lettre, il parle de « la
charité des Église »[16]
qui l’ont reçu. Dans sa lettre aux Philadelphiens, il désigne
l’Église par l’expression « la
charité des frères »[17].
Dans une autre, une expression similaire, « charité des Syriens et des Éphésiens » [18],
est utilisée pour désigner la communauté des chrétiens. Ainsi il est bien probable que Saint
Ignace emploie le terme de « charité »
dans ce cas concret lorsqu’il définit l’Église romaine comme présidant à la
charité. Est-ce une allusion à la prééminence à l’Église de Rome ? Tous
ces qualificatifs semblent aussi le faire croire. Plus loin, il rappelle
qu’elle a enseigné les autres Églises[19].
Conclusions
Saint Pierre sur le trône et
six scènes de la vie de Jésus et de Saint Pierre
Église San Pietro in Banchi à Sienne, 1280
Maestro di San Pietro
|
Certes le terme d’« évêque » n’est pas encore bien
défini dans les épîtres de Saint Paul et dans l’épître de Saint Clément mais
ces mêmes textes montrent clairement que les apôtres ont investi des hommes
éminents pour les représenter et pour diriger les communautés qu’ils ont fondées.
Eux-mêmes ont à leur tour imposé de leurs mains leur successeur. Au temps de
Saint Ignace d’Antioche, le rôle de l’évêque est assez net en Orient. À la fin
du IIe siècle, il est considéré comme le représentant de Notre Seigneur
Jésus-Christ, dépositaire du dépôt de la foi. Saint Ignace d’Antioche insiste
sur l’obligation de s’unir à lui pour être uni à Notre Seigneur Jésus-Christ. Là
où est l’évêque, là est l’Église, nous dit-il. Il est le signe visible de
l’Église. Il est son chef visible.
Pourtant, contrairement aux
apôtres, les évêques ne gouvernent que l’Église qui réside dans un lieu
déterminé et ne peuvent prétendre détenir la vérité. Ils sont bien les chefs de
l’Église qui est dans tel lieu. Son autorité est donc restreinte à un
territoire. Cependant, l’un d’entre eux émerge de manière évidente : l’évêque de Rome. Il est à la tête de l’Église qui préside dans la ville de Rome, lieu de son siège. Son
autorité s’exerce au-delà de Rome comme nous le voyons en pratique dans
la lettre de Saint Clément aux Corinthiens. Saint Ignace, évêque d’Antioche, reconnaît aussi
son rôle prééminent. Enfin, il est, aux yeux de Saint Irénée, l’autorité de
référence en matière de doctrine. Elle s’impose aussi en matière de discipline.
La primauté de l’évêque de Rome est ainsi clairement reconnue dès la fin du IIe
siècle. Il dépasse tous les autres évêques.
Le premier rang qu’a tenu
Saint Pierre au temps des apôtres est ainsi tenu par ses premiers successeurs,
les papes. Cela ne fait que confirmer ce que Notre Seigneur Jésus-Christ a
promis. « Aussi moi je te dis que tu
es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer
ne prévaudront point contre elle. » (Matth., XVI, 18)
L’indéfectibilité de l’Église est indubitablement liée à Saint Pierre,
c’est-à-dire à sa fonction. Sa charge de pasteur suprême est perpétuelle en la
personne de l’évêque de Rome afin que l’œuvre de la Rédemption se perpétue dans
le monde entier aussi longtemps que Dieu le voudra. La primauté pontificale se
trouve ainsi dans la Parole divine dès la fondation de l’Église. Elle prend
forme dans les premiers temps au fur et à mesure que l’Église s’étend dans le
monde, qu’une hiérarchie se déploie. N’oublions pas que ces premières heures
sont des heures de discrimination, de souffrance et de persécution. Les
premières hérésies se développent aussi que les discordes. Pourtant, il est
clair que l’évêque de Rome, successeur de Saint Pierre, agit et est reconnu
comme au-dessus de tous les évêques. Contrairement aux idées reçues, sa
primauté ne date pas du IVe siècle quand l’Empire romain se convertit au
christianisme ou lorsque les papes doivent affermir leur autorité face aux
prétentions des Empereurs et rois chrétiens…
Notes et références
[2]
Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLIII, 2.
[3]
Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLIV, 1-2.
[4]
Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLIV, 3.
[5]
Saint Clément, Épître aux Corinthiens, XLIV, 5.
[6]
Saint Ignace, Lettre aux Éphésiens, I, 3.
[7]
Saint Ignace, Lettre aux Éphésiens, IV, 1.
[8]
Saint Ignace, Lettre aux Éphésiens, III, 2.
[9]
Saint Ignace, Lettre aux Éphésiens, VI, 1.
[10]
Saint Ignace, Lettre aux Magnésiens, III, 1.
[11]
Saint Ignace, Lettre aux Philadelphiens, III, 2.
[12]
Saint Ignace, Lettre au Smyrniotes, VIII, 18.
[13]
J. Tixeront, Histoire des Dogmes, Tome I, La théologie anténicéenne,
Librairie Victor Lecoffre, 1909.
[14]
Daniel-Rops, L’Église des apôtres et des martyrs, V, Fayard, 1943.
[15]
Saint Ignace, Lettre aux Romains, Introduction.
[16]
Saint Ignace, Lettres aux Romains, IX, 3.
[17]
Saint Ignace, Lettre aux Philadelphiens, XI, 2.
[18]
Saint Ignace, Lettre aux Taliens, XIII, 1.
[19]
Voir
Lettre aux Romains, Saint Ignace, III, 1.
[20] L'article Émeraude, juin 2014, article "Des Apôtres aux Docteurs de l'Église". Il donne quelques informations sur les Pères apostoliques.
Liste des preuves de la Papauté au premier millénaire : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2017/11/28/la-papaute-depuis-les-apotres/
RépondreSupprimerListe des preuves de la Papauté au premier millénaire : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2017/11/28/la-papaute-depuis-les-apotres/
RépondreSupprimerArticle sur le cas de saint Clément de Rome : https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2017/08/28/la-primaute-romaine-des-le-ier-siecle-la-lettre-de-clement-de-rome-aux-corinthiens/