Après
une brève description étymologique et historique, nous allons étudier le rôle
de l’autel dans la sainte messe.
L’autel,
lieu élevé au centre du culte sacrificiel
Les païens
distinguaient deux types d’autels :
l’ « ara » et
l’ « altare »[3].
L’ « ara » était un
petit autel soit domestique, dédié aux divinités du foyer et aux libations
réalisées en l’honneur des défunts, soit dédié à des cultes inférieurs. Nous
pouvons par exemple mentionner l’ « ara pacis »[4],
l’ « ara victoria »[5] ou
encore l’ « ara Ammonis »[6]. L’ « altare » était plutôt destiné aux
autels dédiés au culte des dieux supérieurs. De dimensions plus grandes, il
était un véritable monument. Généralement situé en plein air, souvent placé
devant le temple, il était habituellement de forme rectangulaire, en pierre ou
en marbre, et comporte des marches pour permettre d’accéder à une plate-forme.
L’autel
dans l’Ancien Testament
Dans
l’Ancien Testament, nous retrouvons à de nombreuses reprises le terme hébreu de
« Mizbeach », qui est
traduit par « autel ». Il
provient de la racine primaire « Zabach »
qui signifie « immoler »,
« égorger », « sacrifier ». « Noé battit un autel au Seigneur ; et
prenant de tous les quadrupèdes et de tous les oiseaux, il les offrit en holocauste[7]
sur l’autel » (Genèse, IX, 20). Abraham érige aussi
un autel pour accomplir le sacrifice
de son fils Isaac. Ils « arrivèrent
au lieu que Dieu lui avait indiqué. Abraham battit un autel, et déposa le
bois dessus ; et lorsqu’il eut lié Isaac son fils, il le mit sur l’autel,
au-dessus du tas de bois » (Genèse, XXII, 9). Il est aussi
édifié pour invoquer Dieu, « dans tout lieu dans lequel sera la mémoire
de mon nom ; je viendrai à toi et je te bénirai. » (Genèse,
XXII, 9). Il est placé là où Dieu est apparu. Le lieu privilégié pour ériger un
autel était un point élevé, une colline, une montagne.
Avant
la construction du Temple, nombreux étaient les autels en terre sainte. Les
patriarches en ont érigé de nombreux. En plus de celui qui devait servir au
sacrifice de son fils, Abraham en a bâti un à Shekem, un autre près de Béthel,
ou encore à Hébron. Plus tard, Isaac, Jacob et Moïse en ont élevé d’autres.
Finalement, c’était un geste naturel
d’élever un autel pour adorer Dieu. L’ancienne Loi finir par interdire les
autels particuliers pour ne pas favoriser la tendance naturelle du peuple hébreu
vers l’idolâtrie.
Notons
quelques caractéristiques de l’autel des Holocaustes. Par ses fonctions et son
onction, il est saint. Consacré par de l’huile sainte, il ne pouvait être
touché que par des prêtres. Pour y accéder dans le Temple, l’officiant devait
monter des marches d’escalier. Comme le tabernacle puis le Temple étaient
tournés vers l’est, le prêtre qui officiait était donc orienté « à l’orient devant le soleil » (Ezéchiel,
VIII, 16). Cette orientation était aussi celle des cultes païens par
symbolisme. Le lever du soleil pouvait manifester
davantage la puissance de la divinité. Par ailleurs, cette orientation
permettait d’éclairer l’autel au moment de la renaissance du jour. Soulignons
que lorsque nous évoquons l’orientation d’un autel, nous parlons de
l’orientation du prêtre qui accomplit l’acte cultuel.
La
sainteté de l’autel, objet sacré par excellence
Notre
Seigneur Jésus-Christ rappelle aux pharisiens la sainteté et l’importance de
l’autel puisque s’approcher de l’autel revient à s’approcher de Dieu. Nous retrouvons cette identification entre
l’autel et Dieu lui-même dans l’Ancien Testament. Dans leur exil, le peuple élu
se tournait leurs regards vers Jérusalem, la cité sainte, vers Dieu, soupirant
auprès du Temps et de ses autels au point de les confondre dans leur même
soupir. « Je viendrai jusqu’à
l’autel de Dieu ; jusqu’au Dieu qui réjouit ma jeunesse. » (Psaume
42, 4).
Par
ailleurs, Notre Seigneur Jésus-Christ précise que l’autel est plus important
que le sacrifice en lui-même. L’autel donne en effet sens et portée au sacrifice avant qu’il n’ait lieu. « Insensés et aveugles ! Lequel est le
plus grand : l’offrande ou l’autel qui sanctifie l’offrande ? »
(Matthieu,
XIII, 19).
L’autel
dans l’Eglise
L’autel
proprement dit est au sens strict[11] une
pierre, appelée pierre ou table d’autel ou encore pierre sacrée, plane rectangulaire
ou carrée, fixe ou mobile, qui seule est consacrée par l’évêque, sur laquelle
est offert le saint sacrifice de la messe, ou au sens large le meuble tout
entier avec les degrés, les gradins et le tabernacle. Au XIXe siècle, dans le langage
courant, l’autel comprend la pierre ainsi que son support. Il est composé de
trois parties : la table supérieure, les reliques qu’elle renferme et la
base.
Pour
pouvoir dire la messe sur un autel, celui-ci dans son ensemble ou uniquement la pierre d’autel doit être consacrée
suivant des règles liturgiques très précises. Il contient généralement des reliques enfermées dans une cavité,
appelée sépulcre, ou incrustées dans la pierre d’autel. Cette obligation, qui
date du IIIe siècle, provient d’un usage très ancien quand le saint sacrifice
de la messe était réalisé dans les catacombes sur la pierre tombale d’un martyr
pendant les persécutions. L’autel manifeste ainsi le lien entre le sacrifice de Notre Seigneur Jésus-Christ et celui de
ses fidèles.
Nos
églises contiennent de nombreux autels qui, selon leur fonction et leur
architecture, portent différents noms. Leur présence manifeste l’essor de la
dévotion aux saints, la multiplication des prières aux défunts et l’obligation
des prêtres de dire quotidiennement une messe. Parmi ces autels, se trouve le maître d’autel ou autel majeur,
c’est-à-dire l’autel principal d’une église, placé dans l’axe de la nef au sein
du chœur, le plus orné et monumental.
Autel de l'église d'Avenas, XIIe siècle (Bourgogne) |
Pourtant,
nous devons le souligner, la célébration de la messe face au peuple, qui
caractérise tant la nouvelle messe, dite de Paul VI, n’est pas une
obligation. Aucun texte officiel, ni même l’Ordo ne prescrit le prêtre à se
tourner vers le fidèle pendant la cérémonie. Comme dans beaucoup d’autres cas,
une possibilité est en fait devenue une loi, le plus souvent par mode…
L’autel,
« pierre angulaire » de l’église
Enfin,
de nombreux gestes manifestent son caractère
sacré comme l’illustrent les différentes marques de vénération et de
respect tels son encensement, l’inclination du prêtre et des fidèles en absence
de la sainte présence, les baisers du prêtre au cours de la messe… L’autel est
enfin réservé aux offices divins, tout autre usage profane étant interdit. Afin
de le laisser nu comme un tombeau, hors d’un office divin, aucun mobilier ni
objet ne devait reposer sur l’autel. Cela explique ainsi la présence d’un
retable.
L’autel
tourné vers l’Orient
Le
IVe siècle est une nouvelle ère pour le christianisme. Les chrétiens sortent en
effet de la clandestinité et peuvent librement
exercer leur culte. C’est donc le moment où des églises sont construites ou
dédiées au culte chrétien. Et dès ce temps-là, dans ces lieux de culte, le célébrant est naturellement orienté vers
l’est, symbole de la Jérusalem
céleste et de la seconde venue de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Lorsque nous nous levons pour prier, nous
nous tournons vers l’Orient, là où le soleil se lève. Non pas comme si Dieu
était là et avait abandonné les autres régions de l’univers … mais enfin que
l’esprit soit exhorté à se convertir à une nature supérieure, à savoir Dieu. »[16]
Si
l’église était tournée vers l’occident, comme les premières basiliques, le
célébrant se tournait successivement ver l’est et vers l’ouest, c’est-à-dire
dos au peuple ou face à lui. Et comme le montrent les églises d’Orient, le
devant de l’autel suscite le plus grand respect au point qu’aucun célébrant ne
lui tourne le dos.
Par
conséquent, lors de la célébration, le prêtre n’était jamais face aux fidèles,
l’ensemble étant tourné vers l’Orient. Enfin, notons qu’au moment de la
célébration, l’autel devait être caché aux fidèles par des courtines.
Par
conséquent, aucun argument historique sérieux
ne permet de justifier l’orientation de l’autel et du célébrant vers les
fidèles. La raison ne relève pas d’un retour à un christianisme dit
primitif ou à une purification du rite. Bien au contraire, cette orientation se
présente comme une rupture liturgique.
Dans la présentation générale du missel romain, il est précisé que l’autel doit
être placé de manière à faire « converger
spontanément l’attention de toute l’assemblée des fidèles » et de
permettre la célébration face au peuple[18]. Cette
nouvelle orientation se justifie-t-elle que par des raisons pédagogiques ?
Est-ce seulement un moyen pour tenter d’améliorer la « participation active » des
fidèles comme le suggéraient certains réformateurs liturgiques[19] ? La
même présentation mentionne que le prêtre tient un rôle de président[20], et à
ce titre, sa place la plus appropriée est d’être face au peuple. La nouvelle
orientation de l’autel relève donc d’un
changement théologique, portant sur la liturgie, l’Eglise mais aussi sur le
prêtre…
Sacrifice
ou banquet ?
Le
terme de « table » est
associé à l’idée de « banquet » auquel est invité le
fidèle et à celle de « nourriture » qui lui est offerte.
La nouvelle messe cherche ainsi, comme le mentionne la présentation du missel
romain, à mettre davantage en lumière « le signe du banquet eucharistique »[21].
Rappelons que « la messe dresse la
table […] du Corps du Christ, où les
fidèles sont […] restaurés. »[22]
Les
termes d’ « autel » et
de « table » désignent donc
un même objet mais aussi deux actes qui
se réalisent au cours de la messe, le
saint sacrifice et la communion. Cependant, n’oublions pas que la « table de communion » existe aussi
dans la messe dite de Saint Pie V. Elle désigne le lieu où le fidèle reçoit la
sainte Eucharistie. Mais contrairement à la nouvelle messe, elle est distincte
de l’autel et n’occupe pas une place majeure dans l’espace de l’Eglise. Sa
place secondaire montre en fait une réalité : la communion et la sanctification qu’elle implique selon la
disposition du fidèle qui la reçoit ne sont que les effets du saint sacrifice qui s’opère sur l’autel. La Présence
réelle présente dans le tabernacle sur l’autel est ordonnée immédiatement au
saint sacrifice. Le saint sacrifie justifie toute la dévotion à l’égard de la
Présence réelle. Sans sacrifice, il n’y
a point de messe comme la messe subsiste même si aucun fidèle ne communie.
Ainsi, « le mystère eucharistique –
sacrifice, présence, banquet – n’admet ni réduction ni manipulation, il doit
être vécu dans son intégrité »[23].
Et
l’autel dans les religions protestantes ?
C’est
pourquoi les autels furent détruits et remplacés par des tables de bois
couvertes d’une toile de lin et placées dans le chœur. Comme l’expliquait le
conseil du roi anglais à l’évêque de Londres, « un autel est destiné à un sacrifice ; une table est destinée à ce
que les hommes y prennent part au repas. »[25] La messe est finalement le mémorial de la
Cène. Ainsi, le terme de « messe »
est remplacé par celle de « Cène ».
L’autre
changement qu’opèrent les protestants, au moins pour ceux qui croient encore au
sacrifice de la messe, comme les luthériens, est la fin de la multiplicité des autels au sein d’un édifice religieux
afin de signifier l’unité de célébration
par une communauté.
Enfin,
l’autel ou la table n’est plus le centre
de l’église. La chair est en effet devenue un élément essentiel d’un temple
ou d’une église protestante pour signifier le rôle déterminant de la
prédication. Parfois monumentale, elle peut être placée au-dessus de la table.
Au XIXe siècle, la communion était parfois réalisée au moment où l’officiant
lisait des textes bibliques, dévalorisant ainsi la réception du pain et du vin
ainsi que leur consommation. Cependant, depuis la fin de la seconde guerre
mondiale, les tables de communion ont repris leur place et visibilité, devenant
notamment plus massives et ressemblant davantage à des autels.
Conclusions
Quand
nous parlons d’autel, nous songeons naturellement à un sacrifice qu’offre l’homme à une divinité dans le cadre d’un
culte religieux comme le montre notre histoire antique. Il est aussi naturel
d’employer ce terme pour évoquer le culte du peuple élu à l’égard du véritable
Dieu. De même, lorsque les chrétiens ont mis en place la liturgie au IVe siècle,
ils ont aussi employé ce terme pour désigner le lieu où s’accomplit le saint
sacrifice de la messe.
Le
terme de « table » évoque
plutôt un repas ou encore un partage.
Il nous renvoie donc à la dernière Cène quand Notre Seigneur Jésus-Christ a
institué le sacrement de l’Eucharistie. La nouvelle messe dite de Paul VI
cherche ainsi à souligner l’importance du mystère de l’Eucharistie en mettant davantage en valeur la
« table du Seigneur » et le
banquet eucharistique au risque de
mettre au même plan la cause et l’effet, c’est-à-dire le saint sacrifice de la
messe et la communion.
Différentes mesures, comme la célébration face au
peuple, la suppression des autels secondaires ou encore l’aspect festif de la
cérémonie au détriment du sacré, laissent
penser que la messe est ordonnée à la communion. C’est ainsi qu’aujourd’hui
il n’est pas rare d’entendre que la messe n’est plus un sacrifice mais le signe
d’un partage ou d’une église qui se réalise ! Récemment encore, une
théologienne dite catholique s’insurgeait contre la conception « ringarde » de la messe comme
sacrifice. Des papes ont déploré des abus depuis le deuxième concile du
Vatican. « Parfois se fait jour une
compréhension très réductrice du Mystère eucharistique. Privé de sa valeur
sacrificielle, il est vécu comme s’il n’allait pas au-delà du sens et de la
valeur d’une rencontre conviviale et fraternelle. »[26]
Notes et références
1]Voir Instructionalis generalis,
2002, Présentation générale du Missel romain, trad. fr. de 2007 (www.vatican.va). Les deux termes
y sont présents. Elle mentionne une équivalence entre « autel » et « table du Seigneur » (n°49).
[2]Voir Instructionalis generalis,
2002, Présentation générale du Missel romain,). Il est précisé que
l’autel pourrait être déplacé et non détruit sous réserve de ne pas dénaturer
sa valeur artistique. Dans nos églises, cette règle n’a pas toujours été
respectée.
[3] Voir L’autel : fonctions, formes
et éléments, Joël Perrin, journal.openedition.org, https://doi.org/10.40000/insitu.1049.
Ce document inventorie et définit les termes relatifs à l’autel.
[4] Ara
Pacis Augustae, monument romain inauguré vers l’an 9.
[5] Symmaque, Relatio de Ara Victoria.
[6] Autel dédié au dieu Jupiter Ammon ou
Serapis, qui a donné le nom de la ville « Aramon ».
[7] L’holocauste est un sacrifice au
cours duquel l’offrande est consumée par le feu.
[8] Saint Grégoire le Grand, Dialogue IV.
[9] Instructionalis generalis, 2002, Présentation
générale du Missel romain, n°296, 2007,
www.vatican.va.
[10] Instructionalis generalis, 2002, Présentation
générale du Missel romain, n°73.
[11] Voir Corblet, Histoire dogmatique,
1885, tome 2.
[12] Par exemple, la mise en place de
reliques dans la table d’autel était obligatoire avant le nouvel ordo. Il n’est
plus qu’un usage opportun à garder. La nécessité de contenir des reliques est
mentionnée par le pape Virgile dans une lettre qu’il écrit à Profurus, évêque
de Braga. Cependant, vers 270, Saint Félix aurait rendu obligatoire de célébrer
la sainte messe sur les reliques d’un saint martyr ou sur leur tombeau.
[13] Instructionalis generalis, 2002, Présentation
générale du Missel romain, n°299.
[14] Instructionalis generalis, 2002, Présentation
générale du Missel romain, n°303.
[15] Saint Jean Damascène, dans Tournez
vers le Seigneur, Mgr Klaus Gamber, 18 novembre 1992.
[16] Saint Augustin, De sermone domine in monte,
II, n°18, PL XXXIV, col. 1277.
[17] Cardinal Ratzinger, Préface, Tournez
vers le Seigneur, Mgr Klaus Gamber, 18 novembre 1992.
[18] Voir Instructionalis generalis,
2002, Présentation générale du Missel romain, n°299, Elle reprend un
article de l’instruction pour l'exécution de la Constitution sur la
liturgie Inter oecumenici, chapitre V, II, 26 septembre 1966.
[19] Voir Émeraude, juin 03, article "Dom Parsch et la messe communautaire".
[20] Il préside la célébration comme il
préside la prière.
[21] Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, n°282.
[22] Instructionalis generalis, 2002, Présentation générale du Missel romain, n°28.
[23] Jean Paul II, n°61, Lettre encyclique
Ecclesia
de Eucharistia sur l’eucharistie dans son rapport à l’Eglise, 17 avril
2003, www.vatica.va.
[24] Calvin, Institution de la religion
chrétienne, Livre IV, XVIII, n°12.
[25] T. CRANMER : Works, Cambridge 1844, vol. II.
[26] Jean Paul II, n°61, Lettre encyclique
Ecclesia
de Eucharistia, n°10.