Est-il
possible de traiter du corps humain, de le soigner ou de le décrire, sans
penser à la vie qui l’anime, sans songer à l’homme au-delà de sa chair et de
ses os ? « Si le médecin ignore
quelle est sa fin, la destination des fonctions vitales, comment pourra-t-il
donner un sens à son intervention ? » Ce n’est
pas un hasard si la science qui se préoccupe tant des choses naturelles porte
le nom de « biologie »,
c’est-à-dire « science de la vie ».
De
nos jours, le corps est souvent représenté comme une machine au mécanisme
très perfectionné, où tout n’est qu’affaire de rouages, de flux ou de
molécules. Selon cette conception, nos fonctions vitales, nos sentiments, nos
passions, et même nos idées ne sont que des produits de phénomènes physiques,
mécaniques et chimiques. Les robots ne cessent de nous ressembler de plus en
plus au point que nous puissions imaginer qu’un jour, des automates similaires
à notre corps, agissent comme nous et puissent même réfléchir comme nous. Les
progrès de la médecine et de la biotechnologie dépassent désormais les rêves
les plus fous des auteurs de science fictions des siècles passés. Les
expressions comme celle d’« intelligence
artificielle » nous font aussi croire qu’au-delà de notre corps, nous
ne sommes finalement qu’une machine bien programmée qui diffèrent des animaux
et des plantes en raison de la complexité et du nombre de lignes de codes.
Une
telle perception du corps humain nous renvoie à des doctrines médicales
qui portent le nom d’« iatrophysique ». Celles-ci
portent le nom d’ « iatromécanique » quand le
corps est réduit à un mécanisme, d’« iatrochimique»
s’il n’est que réactions chimiques. Ces doctrines, qui datent du XVIe siècle et
se sont imposées à partir du siècle suivant, ne sont pas sans conséquence sur
notre manière de vivre et de penser. Selon certains commentateurs, elle
viendrait de Descartes, ce que l’histoire ne peut guère soutenir. Derrière ce
terme, se cachent en fait une diversité de conceptions. Nous allons nous
y attarder…
La vision mathématique du
monde
En réduisant l’essence de la
matière à de l’étendue,
Descartes a fortement contribué au développement de doctrines qui réduisent
tout type de corps à des phénomènes physiques caractérisés par des grandeurs
mesurables. Il a ainsi facilité la vision mathématique du monde, même
s’il n’est pas le seul à s’engager dans cette voie.
La philosophie de Descartes
rend le réel plus facilement et sûrement accessible au travers d’objets mesurables
et surtout manipulables par différentes opérations, c’est-à-dire par l’esprit.
La nature est alors devenue exprimable par des rapports mathématiques. La
connaissance du monde, y compris celle de la vie, ne passe donc plus par
l’essence des choses, c’est-à-dire par ce que sont les choses en
elles-mêmes, mais par des grandeurs et des relations, considérées comme
beaucoup plus sûres et rentables pour les scientifiques. Les succès incroyables
qu’ils ont obtenus à partir du XVIIIe siècle ont confirmé l’efficacité de cette
manière de percevoir le monde.
Mais, la réalité des choses
et donc l’intelligibilité de la nature ont aussi fini par n’être concevables
que sous leur forme quantitative et observable. Toute autre manière de les
saisir est devenue caduque ou illégitime. Et c’est tout le drame de l’homme
moderne, qui ne peut ni réfléchir ni décider sans l’aide de chiffres et de
courbes. À ses yeux, la vérité n’est exprimable que sous forme mathématique.
Or, l’âme se laisse difficilement enfermable dans l’étroitesse d’une équation
mathématique. Elle est alors exclue de cette réalité…
La vie selon la vision
cartésienne
La conception d’un corps
comme une machine peut provenir d’un raisonnement comme nous le montre
Descartes. À partir de son célèbre cogito, selon un procédé purement déductif,
il en arrive à considérer les corps vivants comme de nature identique à tout
corps, ne se distinguant que par la complexité du fonctionnement. Le corps
ne serait finalement qu’une machine et la vie qui l’anime le résultat d’un
fonctionnement complexe. « Loin
d’expliquer la vie, le cartésianisme en supprimait même la notion : la
biologie n’était qu’un cas particulier de la mécanique universelle. »
La vie n’a donc plus pour
origine l’âme, qui se réduit à n’être que le moi de l’individu,
tant elle s’oppose par sa nature au corps. N’étant pas quantifiable, elle ne
peut guère entrer dans une représentation mathématique et finalement intéresser
le scientifique tel que Descartes. Pourtant, celui-ci ne peut ignorer les
données de notre expérience quotidienne. Le dualisme qu’il a défini de
manière spéculative se heurte en effet à la réalité qui lui fait percevoir
l’union intime de l’âme et du corps. Descartes en arrive donc à proposer des
hypothèses sur le fonctionnement du corps et sur les interactions entre ces
deux substances indépendantes et contraires que sont l’âme et le corps. C’est
ainsi qu’il suggère que la glande pinéale soit le lieu de leur interaction.
Mais cette hypothèse est vite démontée par les scientifiques de son temps, n’y
voyant qu’une échappatoire à une contradiction inhérente à sa pensée.
Descartes n’est pas le seul
à concevoir le corps vivant comme une machine soumise aux lois de la physique.
La conception mécaniste du corps vivant est aussi présente chez d’autres
scientifiques mais de manière différente et pour d’autres raisons. Contrairement
à notre héros national, ce sont en effet des praticiens qui pensent et
élaborent un modèle par la connaissance du corps et plus précisément par la
description exhaustive de sa structure en raison du développement de l’anatomie
et donc par l’observation. Leur maître à penser est plutôt Galilée. Ce sont
surtout des scientifiques italiens, philosophes et médecins.
Un mécanisme empirique
Johannes Alphonsi Borelli
(1608-1679) explique la « physiologie
du mouvement animal » en utilisant les principes de Galilée pour modéliser
les différents mouvements d’organismes vivants, analogues aux mouvements
artificiels, selon le principe que les mêmes causes produisent les mêmes
effets. Se limitant aux actions physiques, son étude s’appuie sur
l’observation, les mathématiques et les lois de la mécanique. Borelli considère
en effet la « géométrie »
comme la seule science appropriée pour étudier les mouvements organiques que
sont la locomotion, la respiration, la digestion ou encore la circulation
sanguine. Il met en œuvre des calculs pour évaluer par exemple la force exercée
par les muscles de la même façon que les physiciens évaluent la mécanique d’un
levier. De nos jours, les lois qu’il a établies sont encore utilisées dans la
rééducation. Il ne cherche donc pas à théoriser l’être vivant.
Lorenzo Bellini
(1643-1704) applique aussi à son tour la mécanique et le calcul à la
physiologie, notamment pour décrire la structure et l’usage des reins. Alors
que Borelli considère encore l’âme comme la cause des mouvements et le principe
de vie, pour Bellini, l’action de l’âme sur le corps, sans laquelle il n’y a
point de mouvements, échappe aux savants.
Prenons un autre élève de
Galilée, Marcello Malpighi (1628-1694), un anatomiste illustre de son
temps. Il établit aussi ses observations de l’anatomie sur des fondements
mécaniques. Sa préoccupation première est d’abord de présenter ce qu’il
observe pour rendre visibles des structures organiques. Mais, conscient des
limites de sa méthode, il sait que la nature lui échappe et que les moyens
qu’il utilise ne lui délivrent ni les composants du corps humain ni les clés du
fonctionnement organique. Retenons en effet que l’explication mécaniste qu’il
donne n’est qu’une hypothèse minimaliste pour expliquer un détail observé, et
non pour fournir une théorie sur des fonctions ou sur le corps. Malpighie ne
cherche pas à déterminer des causes ou encore le principe de vie. Finalement,
il ne réduit ni le corps vivant ni les organes à une machine, et n’assimile pas
le corps humain à un corps vivant quelconque.
Malpighie cherche donc des
éléments de compréhension sur des points particuliers du corps humain. Pour
cela, il décompose les organes en partie plus fines afin d’identifier leur
structure, c’est-à-dire leur agencement ou configuration interne. Et comme ces
parties sont communes aux autres êtres vivants, beaucoup moins complexes et
plus manipulables que le corps humain, il utilise la méthode analogique pour
expliquer les processus. Laissant les mammifères et les insectes qui lui
donnent trop de difficultés, il a alors recours aux plantes. Il met ainsi en
œuvre ce qui sera appelée au XIXe siècle l’anatomie comparée…
Le développement de la
connaissance par analogie
L’anatomie comparée est une
technique qui permet aux scientifiques de résoudre des difficultés
expérimentales, qui, « loin de les
éloigner des recherches plus hautes, leur offre des voies d’accès abordables ».
Elle permet en effet de « se
simplifier à l’extrême et d’augmenter son pouvoir de résolution. »
Mais cette technique sous-entend que les corps vivants sont homogènes dans leur
structure au niveau microscopique, et que structurellement, ils ne distinguent
que par leur degré de complexité. L’anatomie comparée s’appuie donc sur l’idée
d’une unité des corps vivants et d’un ordre au sein de la création.
Les animaux simples jouent le rôle du « petit échantillon » où « la nature même nous a montré […] ce qu’elle cache ailleurs. »
Giorgio Baglivi
(1668-1707) est un des élèves de Malpighie. Nous connaissons bien sa pensée
grâce à ses ouvrages qui présentent une philosophie de la médecine, une
philosophie qui sait lier l’observation et la raison, l’expérience et
l’autorité des maîtres anciens. Il s’oppose fortement à « la manie de bâtir des systèmes ».
Il refuse aussi toute médecine exclusive, n’hésitant pas à trouver dans la
médecine chinoise des remèdes. Il s’oppose ainsi à toutes les théories qui
imposent leur manière de voir sans prendre en compte l’observation et la
pratique, c’est-à-dire l’expérience. Le médecin recherche certes des règles
mais ne bâtit pas des systèmes ou des philosophies.
Baglivi rappelle aussi les
principes du raisonnement par analogie. « Toute comparaison ne doit se faire qu’entre des êtres de même genre,
entre un végétal et un autre ; entre deux minéraux ou deux corps animés,
et ainsi de suite ; de façon que chaque attribut de la chose comparée
puisse se vérifier sur celle à qui on la compare. »
La comparaison permet de mettre en lumière des réalités observées. Comme
le corps de l’homme est matière et donc soumis à ses lois, l’usage de la
physique et des mathématiques à la structure du corps vivant est « philosophiquement raisonnable »,
mais souligne-t-il, « en tout ce qui
regarde la structure animale ».
Une question de méthode
Quittons la terre de Galilée
pour aller plus au nord de l’Europe. Dans l’actuel Danemark, à Copenhague, un
autre anatomiste célèbre, devenu bienheureux à la fin du XXe siècle, cherche
aussi à mieux connaître le corps humain. Il s’agit de Niels Stensen
(1638-1686), connu sous le nom latinisé de Sténon.
Pour décrire le muscle, ses
composants et son mouvement de contraction, Sténon utilise une représentation
géométrique, utilisant alors les mathématiques, afin de mieux comprendre sa
structure. « Afin de comprendre
plus distinctement la confrontation des muscles, je proposerai les explications
de tous les termes comme les géomètres ont l’habitude de le faire, selon un
ordre synthétique et sous ne nom de définitions, en commençant par la fibre
motrice. »
Les mathématiques lui permettent de décrire la structure des muscles sans
s’immiscer dans des calculs comme l’a fait Borelli. Cependant, ce n’est par
elles que Sténon démontre ses thèses. « Toute la géométrisation de Sténon s’appuie sur d’abondantes expériences
anatomiques : elle ne s’y substitue pas, ni, moins encore, n’en minore
l’importance. »
Les mathématiques facilitent la compréhension de son modèle.
Dans son ouvrage intitulé Discours
de Monsieur Sténon sur l’anatomie du cerveau,
Sténon avoue d’abord son ignorance sur cette partie du corps humain. « Je n’y connais rien », écrit-il
simplement. Il est pourtant déjà connu pour avoir écrit des ouvrages
d’anatomie, notamment sur les muscles. Alors qu’il avoue son ignorance sur une
partie du corps humain la plus délicate, Sténon s’étonne de l’assurance de ceux
« qui ont le caractère affirmatif si
prompt », qui « vous
donneront l’histoire du cerveau, et la disposition de ses parties, avec la même
assurance, que s’ils avaient été présents à la composition de cette
merveilleuse machine, et qu’ils avaient pénétré dans tous les desseins de son
grand Architecte. » Il explique notamment qu’il est erroné de
croire que la connaissance de la nature physiologique du cerveau suffit pour
connaître l’âme.
C’est dans cette lettre
qu’il réfute la solution de Descartes, sur la localisation de l’âme dans la
glande pinéale pour expliquer l’interaction entre le corps et l’âme. Mais son
attaque porte au-delà. Il remet en effet en cause tous ceux qui s’appuient sur
un fonctionnement mécanique du corps humain pour rendre compte de l’homme
lui-même. Il nous avertit que ce qui n’était qu’un artifice heuristique,
une aide technique pour expliquer comment pouvaient fonctionner
certaines parties du corps, devient un principe, une théorie, une philosophie.
Dans ses ouvrages, il
apparaît que l’usage des mathématiques dans la science de la vie a pour
objectif d’améliorer les techniques d’anatomie, de mieux présenter
et analyser les observations. Il ne cherche pas à expliquer par exemple
la cause des mouvements mais à présenter la manière dont s’accomplit leur
processus afin de mieux éclaircir leur fonctionnement.
Le corps, une machine
hydraulique ?
Enfin, terminons cette
rapide description de l’iatromécanisme par d’autres conceptions, celle de Boerhaave
(1668-1738) et d’Hofmann (1660-1742), où le corps apparaît comme un
ensemble de solides et de liquides soumis aux principes de forces motrices qui
déterminent les mouvements et les actions des uns sur les autres. Le corps
humain n’est en fait qu’« une
machine hydraulique », dotés de mouvements. Boerhaave et d’Hofmann ont
la particularité de vouloir réunir dans leur doctrine l’ensemble des
résultats scientifiques de leur époque.
Boerhaave est une des
grandes célébrités de son temps. Il nous a laissé les principes qui guident sa
méthode. Elle commence inévitablement par sa conception de l’homme, un « composé de corps et d’âme unis ensemble ».
Il distingue alors des actions qui relèvent de l’âme, « qui les préside, les produit et les
détermine » et des actions corporelles, composées ou formées des deux
espèces. Cependant, la médecine ne s’intéresse seulement qu’à « tout ce que l’expérience pure et simple a
véritablement démontré en anatomie, chimie, mécanique, physique »,
etc. Il ne se préoccupe pas donc de la métaphysique mais uniquement des
résultats de la science expérimentale. Il considère ensuite « le corps humain » comme un « composé de solides et de fluides »,
soumises aux « lois hydrostatiques,
hydrauliques et mécaniques. »
Cependant, plus éclectique que systématique, il n’hésite pas à prendre en
compte de nombreuses théories, y compris anciennes, et celles qui ne relèvent
pas des iatromécanismes, même si sa physiologique est fortement mécaniste. Mais
contrairement à ce que pensait Auguste Comte, il ne suit guère la voie ouverte
par Descartes.
Élève de Boerhaave, Hoffmann
ne cherche pas seulement à décrire ce qui est observé et à modéliser le corps
mais de déterminer aussi les causes de la vie selon le principe que tout est
mouvement. « Il faut chercher la
raison formelle et l’essence de la vie dans les mouvements qui se produisent en
la machine de notre corps, machine si ingénieusement agencée au moyen du
ressort des solides et d’innombrables tubes de diverse grandeur, forme et
figure ».
C’est ainsi qu’il définit la vie comme « mouvement progressif et circulaire des liqueurs, causé par la pression
du cœur et des artères et le ressort des fibres, lequel au moyen des sécrétions
et excrétions, conserve tout le corps dans son intégrité, la préserve de la
corruption, et règle toutes les fonctions. »
Mais ne confond-il pas la vie avec ses phénomènes ?
Cependant, Hoffmann n’ignore
pas l’âme qui utilise le corps comme un instrument tout en l’excluant de ces
modèles car « le recours à un tel
concept théorique est dénué de valeur explicative ».
Elle n’apporte aucune raison explicatives sur les forces motrices qui
animent le corps et aucune certitude. Il est convaincu néanmoins qu’un
principe spirituel est à l’origine des mouvements volontaires, réintroduisant
les notions d’âmes sensitive et rationnelle pour expliquer les capacités
imaginatives et désirantes de la machine, croyant en leur séparation. Par
conséquent, l’âme est exclue en raison de son inutilité. Le corps est
ainsi défini comme « un tout
fonctionnel autosuffisant, quitte à admettre pour une catégorie spéciale de
phénomènes que les dispositifs physiologiques apparaissent comme des
instruments dirigées par l’âme. »
Finalement, « par corps organique humain, j’entends la
partie matérielle visible de l’homme, construite de diverses parties assemblées
avec la plus grande sagesse et mécaniquement unie en vue de subir des
mouvements déterminés : cette partie est dotée de vie propre et constitue
l’organe des opérations déterminées de l’âme. »
Conclusions
Selon Descartes, la vie
résulte du seul fonctionnement d’un mécanisme complexe et ne dépend d’aucun
principe immatériel. L’âme est radicalement séparée du corps, même si ces deux
« substances » peuvent
s’interagir. Le corps humain n’est que matière et par conséquent est soumis aux
mêmes lois qui régissent tout corps matériel sans faire intervenir l’âme
réduite à la pensée. Or au même moment, de nombreux savants, médecins, anatomistes,
prennent une autre voie et cherchent plutôt à appliquer les méthodes
scientifiques à leur discipline. Et contrairement à Descartes qui s’appuie sur
une théorie et un raisonnement déductif, ils s’efforcent en effet d’œuvrer par
des méthodes empiriques et d’avancer par raisonnement inductif.
La comparaison du corps à
une machine est alors, pour ces savants, un moyen
pratique de décrire sa structure et d’expliquer son fonctionnement par analogie.
Ce type de raisonnement est un procédé efficace et simple qui permet de
modéliser et de comprendre le corps vivant afin de mettre en valeur ce que le
scientifique peut retirer de son observation. Mais la comparaison n’est ni
identité ni confusion. Le modèle n’est pas réalité. Or, comme le signale
Sténon, de plus en plus, les principes d’une méthode deviennent principes
philosophiques.
En outre, contrairement à
Descartes, pour ces savants, il ne s’agit pas d’expliquer ce qu’est l’homme ou
la vie, de chercher leur finalité ou encore de déterminer ce qu’est l’âme. Le
but est d’expliquer le fonctionnement du corps vivant à partir d’un modèle
et des concepts facilement compréhensibles, sans chercher à spéculer sur la
nature de l’âme et du corps. Ils ne veulent pas concevoir un système. Enfin,
comme le montre Hofmann, ils sont conscients des limites de leurs sciences. Ils
ne partagent pas la certitude orgueilleuse qui caractérise la pensée
cartésienne.
Enfin, constatons que ces
savants ne remettent nullement en cause la conception de l’âme comme principe
de vie comme ils sont aussi persuadés de son union avec le corps. Ils sont convaincus
de sa nature spirituelle mais l’excluent de leur modèle puisqu’elle n’est ni
saisissable par leur scalpel ni modélisable.
Finalement, le corps
apparaît pour certains comme un instrument à disséquer quand d’autres le
perçoivent uniquement comme objet de connaissances, manipulable par l’esprit.
Les conceptions mécanistes du corps se distinguent ainsi par leurs méthodes et
leur finalité. Cette opposition se retrouve aussi dans la pratique de la
médecine qui se divise entre les médecins rationnels et les médecins
empiriques, entre les savants cloisonnés dans leurs certitudes et les savants
éclectiques ouverts à tous les domaines de la connaissance. La comparaison
entre le corps et la machine résulte pour les premiers de théories
philosophiques alors que pour les seconds, elle n’est qu’une méthode
analogique. L’histoire montre que ce sont bien les seconds qui ont élaboré la
science de la vie. Cependant, un danger menace les partisans de cette méthode
empirique, l’inféodation de la science de la vie aux mathématiques, ce
qui impliquerait l’exclusion de l’âme dans leur vision de la vie…