Des
crises sont parfois salutaires. Elles nous délivrent de
notre aveuglement et nous obligent à nous sortir de notre zone de confort dans
lequel nous nous sommes complus. Certes, elles sont dures à vivre, très souvent
éprouvantes mais elles sont également libératrices et nous forcent à résoudre
des problèmes que nous ne voulions pas regarder en face ou dont nous refusions
d’admettre l’existence. La crise que manifeste la révolution protestante en est
un exemple. Elle a donné lieu à une profonde et efficace réforme au sein de
l’Église, lui redonnant une clarté et une force qu’elle avait perdue.
La
crise de la morale chrétienne qui affecte l’Église depuis
très longtemps devrait aussi aboutir à un tel résultat. La situation est en
effet dramatique comme nous l’avons pu constater dans nos précédents articles. Non seulement la morale chrétienne
n’influence guère la société contemporaine mais au sein même de l’Église, son
existence est remise en question. Comme nous le révèle publiquement
l’encyclique Veritatis Splendor [1],
des erreurs touchent gravement à son intégrité. Les scandales qui secouent
l’Église reflètent sans-doute la situation dangereuse dans laquelle elle se
trouve. La morale de notre société est encore plus sinistrée [2].
Certes, la crise de la
morale chrétienne peut être causée par un processus « préparé de longue date et toujours en cours de réalisation, de la
liquidation de la conception chrétienne de la morale […], marquée par un
radicalisme sans précédent au cours des années 1960. »[3]
Mais, cette raison nous paraît insuffisante pour l’expliquer. Par son désir
d’ouverture au monde, à un monde qui rejette la présence de Dieu, le deuxième
concile de Vatican a probablement accéléré le processus. Le dénigrement
systématique de l’enseignement classique qui a touché l’Église n’a guère permis
de le restaurer. Le regard était entièrement
tourné vers l’innovation, vers les nouvelles idées, vers un monde fabuleux,
porteurs d’espoir et de progrès, mais sans
s’appuyer sur le trésor extraordinaire de l’Église. Le même phénomène s’est
aussi produit sur la liturgie, avec le même mépris et la même arrogance, et
nous connaissons aujourd’hui le prix exorbitant de la folie qui a dévasté nos
églises et les a vidées. Il n’a pas non plus épargné l’enseignement de la
morale chrétienne.
Aujourd’hui, la crise se
poursuit. Faut-il néanmoins nous décourager et nous replier comme écrasés par
le poids du drame ? Ce serait oublier Notre Seigneur Jésus-Christ. Sa
victoire, qui est aussi la nôtre, est déjà assurée. Il faut néanmoins combattre cette crise tout en restant
fidèle à son Église. Le combat commence par une réelle prise de conscience.
Il n’y a point de solution viable en
dehors de l’Église. Il faut la puiser dans le trésor qu’elle conserve
précieusement et donc connaître la richesse qu’elle détient. Mais comment
pouvons-nous la trouver ? Son histoire en est sans-doute un des moyens
fiables pour y accéder …
Cependant, avant de
parcourir cette histoire, nous allons revenir sur la morale catholique telle
qu’elle était enseignée avant que la tempête ne secoue le navire. Revenons donc
au constat…
L’enseignement classique de
la théologie morale
Avant les années 60,
l’enseignement de la théologie dans l’Église reproduit la division de la Somme théologique de Saint Thomas
d’Aquin.
Une première partie traite
de Dieu premier principe en
Lui-même, dans l’unité de sa nature et la trinité de ses personnes, et les œuvres qu’Il a créées, qu’Il
conserve et qu’Il gouverne par sa providence. La deuxième partie s’occupe de Dieu fin dernière, vers laquelle doit
tendre les hommes en orientant leurs actions vers Lui, sous la direction de la
Loi et l’impulsion de la grâce, en pratiquant les vertus et les devoirs
particuliers à chaque état. La troisième partie montre le Verbe incarné se faisant notre
voie pour aller à Dieu et instituant les sacrements pour nous
communiquer la grâce afin de nous conduire à la vie éternelle.
Cette division de la
théologie est primordiale. Elle nous décrit en particulier d’où nous venons et
vers où nous devons aller sans oublier les moyens d’y parvenir. Notre route est
clairement et solidement indiquée. La morale chrétienne s’appuie donc sur cette
connaissance et sur les moyens que Dieu nous a fournis pour
parvenir aux buts de notre vie.
L’Église nous apprend donc
que Dieu nous a non seulement créé et racheté mais qu’Il nous a donné
gratuitement une participation de sa vie divine afin qu’un jour nous puissions
Le rejoindre dans son éternité. Il s’agit donc de cultiver et de préserver la
vie divine en nous. C’est le but de
la théologie morale.
Elle nous montre comment
nous devons éviter le péché et pratiquer
les vertus ainsi que les devoirs
d’état. Il est aussi possible de la
perfectionner en suivant les règles définies par la théologie ascétique allant ainsi au-delà des commandements.
Enfin, nous pouvons parvenir
ici-bas à une vie contemplative en
suivant la théologie mystique.
L’enseignement de morale
comprend donc finalement les théologies morale, ascétique et mystique.
La
morale chrétienne ne se réduit donc pas à une liste de commandements ou
un « code de péchés ». Elle
est beaucoup plus riche que nous le croyons. En outre, elle n’est pas décorrélée de la foi. Elle est en effet
difficilement compréhensible si elle n’est pas liée à la connaissance de Dieu
et de l’histoire de notre salut.
Les anciens manuels de
morale
Ouvrons un des manuels de la
morale chrétienne du siècle passé [4],
très souvent incriminés par les innovateurs. Il ne traite que de la théologie
morale. Il est composé de trois livres.
Le premier définit les notions de base et les principes
afin de bien discerner les conditions et les qualités nécessaires que doivent
présenter nos actions pour être aptes à nous faire atteindre notre fin. Cette
partie discerne ainsi clairement nos
responsabilités.
Le deuxième traite des vertus de foi, d’espérance et de charité
puis les dix commandements. Ce sont
un ensemble de règles que nous devons observer pour tendre à notre fin
dernière. Ce livre traite donc des
devoirs et des péchés.
Le troisième étudie les sacrements, c’est-à-dire sur les moyens institués par Dieu pour nous
aider à atteindre notre fin dernière.
Étude d’un précis de moral
L’introduction définit ce
qu’est la théologie morale : « l’exposé
scientifique de l’activité humaine en tant que, s’appuyant sur la raison et les
données de foi, elle tend à nous faire atteindre notre fin dernière
surnaturelle. » La morale
catholique s’appuie en effet sur la raison, c’est-à-dire sur la pensée de
nombreux philosophes compatible avec la doctrine et adaptée à notre foi. Elle se fonde aussi sur la Sainte Écriture
et la Sainte Tradition. Néanmoins, nous trouvons peu de citations et
d’exemples tirés de la Révélation. Mais, celle-ci est implicitement présente.
Par ailleurs, un tel précis n’a pas pour vocation de démontrer ou d’appuyer ce
qu’il affirme. La morale ne se fonde pas uniquement sur la vérité définie par
la raison ou la Révélation. Elle
s’appuie aussi sur une législation, et plus précisément sur celle de l’Église, c’est-à-dire sur le
code canonique, et sur celle de l’État,
c’est-à-dire sur le code civil. Elle
prend donc en compte les règles qui s’appliquent dans la société au temps de ce
manuel.
Étude d’un manuel plus
complet
Prenons un autre manuel de
théologie morale, plus ancien et plus volumineux. Il date de 1853. En deux
tomes, il suit le même cheminement que le précédent. Il s’adresse aux curés et
aux confesseurs, et se présente comme « un résumé des principales questions pratiques qui ont été discutées par
les Docteurs, concernant la morale, l’administration des sacrements et le droit
canonique. »[5]
Contrairement au livre précédent, nous trouvons des citations de la Sainte
Écriture, de papes, de Saint Thomas d’Aquin et surtout de Saint Alphonse de
Liguori. Il reprend aussi des conférences. Il expose aussi les difficultés et
les points qui font l’objet de discussions. Soulignons qu’il est en effet très pratique au point que nous y
percevons les mœurs de son temps. Il répond à des questions qui peuvent concerner des confesseurs. Ce manuel
répond donc à un besoin bien précis et pour une population déterminée. Il n’a pas donc pour vocation d’être
transmis aux fidèles sauf si ces derniers veulent approfondir leurs
connaissances.
Étude d’un troisième manuel
Un ouvrage daté de 1929 puis
révisé en 1959 apparaît plus novateur. Il est écrit par deux dominicains McHugh
et Callan. Il se veut plus concis,
pratique et intéressant. Certes, dans son introduction, il précise que la
matière est technique et scientifique. Il s’adresse aux confesseurs mais aussi
aux individus. Ainsi, l’ouvrage ne se limite pas aux vices et aux péchés mais
aussi à tout ce qui pourrait permettre à l’individu de former des habitudes
vertueuses et un caractère trempé, surtout à l’égard de ceux qui sont
responsables d’âmes, y compris les enseignants. La théologie morale « veut rendre l’homme capable non seulement de
savoir ce qui est défendu, comment il peut échapper aux maladies morales et à
la mort éternelle, mais de comprendre quels sont ses devoirs, et comment il
peut vivre une vie vertueuse qui le maintienne toujours en état de grâce. »[6]
Contrairement aux autres
manuels, l’ouvrage définit avec plus de précision ce qu’est la théologie
morale, notamment par rapport à l’éthique et à la casuistique, ses sources et
ses méthodes. Il fournit aussi une brève histoire de la matière ainsi que
différents systèmes de morale. Il est
fondé sur l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin et suit la méthode
scolastique.
La première partie porte sur
la théologie morale générale. Elle
traite d’une manière générale des moyens qui conduisent à la fin dernière de
l’homme, des caractères qui sont communs à tous les actes bons, qu’ils soient
accomplis en tenant compte de la loi et de la conscience. Cette partie prend en
compte la nature et la moralité des actes, des habitudes, les différentes lois
et enfin la conscience.
La deuxième partie traite
d’une façon particulière des moyens pour
parvenir à cette fin en considérant les
sortes de devoirs que tous doivent accomplir ainsi que ceux qui sont propres à
certains états. Le premier point définit chaque vertu théologale et morale
selon un plan identique. Après sa définition, les actes, les habitudes
afférentes, l’ouvrage définit le don correspondant puis traite des péchés
commis contre elle et les commandants qui lui sont associés. Le second point
traite des applications des vertus générales aux différents états des hommes
selon les diversités de grâces, des opérations et des ministères. L’ouvrage se préoccupe des devoirs des
membres de l’Église selon les
commandements de l’Église, c’est-à-dire ceux des fidèles, des clercs et des
religieux, puis des hommes en tant que membre d’une société domestique et
civile. Enfin, l’ouvrage se termine par les devoirs des hommes en ce qui concerne l’usage des sacrements.
Les articles définissent des
règles, décrivent leur partie négative et positive, fournit parfois un bref
historique. Ils nous renvoient sur la Sainte Écriture, des déclarations
pontificales, sur le droit canonique.
Premiers constats
St Alphonse de Liguori |
Après cette brève
description de trois manuels anciens de théologie morale (1853, 1934, 1953),
nous pouvons constater la volonté des
auteurs de fournir un enseignement pratique et adapté à leur société,
prenant même les obligations de la loi civile de leur époque. Ils se veulent
aussi concis et précis. Seul le manuel
de 1853 aborde les questions les plus difficiles, celles qui soulèvent encore
débat, mais il s’adresse à des lecteurs plus ciblés et intéressés. Nous notons
une évolution dans leur rôle, une tendance
à enseigner un public plus large. Au fur et à mesure, les ouvrages ne sont
plus destinés uniquement à des séminaristes et des prêtres. Le manuel de 1853
est élaboré clairement dans le but de les éclairer, notamment dans leur
fonction de confesseur. Celui de 1953 se veut plus générale et a la volonté de
s’adresser aux laïcs.
Le
contenu et les sources sont identiques. Le premier ouvrage contient
plus de citations bibliques. Afin de fournir un ouvrage plus condensé, les deux
autres nous donnent plutôt des références. Ce sont bien des précis de
théologie. Il est donc naturel de ne pas y insérer des citations pour aller
directement à l’essentiel.
Les deux premiers suivent un
même plan, plutôt fondé sur les commandements divins, alors que le dernier se
révèle plus novateur en s’attachant davantage aux vertus et aux devoirs, ce qui
lui permet de mieux faire apparaître les
aspects positifs de la morale.
Soulignons enfin que ces
manuels ou précis de morale ne concernent que la théologie morale et ne
prennent pas en compte les théologies ascétique et mystique.
Des critiques à remettre en
cause
Quand nous écoutons
certaines critiques sur la morale chrétienne, nous sommes parfois surpris par
l’ignorance qu’elles manifestent parfois. Elle ne serait qu’un ensemble d’arguments
subtils et douteux destinés à soulager la conscience des fidèles et finalement
à contourner les exigences morales.
C’est ainsi que le christianisme est accusé de pharisaïsme. Or de telles
critiques portaient à l’origine sur la casuistique telle qu’elle était
pratiquée par les jésuites selon les propos de leurs adversaires, les
jansénistes. Les manuels et précis que nous avons étudiés ne peuvent guère
faire l’objet de telles critiques. De telles critiques sont-elles encore
d’actualité ?
Selon une autre critique, la
morale catholique ne serait qu’une suite
de normes présentées sèchement et sans les relier à leurs sources. Or,
cette accusation ne porte pas sur la morale mais sur la théologie morale,
c’est-à-dire sur son enseignement dans les séminaires et auprès de ceux qui en
ont besoin. En outre, les manuels et précis que nous vous avons présentés, qui
sont par ailleurs des ouvrages classiques, démontrent que la théologie morale
est enseignée en relation à la Révélation et aux docteurs de l’Église.
Mais revenons à des
questions essentielles. Le laïc a-t-il vraiment besoin de savoir d’où
vient la règle morale qu’il doit pratiquer ? Le manuel lui est-il aussi
suffisant pour pratiquer la morale ? De même, le prêtre, peut-il se contenter des manuels
dans le cadre de sa formation ou de son sacerdoce ? Nombreux sont en effet
les ouvrages de morale qui la
présentent, la nourrissent, et cela de manière plus vivante. Saint François de
Salles, Saint Alphonse de Liguori et bien d’autres docteurs nous ont laissé de
véritables chefs d’œuvre en matière de morale. Les manuels d’ascétique ne
doivent pas non plus être oubliés. Les
encycliques présentent une doctrine morale bien concrète et proche de notre
temps. Enfin, la liturgie est
nourrie de morale profonde qui nous guide et nous soutient dans notre marche. La théologie morale ne peut donc à
elle-seule contenir toute la morale catholique. L’Église a pris le soin de
l’enseigner par tous les moyens afin d’éclairer le fidèle de manière très
pratique de manière efficace. Elle agit comme une mère qui profite de toutes
les occasions pour éduquer ses enfants, les élever et les édifier…
Causes de la crise
« À la suite du Concile […], il
s’est produit beaucoup de remue-ménage parmi les moralistes. Certains ont voulu
tout bouleverser pour faire moderne et créer l’aujourd’hui ; on a beaucoup
démoli, mais très peu construit. […] Le
problème n’a donc fait que s’aggraver. »[7] Le constat est sans appel.
Certains jugements portés
sur les manuels de morale nous paraissent bien trop sévères, voire mensongers. Ces ouvrages se montrent pratiques,
authentiquement chrétiens, même si leur forme apparaît très structurée et
rigoureuse. Leur aspect rationnel est même appréciable. La clarté des articles
est indéniable et ne laisse guère de doute dans ce qu’il faut faire et ne pas
faire. Ce sont finalement des ouvrages
bien utiles pour vivre chrétiennement. Cependant, si ces manuels répondent
bien aux besoins de leur époque, nous ne pouvons pas attendre d’eux des
réponses aux besoins de notre temps. Mais, ce ne sont pas les seuls comme la
morale ne s’est jamais réduite à ces manuels. Et les chrétiens ne se contentent
pas de ces livres. Comment alors expliquer la crise dans laquelle nous
vivons ?
D’une part, de nombreuses
critiques semblent réduire la morale à
ces manuels. Il est vrai que leur fonction et donc leur importance ne
cessent de croître. Les difficultés que connaît l’Église dans une société de
plus en plus sécularisée en sont sans-doute une cause. En outre, depuis la fin
du XIXe siècle, l’Église s’est surtout concentrée sur la défense des vérités
qu’elle doit enseigner, laissant le
Magistère se prononcer sur les questions de morale au moyen d’encycliques
très instructives et profondes. Il faut en fait attendre l’après-guerre et
surtout les années 60 pour que la morale
catholique soit au centre des préoccupations de l’Église.
Or, lorsque s’ouvre le
deuxième concile de Vatican, l’enseignement classique est clairement dénigré et
rejeté alors qu’il n’est pas prêt à le renouveler ou à en proposer de nouveaux
axes bien précis et encadrés. C’est ainsi qu’il donne libre cours aux
innovations dans une sorte d’optimisme naïf alors que le contexte est hostile
et dangereux. D’abord, la société
rejette fortement la présence de Dieu et les exigences de la morale chrétienne.
En outre, elle remet en cause toute
forme d’autorité, y compris dans l’enseignement. Le Magistère n’en est pas
épargné. Enfin, des courants philosophiques récusent toute notion d’absolu et
de permanence dans le temps au profit d’un évolutionnisme
à tout crin. Ces trois maux touchent pleinement la morale chrétienne.
En outre, les manuels ne peuvent à eux-seuls
présenter la morale dans sa totalité, surtout quand l’enseignement y est de
plus en plus concis, se limitant aux règles et à des références, sans chercher
à justifier puisque la justification y est implicitement présente mais ailleurs
dans d’autres matières. La théologie
morale ne doit pas en effet être pensée de manière isolée tant elle doit
s’appuyer sur d’autres enseignements. Ce ne sont donc pas les manuels en
eux-mêmes qui devraient causer tant de critiques mais la pauvreté de l’enseignement de la morale. En outre, l’enseignement de la morale ne doit pas non
plus être aux mains seules des moralistes qui, comme tout expert, tendent à
la développer en silos comme nous le voyons malheureusement avec les
innovations actuelles. Le développement
d’une morale autonome est en fait contraire au christianisme.
Son enseignement doit être
bien encadré par l’autorité ecclésiastique. Or celle-ci a accepté de s’effacer
depuis le second concile du Vatican, ne
voulant plus ni affirmer ni condamner. Et naturellement, lorsqu’elle veut reprendre
son autorité en matière de morale, elle provoque indignation et mépris de la
part de la société et même des fidèles. La crise de la morale est ainsi
décuplée.
Conclusions
Ainsi, la crise ne se situe
pas principalement au niveau de la théologie mais peut-être au niveau de son enseignement et de sa
cohérence auprès des chrétiens. Il n’est pas cohérent de leur demander de
s’ouvrir au monde quand celui-ci méprise tant la morale chrétienne. Il n’est
pas non plus judicieux de défendre l’œcuménisme moderne quand les religions
présentent des morales bien différentes, apportant du relativisme au moment où ils ont besoin d’être soutenus, éclairés et
convaincus. L’enseignement de la morale a été gravement touché par de
telles incohérences. La crise de la morale est en fait la conséquence d’une
crise plus profonde. Nous comprenons alors que le combat pour la vérité est indissociable à la défense de la morale
chrétienne comme l’a en fait bien compris l’Église avant le deuxième
concile de Vatican.
Il est indéniable qu’il
existe une véritable rupture entre ces
manuels et les discours actuels de la morale. Les premiers exposent un
enseignement clair, sans ambiguïté ni hésitation, porté avec assurance et
conviction, avec foi. Les seconds hésitent, refusent de trancher et d’imposer,
de crainte peut-être de provoquer inquiétude, réprobation, refus. Les uns
n’hésitent pas à condamner des comportements, les autres s’y refusent. Les uns
n’hésitent pas à parler de péchés, les autres ne les évoquent guère. Or, une âme a besoin de savoir la vérité et de
connaître des règles simples pour vivre, même si elles sont difficiles à
entendre, même si elles déplaisent. Une morale qui tergiverse, refuse de
porter un jugement sûr et fiable, et finalement de laisser à chacun le choix,
n’est pas une morale.
Cependant, notons que ces
manuels tant décriés sont des livres techniques qui peuvent bien apparaître
complexes pour tous les fidèles. Ils aident ceux qui se posent des questions et
n’ont pas de prêtres à leur disposition. Mais, ils ne peuvent pas se substituer au catéchisme et aux connaissances
éléments que tous les fidèles doivent connaître en matière de morale. Un
précis de théologie morale n’a pas pour objectif de rappeler les connaissances
élémentaires en matière de dogmes et d’histoire sainte. Au contraire, elle
s’appuie sur elles. Il ne remplace pas non plus les lectures de livres de piété
et d’édification. Il n’a pas non plus
pour vocation de remplacer l’éducation catholique. C’est sans-doute là que
réside le problème et donc que se trouvent en partie de véritables réponses à
la crise de la morale catholique.
Ainsi, au moment même où
l’enseignement classique de la morale devait s’enrichir sous la conduite de
l’autorité de l’Église pour faire face à un contexte de plus en plus difficile
et hostile, dans une société de plus en plus opposée à la morale chrétienne, au
moment même où l’autorité de la morale s’affaiblit, sa voix devient incohérente
et inaudible, il a été dénigré et méprisé puis détruit sans qu’un autre
enseignement ne soit prévu pour affermir la formation des prêtes et instruire
les fidèles,. La situation était trop belle pour ceux qui refusaient la
conception de la morale catholique. C’est ainsi que dans les séminaires, s’est
développé en toute impunité un processus « préparé
de longue date et toujours en cours de réalisation, de la liquidation de la
conception chrétienne de la morale […], marquée par un radicalisme sans
précédent au cours des années 1960. »[8]
Épilogue
Aujourd’hui, nous arrivons donc
à des aberrations morales scandaleuses.
Nous pouvons ainsi lire dans des forums dits catholiques, qu’une catholique ne
considère pas la sodomie comme un péché si elle contribue à faire développer
l’amour avec son époux. Non seulement sa position est approuvée par d’autres
mais elle a eu une confirmation de la part d’un confesseur catholique selon ses
propos ! Nous retrouvons dans ses paroles toute l’erreur que Jean-Paul II
a dénoncée dans son encyclique Veritatis Splendor. C’est surtout
oublié les avertissements très clairs de Saint Paul et finalement les paroles
de Notre Seigneur Jésus-Christ.
« La volonté de Dieu, c’est votre sanctification, c’est que vous vous
absteniez de la fornication, que chacun de vous sache posséder son corps
saintement et honnêtement » (Saint Paul, Épître aux Thessaloniciens,
IV) car « sachez-le bien, aucun
fornicateur n’a d’héritage dans le royaume du Christ. » » (Saint Paul,
Épître
aux Éphésiens, IV)…
[1]
Voir Émeraude,
mars 2020, article « La crise de la
morale chrétienne : un constat amer et douloureux ».
[2]
Voir Émeraude,
avril 2020, article « Une crise qui
révèle une autre, plus profonde ». Nous le constatons encore dans les
décisions prises actuellement (IVG et euthanasie facilitées).
[3] Voir Pope Emeritus Benedict breaks silence on
abuse crisis : full text, Benoît XVI, 10 avril 2019, Life Site
News, lifesitenews.com, traduit sur le blog lebogdejeannesmits.blogspot.com.
[4]
Précis
de théologie morale catholique, 1934, R. P. Héribert Jone, traduit de
l’allemand par l’abbé M. Gautier.
[5]
Cardinal Gousset, Théologie morale à l’usage des curés et des confesseurs, Avis,
Tome I, 9e édition, librairies J. Lecoffre et cies, 1853.
[6]
John A. McHugh, Charles J. Callan, Théologie morale, Préface, 1959,
révision par le père Edwards P. Farrel, trad. jesusmarie.fee.fr, 2016.
[7] OP Servais Pinckaers, L'Évangile et la morale, dans Études d'éthiques chrétiennes, éditions universitaires de Fribourg, Suisse, édition du Cerf, Paris, 2ème édition, 1991.
8] Benoît XVI, Pope Emeritus Benedict breaks silence on
abuse crisis : full text, 10 avril 2019, Life Site News, lifesitenews.com,
traduit sur le blog lebogdejeannesmits.blogspot.com.