samedi 30 novembre 2019

Laïcité : l'enseignement laïque, pour quelle finalité ?

Le XIXe siècle est un siècle fondamental que nous ne pouvons pas ignorer ou négliger si nous voulons comprendre notre temps. Nous avons déjà mentionné son importance dans le domaine philosophique tant il foisonne en systèmes philosophiques, plus particulièrement dans le domaine de la connaissance. Ils répondent à un besoin en ce siècle si marqué par l’instabilité politique et le manque de repères. Nombreux sont ceux qui cherchent à comprendre les raisons d’une telle crise au point de remettre en cause les modes de pensées.

Au XIXe siècle, l’Église fait l’objet de nombreuses et violentes contestations, notamment dans ses fonctions d’enseignement. Comme au XVIIIe siècle, elle est encore vivement attaquée. Certes, elle renaît de la folie révolutionnaire qui l’a dépouillée de ses biens mais elle perd de plus en plus de pouvoir et d’influence au sein de la société. Après son exclusion de  l’État et des principales activités sociales, elle perd son importance dans l’enseignement après les lois de Jules Ferry de 1880. La loi de 1905 sur la séparation de l’État et des Églises achève une série de lois désolantes, même si l’Église parvient finalement à réduire leurs effets grâce à la résistance et à la clairvoyance des papes.

Nous avons pu suivre les différents acteurs qui ont mis en place la laïcité, en particulier dans l’enseignement. Après avoir étudié leurs discours et leurs écrits, nous pouvons mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière les relations complexes et tendus qui peuvent exister entre les pouvoirs temporel et religieux

Synthèse sur les rapports entre les pouvoirs temporel et religieux

Sans pouvoir religieux, le pouvoir temporel ne peut guère gouverner. Et sans l'aide du pouvoir temporel, le pouvoir religieux faiblit. Complémentaires tout en étant distincts, ils ne peuvent que travailler en commun. Leur périmètre d’actions est différent ainsi que leurs objectifs, mais ce sont les mêmes individus qui font l’objet de leur attention. Les moyens d’actions ne sont pas non plus indépendants. Toute chose ici-bas, même dans le domaine spirituel, est liée au domaine matériel comme l’âme et le corps ne peuvent vivre et se développer de manière autonome. Les pouvoirs temporel et religieux ne peuvent donc agir dans l’indifférence.

Tout se déroule bien quand les pouvoirs temporel et religieux se respectent, chacun dans son périmètre de responsabilité. Toute confusion de pouvoir génère contestation, méfiance, querelle. Mais, cela ne suffit pas en raison même de leur interdépendance. Quand les principes qui les régissent sont identiques, la société s’épanouit et s’élève comme emportée par une force inéluctable vers une civilisation plus haute. Mais lorsqu’ils s’opposent, le désordre y règne, la division génère des troubles. La société entre en crise. L’âme et le corps ne peuvent être dissociés même s’ils sont distincts. Si le principe qui régit le corps s’oppose à celui qui dirige l’âme, l’homme est tiraillé et sa vie est profondément troublée. 

Distinction des pouvoirs ne veut pas dire séparation. Chacun a en effet un domaine de responsabilité propre mais parfois leur périmètre se croise dans la vie ici-bas, dans la société, la famille et dans chacun des individus. Qui doit alors dominer s’ils se rencontrent et s’opposent ? Quand les deux pouvoirs sont conduits par les mêmes principes, il n’y a aucun problème. La coordination est toute naturelle. Mais en cas de désaccord, quel principe doit prédominer ?

Prenons le problème à l’envers. Qui décide de se livrer librement au pouvoir ? La raison ? Elle peut apporter des arguments en faveur de l’un au détriment de l’autre. Mais suffit-elle pour emporter l’adhésion ? La volonté n’est pas seulement mue par la raison. Elle est éclairée par la conscience. Or, qui a le pouvoir d’agir sur la conscience ? Qui peut exercer une influence sur l’esprit de manière naturelle si ce n’est la religion ?

Le pouvoir religieux a donc un avantage certain par rapport au pouvoir temporel. Sa force est plus profonde, plus efficiente. C’est pourquoi, quand les principes qui les régissent s’opposent, le pouvoir temporel tend à s’emparer du pouvoir religieux pour étendre ses capacités et ainsi diriger totalement la société et l’homme. Cela conduit alors inévitablement à une véritable guerre entre les deux pouvoirs. L’histoire est marquée par de tels conflits. Elle montre que l’origine provient le plus souvent du pouvoir temporel. L’histoire de l’Église est en effet une longue suite de combats pour se libérer de la mainmise du pouvoir temporel. Il est aussi vrai que le pouvoir religieux tend parfois à se munir des pouvoirs temporels, aboutissant à une certaine confusion. Cependant, cette tendance est plutôt minoritaire et aboutit généralement à une crise au sein de l’Église. Car contrairement au pouvoir temporel, la confusion des pouvoirs est contraire au principe de l’Église. Elle soulève opposition et résistance au sein même des fidèles.

L’échec de la révolution, révélateur de la prédominance du pouvoir religieux sur le pouvoir temporel

Sermon au XIXe siècle
Au XIXe siècle, tous admettent l’inefficacité de la révolution. L’échec de la révolution de 1848 et l’arrivée des royalistes à la chambre des députés en 1871 et à la tête de la troisième république provoquent un véritable scandale auprès des républicains. Nombreux sont ceux qui tentent d’expliquer l’échec et proposent des solutions pour y mettre fin sans abandonner les principes révolutionnaires.

La réponse d’Edgard Quinet [1] (1803-1975) est très intéressante. Il considère que les révolutionnaires ont échoué car ils ont voulu d’abord imposer leurs principes par la politique et par la force et fonder l’institution politique hors de toute religion. Comme il l’explique, pour réussir une révolution politique, il faut d’abord transformer la religion afin que les principes qui guident les hommes deviennent ceux de la société. Car, soulignons-nous comme Quinet, ce sont bien ces principes qui dirigent ceux de la société, et non l’inverse. Mais ne nous trompons pas. Le terme de « religion » désigne plutôt les idéaux que guident les consciences. Il ne s’agit pas des « religions instituées »…

L’État, éducateur des consciences par l’école

Mais comment est-il possible de changer si profondément les consciences ? En changeant de religion dominante. Les faiseurs de la nouvelle société veulent un christianisme sans prêtre ni dogme, c’est-à-dire ce que défend le protestantisme libéral. Il est en effet impressionnant dans une société à majorité catholique de voir des protestants libéraux à la tête du pouvoir politique et de l’instruction publique à la fin du XIXe siècle : Ferdinand Buisson, Jules Ferry, Eugène Ravaillaud, Francis de Pressenssé et bien d’autres encore. Edgard Quinet est aussi calviniste par sa mère.

Mais comment est-il possible de convertir la population majoritairement catholique à cette nouvelle religion empreinte de protestantisme libéral ? Par l’école. C’est le lieu par excellence pour transformer les consciences et mettre en œuvre la révolution religieuse telle que rêvait Quinet. Les valeurs de la laïcité, comme la liberté de conscience, l’égalité ou la neutralité religieuse, en sont d’efficaces moyens d’inculturation. Comme Quinet l’a encore bien compris, une religion ne peut qu’être exclusive. Si elle est mise à égalité avec une autre, elle se détruit. Ainsi, Ferdinand Buisson demande à l’école d’accepter toutes les religions sans distinction ni favoritisme. C’est la meilleur façon d’inculquer aux enfants une religion qui les prédomine toute. L’instituteur en est bien le missionnaire, ou encore l’apôtre. Il doit être l’« éducateur des consciences »[2].

Les révolutions ont aussi bien compris l’enjeu de l’école dans une nation. Le projet de Le Pelletier de Saint-Fargeau en est l’illustration. Dans son système, les enfants doivent être retirés des familles pour que la république les éduque en commun, hors de toute autre influence. L’école est bien le lieu où se forment les consciences. Celui qui les dirige détient donc un pouvoir formidable. Plus il est concentré et centralisé aux mains d’une organisation, plus ce pouvoir est colossal.

La forte concurrence entre les écoles

Or, au XIXe siècle, les écoles publiques, y compris les lycées, sont fortement concurrencées par les écoles tenues par l’Église [3]. En effet, la population préfère se rendre dans les établissements des ordres religieux et des congrégations. Étant majoritairement catholique, elle préfère naturellement envoyer leurs enfants dans les écoles tenus par des catholiques. Elle n’apprécie guère ces écoles marquées de républicanisme. En outre, la qualité de leur enseignement et le dévouement des enseignants sont très largement reconnus, y compris par les communes. Enfin, les enseignants sont suffisamment nombreux pour répondre à un besoin en nette augmentation, en particulier chez les filles. N’oublions pas qu’ils interviennent aussi dans les écoles publiques à la demande des municipalités et des populations. Ils interviendront encore bien après les lois de 1880 [4].

L’école, objet de caricatures

La concurrence entre les deux écoles se manifeste par les caricatures très à la mode surtout à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Les adversaires des écoles religieuses et congréganistes attaquent l’enseignement qu’elles fournissent ainsi que les enseignants au travers des journaux et des caricatures. Par des stéréotypes ou des procédés d’animalisations, ils les présentent comme dépassées, avilissantes, propres à faire perdurer la servitude contrairement à l’école de la république, qui propose le progrès, la modernité, l’humanité. L’illustration très en vogue crée un sentiment de répulsion irrationnel, virulent à l’égard des religieux et des congréganistes. Nous pouvons citer La Lanterne, la Raison, les Temps nouveaux, l’Assiette au beurre, le Grelot, la Calotte, etc.7

« Dans sa grande majorité, la caricature de l’enseignement congréganiste recourt à deux séries d’arguments beaucoup moins politiques : l’école religieuse produit de la bêtise, et l’enseignant religieux apparaît comme un être pervers. »[5] Les élèves sont coiffés de bonnets d’âne, transformés en cochons ou en moutons, « symbole de la docilité décérébrée »[6] ou encore dessinés comme des êtres soumis, poignets entravés, les yeux bandés. L’école ne sert finalement qu’à les embrigader au lieu de transmettre le savoir. Les caricatures présentent les enseignants comme des tortionnaires, des êtres inhumains sévissant sur  les enfants sans aucune pitié. Ils fustigent déjà la perversité sexuelle. L’instituteur laïque est bien-sûr présenté comme vertueux et totalement dévoué à l’enseignement, incapable de duplicité et de sadisme, bref le contretype de l’instituteur religieux ou congréganiste.

Les partisans de l’enseignement par les congrégations répondent à leur campagne de dénigrement. L’enseignement de l’école laïque est présenté comme erroné mais surtout comme sans Dieu, générant une jeunesse criminelle, immorale, destructrice de l’ordre social et de la propriété privée. Ils se focalisent sur les effets d’un enseignement soustrait à la religion.

L’école est ainsi l’objet de nombreuses caricatures en la fin du XIXe siècle. Il s’agit de convaincre les familles à inscrire leurs enfants dans tel ou tel système scolaire. Les deux camps, républicains et catholiques, utilisent l’image dégradante pour disqualifier leurs adversaires en agitant la menace du pire. C’est une bataille de stéréotypes simples et très efficaces, exploitant à merveille les émois collectifs. « La caricature ne se donne pas pour but d’opposer des méthodes éducatives, mais de diffuser, par un moyen efficace et accessible au plus grand nombre, de l’idéologie. »[7] L’école est en effet l’enjeu d’un combat car tous sont conscients de son importance pour construire l’avenir qui se dessine.

L’œuvre de laïcisation

Les calomnies, les insultes, les vexations sont-ils des armes suffisantes pour que les républicains réduisent la concurrence des écoles religieuses et congréganistes ? Certes, elles doivent avoir un effet sur la population mais elles ne peuvent guère être déterminantes. En prenant le pouvoir, les républicains disposent d’une autre force, celles des lois. L’interdiction aux congréganistes et aux religieux d’enseigner par décret [8] est un coup fatal, même si en pratique, elle n’est guère appliquée, faute d’enseignants suffisants. Mais avec le temps, avec le développement de la formation d’instituteurs, ils doivent quitter le monde de l’enseignement, ou plus précisément les écoles populaires. Ce sont en effet les classes peu aisées qui en sont directement touchées. Les plus riches peuvent encore bénéficier de la qualité de leur enseignement. L’Église est ainsi détachée du « peuple »…


Les républicains se vantent ainsi d’avoir enlevé à l’Église un « moyen de contrôle » sur la population mais au profit de qui ? Car désormais, seul l’État pourra librement éduquer la conscience de la grande masse populaire. La gratuité de l’école et l’obligation scolaire la poussent irrésistiblement dans les bras de l’école républicaine. L’homme nouveau, tant rêvé par les révolutionnaires, peut désormais se réaliser. La religion si chère à Buisson pourra ainsi toucher un plus grand public.

L’école au service d’une idéologie

Cependant, contrairement aux beaux discours de Buisson et de Ferry, l’éducation que reçoivent les écoliers en classe primaire n’est pas aussi neutre qu’elle prétend l’être. Le projet éducatif qu’il nous présente est en effet mensonger…

D’abord, de manière générale, en excluant Dieu de l’école, l’État prend nécessairement position. L’absence de Dieu équivaut à une négation, non explicite, ni affirmée, mais bien véridique. L’indifférence religieuse, voire l’athéisme, ne pourront que croître dans la population.

Puis, le contenu même de l’enseignement s’oppose à la neutralité. Le programme officiel du 27 juillet 1882, par exemple, institue un cours d’instruction morale et civique. Certes, il mentionne l’apprentissage des « devoirs envers Dieu » mais les cours de morale proposent un enseignement puisé dans le kantisme, le positivisme, le protestantisme libéral, etc., bref de toutes les pensées qui émergent au XIXe siècle, y compris les théories évolutionnistes et eugénistes. Ils promeuvent aussi la liberté, la dignité humaine et la solidarité conçues dans une perspective individualiste, rationaliste et volontariste.

Enfin, les manuels utilisés dans les écoles publiques sont très orientés. Le Moyen-âge fait l’objet de violentes critiques, empreintes de préjugés et de mensonges, qu’aujourd’hui de nombreux historiens tentent de combattre. Les croyances religieuses prennent l’allure de superstitions. L’Église est associée à la contre-révolution. L’histoire ancienne ne contient aucune référence à la religion ni à l’histoire sainte. Dieu y est encore absent. Le manuel de l’instruction civique de Paul Bert, publié en 1882, est assez flagrant. Il rassemble bien des préjugés sur l’ancien régime et sur l’Église. Tout se résume aux lettres de cachet et aux fameuses dragonnades. Les crimes commis sous la révolution ? Le château du baron brûlé ? C’est « le fils d’un pauvre diable que le baron avait envoyé aux galères pour avoir tué un cerf : qui sème le vent récolte la tempête »[9]. Que de préjugés dans ces pages ! Plus modérés, « le Petit Lavisse » est le manuel d’histoire de France que tout écolier devra connaître par cœur. L’histoire est présentée sous forme de succession de régimes, organisée de manière à percevoir la finalité révolutionnaire et donc républicaine.

Et l’éducation morale ?

Revenons sur les « devoirs envers Dieu ». Par la loi du 28 mars 1882, l’instruction morale et religieuse prodiguée au sein de l’école est remplacée par l’instruction morale et civique. Elle est mise en place par des philosophes et pédagogues comme Paul Janet [10] et Henri Marion [11], et bien sûr par Buisson. Conformément aux inspirations de ce dernier, l’idée de Dieu est dissociée de toute confession religieuse. Elle est pleinement déiste. Il s’agit bien d’une religion laïque comme nous l’avons déjà évoqué [12]. « En dépit d’une certaine montée de l’indifférence religieuse, […] la majorité du corps enseignant primaire (instituteurs, inspecteurs, professeurs et directeurs des écoles normales) a fait sien le spiritualisme du programme officiel. »[13]

Dans son manuel d’instruction morale et civile, Paul Bert, alors ministre de l’Instruction publique et des cultes, explique comment il conçoit l’éducation morale : « nous devons d’abord, dans l’école, former des hommes et des femmes dont l’âme, fortement trempée, ne subordonne pas l’idée de la morale aux croyances religieuses et qui puissent être moraux sans avoir été ou après avoir cessé d’être croyants. »[14] La morale est ainsi dissociée de la religion et de Dieu, ce qui accroît encore la pesante absence de Dieu. Les autres manuels n’évoquent jamais Dieu dans leur instruction morale et civique.

Face aux attaques des catholiques, Jules Ferry se défend : « nous avons promis la neutralité religieuse, nous n’avons pas promis la neutralité philosophique ». L’école est ainsi le lieu de l’idéologie. Nous sommes bien éloignés des préoccupations de Condorcet, qui refusait toute intervention de l’État dans le contenu de l’enseignement afin de garantir son indépendance.

Conclusions

La laïcité est une arme pour se défaire de l’influence de l’Église et ainsi inculquer des valeurs à une plus grande partie de la population. Il ne s’agit pas d’instruire pour apprendre aux enfants à développer leur raisonnement ou leur donner une plus grande liberté d’esprit mais bien de former des consciences selon une certaine philosophie et une religion particulière. Tout est fait pour éloigner l’enfant de l’ancien régime et surtout de l’Église. Il s’agit de former des républicains selon une morale particulière, influencée par le protestantisme libéral, le spiritualisme et le kantisme.

L’école publique, dite laïque, a été conçue par des républicains et se présente comme un lieu d’éducation de conscience. Tout ce qui rappelle Dieu et l’Église est passé sous silence, y compris les faits religieux dans l’histoire. Est-ce ainsi la liberté de conscience ? Mais comment peut-il faire autrement ? Car là réside la plus grande contradiction de la laïcité. Comment est-il possible de former une conscience sans imposer une manière de penser ? Toute la question revient donc à choisir la bonne façon de penser. L’État doit-il avoir ce rôle ?



Notes et références
[1] Voir Émeraude, novembre 2019, article "Laïcité, une nouvelle religion".
[2] Voir Émeraude, octobre 2019, article "Laïcité : éduquer les consciences, inculquer la religion laïque".
[3] Voir Émeraude, novembre 2019, article "Laïcité : calomnies et mensonges contre l'Église et l'enseignement catholique".
[4] Voir Émeraudenovembre 2019, article "Laïcité : calomnies et mensonges contre l'Église et l'enseignement catholique".
[5] Guillaume Doizy, La caricature politique de l’école au début de la IIIe République, enjeux d’une propagande (I), 6 janvier 2007, caricatures&caricature.com. L’article est réalisé pour le colloque Art-Image(s)-Histoire. L’école : représentation(s), mémoire, organisé par l’Iufm de Clermont-Ferrand, 4et5 mars 2006.
[6] Guillaume Doiy, La caricature politique de l’école au début de la IIIe République, enjeux d’une propagande (I).
[7] Guillaume Doizzy, La caricature politique de l’école au début de la IIIe République, enjeux d’une propagande (II), 18 janvier 2007.
[8] La proposition a été à l’origine rejetée par la chambre des députés. Jules Ferry publie alors un décret en réveillant une ancienne loi.
[9] Paul Bert, L’instruction civique à l’école : notions fondamentales, Quinzième leçon, 1883, gallica.bnf.fr.
[10] Philosophe français partisan de l’éclectisme de Cousin. Il développe l’idée d’une morale fondée sur l’excellence et la doctrine du devoir.
[11] Philosophe français et pédagogue, aussi axé sur l’obligation morale.
[12] Voir Émeraude, novembre 2019, article "Laïcité, une nouvelle religion".
[13] Annie Bruter, notes critiques sur l’ouvrage de Pierre Ognier, Une école sans Dieu ? 1880-1895, L’invention d’une morale laïque sous la IIIe République, Presses universitaires du Mirail, 2008, collection Tempus.
[14] Paul Bert, Instruction civique et morale, avant-propos, 1882. Dans la version de 1883, la citation est absente.

samedi 23 novembre 2019

Laïcité : calomnies et mensonges contre l'Église et l'enseignement catholique



Au XIXe siècle, alors que le gouvernement veut imposer la laïcité dans l’enseignement, l’Église est accusée d’obscurantisme, reprenant ainsi une vieille habitude issue des Lumières. Ce terme est bien commode puisqu’il est suffisamment éclairant pour le comprendre, suffisamment fort pour être accusateur. L’ignorance est excusable, l’obscurantisme non.

Selon le site Internet de Larousse, l’obscurantisme désigne « l’opposition à la diffusion de l’instruction, de la culture, au progrès des sciences, à la raison, en particulier dans le peuple »[1]. Littré est encore plus explicite. C’est « l’opinion de l’obscurant », c’est-à-dire de « celui qui est opposé aux progrès des lumières et de la civilisation »[2]. Dans une édition ancienne de l’encyclopédie de Quillet, nous trouvons une définition plus relative : « système réel ou supposé de ceux qui s’opposent à la diffusion de l’instruction et au progrès de la civilisation dans lesquels ils voient un danger pour la société »[3]. En distinguant réalité et supposition, cette dernière définition prend mieux en compte l’histoire et les polémiques qu’elle contient.

Au XIXe siècle, au cours du débat sur la laïcisation de l’enseignement, l’Église est donc accusé d’entretenir l’obscurantisme afin de mieux contrôler les individus et la société, ce qui justifie son exclusion de l’enseignement. Or, une telle accusation peut nous sembler bien paradoxale. Comment est-il en effet possible de s’opposer à la diffusion de l’instruction tout en dominant le monde de l’enseignement ? Est-ce une calomnie ou une réalité ? Ou le terme est-il inadapté ? Tel est le sujet de notre article…

La parole à l’accusation : opposition entre Église et modernité

Dans son rapport relatif à la séparation des Églises et de l’État[4], qu’il présente à la chambre des députés en 1905, Aristide Briand dénonce « l’obscurité du dogme » qu’il faut combattre par la loi pour en « dégager progressivement les intelligences enfantines »[5]. Il décrit en fait « l’abîme qui sépare le catholicisme romain de la civilisation moderne », abîme qui « apparaîtra plus profond », « à mesure que les esprits s’éveilleront plus nombreux aux vérités scientifiques ». Aristide Briand oppose ainsi l’Église à la civilisation moderne et à la science. Il explique que cette opposition est cachée par l’ignorance scientifique. Le dogme est alors dénoncé parce qu’il maintient cette ignorance. Le terme de dogme employé soulève néanmoins quelques questions. Signifie-t-il les vérités religieuses enseignées par l’Église, leur formulation ou encore leur caractère immuable ? Mais comme nous l’avons déjà constaté[6], le rapport d’Aristide Briand révèle une profonde ignorance à l’égard de l’Église et surtout une volonté de ne point la connaître.

La parole à l’accusation : s’affranchir de la tutelle de l’Église

Ferdinand Buisson, le « père de la laïcité », est plus subtil. Utilisant les principes du positivisme d’Auguste Comte, il reconnaît le rôle de l’Église dans la marche de l’humanité vers « une conquête, une victoire de l’esprit humain sur la misère et sur l’ignorance »[7] mais son rôle d’éducatrice est dépassé. Il dénonce alors une mise sous tutelle qui restreint l’épanouissement de l’homme. « Nous n'acceptons pas pour l'homme ce rôle de perpétuel mineur. Nous souhaitons de le mettre le plus tôt possible en possession d'une volonté qui soit la sienne, d'une raison et d'une conscience qui soient les siennes. »[8]

L’éducation doit donc être désormais attribuée à l’instruction publique. Il évoque les actions bénéfiques de Saint Jean-Baptiste de La Salle et de Saint Vincent de Paul en faveur de l’instruction, mais, ajoute-t-il en dépit de leur clergé. Contrairement aux clercs du XIXe siècle, ils se seraient réjouis, suppose-t-il, de l’instruction que la république met en œuvre. C’est l’institution cléricale qui est donc clairement accusée.

La parole à l’accusation : incompatibilité entre l’Église et la république

Ouvrage élaboré par Frère Philipe
des écoles chrétiennes
Quinet va encore plus loin. Il démontre l’incompatibilité entre les principes qui régissent l’institution religieuse et les principes auxquels adhère la société contemporaine. « La liberté est incompatible avec l'esprit de cette institution »[9], en parlant de l’Église romaine, encore accusée de maintenir le « servage spirituel ». L’exclusivisme religieux, qui est naturel pour une religion, sans quoi elle se détruirait, s’oppose nécessairement aux valeurs républicaines que sont la liberté de conscience et l’égalité. Là demeure sans-doute le point central de l’accusation. Il n’est pas possible de lier les principes qui régissent l’Église et celles qui doivent diriger la société. Il est vrai que Buisson semble contredire Quinet. Il s’oppose en effet à « certains esprits trop simples » qui « se l'imaginent peut-être, qu'il y ait incompatibilité entre le sentiment religieux et la démocratie la plus libre. »[10] Mais rapidement, il nous parle d’un rêve, celui d’une Église entièrement spirituelle, sans corps ni dogme. L’accusation porte donc sur la conception même de l’Église.

La parole à l’accusation : incompatibilité entre les fonctions religieuses et enseignantes



De même, comment le prêtre et le religieux peuvent-ils enseigner de manière indépendante quand ils sont affiliés à un ordre et à une religion ? Leur conception de vie suit celle de l’institution religieuse à laquelle ils appartiennent. Buisson souligne surtout la discipline des congrégations religieuses qui ne peut guère accepter la liberté d’enseignement. Il tente de démontrer l’incompatibilité entre les fonctions religieuses et enseignantes. « Le prêtre - et encore plus le moine- est l'homme de la foi ; le professeur est l'homme de la raison, par conséquent du libre examen. »[11] Car, rajoute-t-il « s’engager à être professeur, c’est s’engager à penser et à penser librement. C'est promettre d'éveiller et d'exercer le sens critique, l'habitude de la discussion, l'esprit de recherche sans limite et sans réserve. C'est déclarer que, quelle que soit la vérité, on l'acceptera le jour où la science la fera éclater, dût-elle renverser toutes les théories reçues. » [12]  Cela va à l’encontre du prêtre ou du religieux qui s’écartera de la règle et finira par être exclu de son institution. Buisson revient aussi sur la confusion des fonctions alors que la société moderne exige la division du travail.

La parole à l’accusation : force oppressive de Église dans l’enseignement

En outre, les moyens dont dispose l’Église dans l’enseignement font l’objet d’accusation. Selon Buisson, par ses congrégations religieuses, elle dispose « d'un des plus admirables appareils de pression intellectuelle et morale, sociale et religieuse, qui aient été forgés en ce monde », ce qui lui permet d’« assurer le maintien de sa domination sur les consciences »[13]. Finalement, elle maintient la tutelle sur l’esprit humain. Pourquoi ? Pour rendre compatible la science à son enseignement. Nous revenons donc aux affirmations d’Aristide Briand. L’Église veut dominer le monde de l’enseignement pour maîtriser la diffusion de la vérité scientifique et la rendre compatible avec son enseignement religieux.

Rapide état des lieux : pallier au manque de système éducatif détruit par la révolution

Quelle est en fait la situation ? Le XIXe siècle est marqué par la renaissance des ordres religieux et des congrégations catholiques en France. Il est vrai qu’au lendemain de la révolution de 1789, leur situation était catastrophique. Le monde religieux avait quasiment disparu en France.

Avant les lois de 1880, qui fondent l’école laïque, l’enseignement est soit une des activités des ordres religieux et des congrégations parmi tant d’autres, soit l’objet essentiel de leur occupation. Nous constatons aussi que les religieux ou congréganistes enseignent dans les écoles qu’ils dirigent ou dans les écoles publiques, qu’elles relèvent de l’enseignement primaire ou secondaire. Ils fondent aussi des écoles, notamment pour former leurs enseignants. Elles sont généralement d’origine locale, surtout pour l’enseignement des filles. Enfin, soulignons que ces enseignants sont soit des religieux, soit des laïcs au sens propre du terme.

Leur renaissance s’explique en partie par la situation désastreuse que connaît le pays au lendemain de la révolution. Le pouvoir politique voit toute l’utilité de leurs actions et les favorise pour pallier de manière urgente au manque de système éducatif. En outre, le XIXe siècle est marqué par le développement considérable de la scolarité des filles. Les congrégations offrent alors leurs services et leurs compétences à l’État bien impuissant à relever le défi. Elles proposent des institutrices qu’elles ont formées, permettant ainsi l’ouverture d’écoles communales. Elles créent des sortes d’écoles normales d’institutrices rurales. C’est pourquoi des écoles publiques fonctionnent avec et grâces aux religieux en accord avec les lois de l’État.

En raison de leur utilité sociale, de leur dévouement et de leur efficacité, et de leur gratuité, les gouvernements français favorisent et facilitent le développement des congrégations enseignantes. La Monarchie de Juillet œuvre pour mettre en place un système scolaire à l’échelle nationale en le libéralisant. Ce sont les lois de Guizot en 1833 pour l’enseignement primaire et de Falloux en 1850 pour l’enseignement secondaire. En 1852, les congrégations exerçant une activité utile à la société obtiennent une reconnaissance officielle. Sous Napoléon III, de nombreuses reconnaissances officielles sont données aux congrégations, dont beaucoup sont enseignantes.

L’importance de l’Église dans l’enseignement

Concernant l’enseignement des filles, en 1861, près des deux tiers des religieuses et congréganistes y œuvrent. En 1863, 73% des 100 000 jeunes filles éduquées dans les pensionnats le sont par des religieuses[14]. En 1880, les ordres et congrégations religieuses scolarisent 60% des filles environ. À Lyon, sur les 124 écoles pour filles, 65 sont congréganistes et 59 laïques. L’enseignement des garçons connaît le même engouement. En dépit d’une politique plutôt défavorable, les Jésuites parviennent à s’implanter en France. Ils auront 29 établissements d’enseignement secondaires, réunissant 11 000 élèves, quand la Compagnie de Jésus sera de nouveau dissoute en 1880. Après les décrets des 28 et 29 mars 1880 qui ferment les établissements scolaires et expulsent les religieux et congréganistes enseignants, 5 700 religieux quittent la France.

À la fin du XIXe siècle, nombreux sont les religieux et les laïcs des congrégations qui continuent d’enseigner mais le plus souvent dans l’enseignement privé, dans le cadre d’écoles ou d’établissements scolaires indépendants. Alors qu’après la révolution, ils tentaient de répondre aux besoins scolaires, palliant ainsi à la désorganisation de l’État, ils cherchent désormais à se maintenir, à survivre. Alors qu’ils œuvraient pour toute la société, ils ne peuvent désormais que scolariser des enfants issus des classes aisées. Telle est une des conséquences de la laïcité de l'enseignement... 

Réponses aux attaques

Pour notre article, il serait inutile de parler de l’enseignement en France avant la révolution. Cela ne répondrait guère aux accusations des « pères de la laïcité » puisqu’eux-mêmes reconnaissent les bienfaits passés de l’Église. Cependant, ils rajoutent aussitôt que ses actions ne sont plus acceptables au XIXe siècle et qu’il est temps d’affranchir la société de son emprise. C’est l’attaque la plus sérieuse que mènent les adversaires de l'Église contrairement aux insultes et aux vociférations des antireligieux et des anticléricaux au travers de leurs journaux et de leurs discours.

Le rapide état des lieux de l’enseignement nous montre un autre visage de la situation. D’une part, l’enseignement en France n’a pu subsister après la révolution qu’en raison de l’activité des religieux et des congréganistes. Et même après les lois de 1880, des communes ont désobéis sciemment aux lois pour les garder afin de maintenir leurs écoles. C’est bien la nécessité qui a fait surgir des vocations, et non un esprit de domination ou de théocratie. Le même esprit anime les religieux et congréganistes lorsqu’ils s’occupent des malades, des pauvres, des femmes aliénées, des délinquantes sorties de prison, etc.

Évidemment, au début du XIXe siècle, peu d’enseignants étaient formés. Un effort a donc été mené dans l'Église pour mettre en place des formations au profit des religieux et des congréganistes, généralement lors des noviciats des futures éducatrices. Les écoles de noviciat de la congrégation de Bourg-en-Bresse et de Lyon sont si efficaces qu’elles deviennent, à la demande du préfet, l’école normale d’institutrices du département de l’Ain en 1880. Quelle plus belle reconnaissance de la qualité de leur formation ? Ainsi, leurs activités d’enseignement se développent pour répondre aux besoins.

En outre, jusque aux années 1930 au moins, ce sont encore les municipalités qui s’occupent des écoles en dépit des lois, des programmes et des politiques qui se suivent. Après les lois de Jules Ferry, des maires n’ont pas hésité à garder leurs enseignants religieux ou congréganistes. Le réalisme s’impose. L’État n’a pas les moyens de ses ambitions.

En fait, la concurrence est grande entre les écoles de l’État et celles de l’Église[15]. Au temps de Napoléon, les lycées d’État sont durement concurrencés par les établissements privés et des petits séminaires. L’empereur doit mettre en place un véritable monopole pour faire disparaître cette concurrence. Dans les régimes qui succèdent à l’empire, la concurrence est toujours très vive. Pour la combattre,, le gouvernement s’appuie plutôt sur l’uniformisation de l’enseignement et son caractère national. Mais, c’est un échec. Il est vrai qu’en même temps, il libéralise l’enseignement.

Les écoles sont généralement l’œuvre d’initiatives locales et ne connaissent guère la centralisation de notre actuel système scolaire, surtout pour l’enseignement des filles. Dans ce cas, il est bien difficile de croire à une mainmise de l’Église sur les consciences avec un système si déconcentré et si disséminé. Une telle domination est plus réelle lorsque l’enseignement est concentré et qu’il n’existe qu’un seul corps d’enseignement. C’est encore plus facile lorsqu’il est fait l’objet d’un monopole comme aujourd'hui !

Enfin, quels sont les principales congrégations masculines en charge de l’enseignement ? La plus importante est celle des Frères de l’Instruction chrétienne du Saint-Esprit, approuvée en 1835, congrégation formée de laïcs. La Société de Marie, fondée en 1817, contient un groupe dédié à l’enseignement. Il est composé uniquement de laïcs. Recrutées auprès de la paysannerie, les institutrices de la congrégation de Sainte-Famille, à Besançon, ne sont aussi que des laïques. Comment est-il alors possible de laïciser ces enseignants au sens propre du terme ?! Au XIXe siècle, le mouvement religieux n’est plus le même qu’aux siècles précédents. Pour mieux s’adapter aux besoins et aux populations, l’Église évolue naturellement.

L’enseignement, œuvre de la charité

Quel est le but de ce développement remarquable des congrégations en faveur de l’enseignement ? Certains, comme l’Oratoire et l’institut des Frères des écoles chrétiennes, renaissent de la tragédie révolutionnaire pour faire revivre l’aventure avec d’autres méthodes alors que d’autres se créent. Ils veulent répondre aux besoins d’alphabétisation, notamment chez les filles, et à une demande croissante d’enseignants, y compris pour les écoles publiques. Les congrégations enseignantes ne cherchent pas à remplacer l’État ou à le remettre en cause. Ils pallient à la déficience d’un système qui ne peut répondre à des besoins légitimes. « Toute mon ambition est de créer en France un enseignement qui y manque ». Telle est l’ambition du Père Lacordaire, le fondateur du Tiers-ordre dominicain enseignant. De plus, la qualité de l’enseignement et leur dévouement sont reconnus et donc recherchés. Comme l’avoue Buisson lui-même, leur dévouement dépasse grandement ceux des instituteurs publics.

La république peut exiger la gratuité des écoles. Bien avant les lois de 1880, la gratuité de l’enseignement était déjà mise en place dans les écoles catholiques qui œuvrent dans les quartiers pauvres. L’idée de tout salaire ou profit n’entre pas dans leur cadre de pensée. C’est bien plus tard, quand l’État a exclu l’Église de l’enseignement public, qu’elle s’est tournée uniquement vers les milieux aisés…

La principale préoccupation des congrégations enseignantes est aussi de relever le niveau moral et religieux de la société, surtout après la révolution de 1848 puis la débâcle de 1870. De nombreuses congrégations abandonnent certaines activités pour se dévouer à l’enseignement comme les Oratoriens et les Frères de l’Instruction chrétienne de Ploërmel. Même les Franciscains fondent des collèges. Les religieux et congréganistes ne sont pas en effet seulement des instructeurs.; ce sont aussi des éducateurs. La dimension religieuse de leurs actions prime sur leur enseignement. L’éducation de la jeunesse et des maîtres sont leur principale préoccupation. Comme le proclame le père Libérier devant ses élèves du collège Saint-Charles de Saint-Brieuc : « Nous sommes de ceux qui ont foi en leur avenir, mais cependant à une condition : c’est qu’instruits par nos revers inouïs nous chercherions à prévenir des crises dont on peut mourir. Bien des systèmes se présentent. Pour moi, je ne crois à l’efficacité que d’un seul : l’éducation de la jeunesse. C’est là qu’il faut commencer toutes nos réformes et chercher le secret de notre prospérité future… La jeunesse, seule possède ce privilège de n’avoir aucun passé qui l’enchaîne et de choisir librement sa voie, à condition pourtant de grandir sous la tutelle d’une forte éducation intellectuelle et morale. »[16]

L'esprit de dévouement

Le dévouement des religieux et des congréganistes à l’égard des enfants pour les instruire et les éduquer est inattaquable. Leur volonté n’est pas simplement de leur transmettre des compétences et de leur inculquer des savoirs mais bien de les éduquer. Cela est bien naturel en raison de leur vocation et de leur foi. Ils s’intéressent surtout à la jeunesse car ils savent que c’est par elle que la nation peut se relever moralement et religieusement. Pour cela, ils se sont adaptés à la population et au contexte difficile du XIXe siècle, enfreignant parfois la loi pour répondre aux besoins que l’État lui-même ne pouvait répondre. Il est donc facile pour les politiques de dénoncer leur prétendue mainmise quand ils sont bien incapables de mener le même effort avec une telle énergie. Les municipalités bien au fait des réalités n’hésitent pas à appeler les religieux et les congrégations pour le bien de leurs administrés. Nous sommes bien loin des soi-disant intrigues du pape dans les affaires de la France ou d’une mainmise de l’Église sur les consciences des enfants. Sur le terrain, dans une classe, la situation est bien plus terre-à-terre…

Les enseignants religieux ou congréganistes ne peuvent guère être concurrencés par les « hussards noirs de la république ». Leur qualité d’enseignant et leur dévouement sont reconnus. Ils ne constituent pas des corps attachés à leurs intérêts comme nous le voyons parfois aujourd’hui. Ils ne cherchent pas non plus à être mieux payés. L’ironie est que la république demande à ses instituteurs le même dévouement avec un salaire bien faible. Leur sort n’est pas enviable.

Conclusions

Critiqués, injuriés, calomniés, les religieux et congréganistes ont subi bien des épreuves. De nouveau, comme en 1789, leurs œuvres ont été dilapidées. Il a fallu attendre la première guerre mondiale et les souffrances dans les tranchées pour que leur dévouement soit de nouveau reconnu. Mais dans une société qui veut s’enrichir, le dévouement n’est guère une vertu. La société de consommation peut-elle encore le comprendre ? C’est en raison de leur conception de vie que les pères de la laïcité ont voulu les exclure de l’enseignement. 

Pour terminer cet article, nous pensons à ces enseignants religieux et congréganistes qui poursuivent l’œuvre de leurs aînés avec le même dévouement sans aucune aide de l’État. L’une des élèves du Tiers-Ordre dominicain enseignant entrée cette année en faculté de lettres a eu la grande surprise d’apprendre que son niveau en grec ancien dépassait de loin celui de son professeur. Elle siège désormais avec des étudiants en master sans aucun complexe. D’autres témoignages montrent le niveau de culture de leurs élèves bien au-dessus de la moyenne. Leurs qualités de travailleurs sérieux et leurs méthodes de travail sont aussi très appréciées. Leur éducation ne fait l’objet d’aucun reproche au point que leur comportement se fait remarquer devant les examinateurs. Ils ne sont pas comme les autres…

Contrairement à nos écoles publiques, l’enseignement et la qualité des écoles chrétiennes indépendantes, dites hors contrat, savent durer et puiser dans leur expérience une mine de trésors pour le bien des âmes. Ils ne fluctuent pas au gré des politiques et des gouvernements, des idéologies, des syndicats et des libres penseurs, ou encore des éditeurs de manuels. Or  l’éducation ne peut guère être fiable ni efficace sans durée ni cohérence comme l’avait déjà compris Saint Jean-Baptiste de la Salle. Telle est l’histoire de notre école publique depuis un siècle, où le bien de l’enfant n’est pas finalement au centre des préoccupations, mais bien l’électeur, le consommateur ...


Notes et références
[1] Voir article « obscurantisme », larousse.fr, 20 octobre 2019.
[2] Voir article « obscurantisme » puis « obscurant », littre.org, 20 octobre 2019.
[3] Dictionnaire encyclopédie Quillet, tome L-O, article « obscurantisme », 1965.
[4] Voir Émeraude, septembre 2019, article « Laïcité : le rapport d'Aristide Briand, erreurs, mensonges et anachronismes, un texte révélateur d'un état d'esprit ».
[5] Aristide Briand (1862-1932), La séparation des Églises et de l’État : rapport fait au nom de la commission de la Chambre des députés, suivi des pièces annexes, 1905, gallica.bnf.fr.
[6] Voir Émeraude, septembre 2019, article « Laïcité : le rapport d'Aristide Briand, erreurs, mensonges et anachronismes, un texte révélateur d'un état d'esprit ».
[7] Ferdinand Buisson (1841-1932), Discours prononcé à l’inauguration des écoles de Fontenay-le Comte (Vendée), juillet 1887, dans La foi laïque : extraits de discours et d’écrits (1878-1911), 3e édition, 1918, gallica.bnf.fr.
[8] Ferdinand Buisson, L’éducation de la volonté, leçon de clôture du cours de pédagogie à la Sorbonne, 22 juin 1899, dans La foi laïque : extraits de discours et d’écrits (1878-1911),.
[9] Quinet, L’enseignement du peuple, chap. IV, 4e édition, librairie Chamerot, 1850.
[10] Ferdinand Buisson, L’Église et l’école, Les nouvelles méthodes de la propagande catholique, 22 janvier 1899, Le Siècle, dans La foi laïque : extraits de discours et d’écrits (1878-1911).
[11] Ferdinand Buisson, La liberté des congrégations et la liberté de l’enseignement, IV, discours prononcé le 10 septembre 1902, Le Temps, 17 septembre 1902.
[12] Ferdinand Buisson, La liberté des congrégations et la liberté de l’enseignement, VI.
[13] Ferdinand Buisson, La liberté des congrégations et la liberté de l’enseignement, V
[14] Les chiffres sont fournis par Sophie Hasquenoph, Histoire des ordres et congrégations religieuses en France, du moyen-âge à nos jours, Champ Vallon, janvier 2009.
[15] Voir l’article instructif de Philippe Savoie, « Les caractères originaux de l’histoire de l’État enseignant français XIXe-XXe siècles », Histoire de l’éducation [En ligne], 140-141 | 2014, mis en ligne le 31 août 2014, http://journals.openedition.org/histoire-education/2762.
[16] S. Hasquenoth, « Le père Libercier (1841-1928) Dominicain enseignant et curé de Moscou », dans Mémoire dominicaine, n°15, Cerf, 2001.
[17] Que demandent les religieuses qui travaillent au profit des écoles publiques ? Qu'elles soient uniquement logées par les municipalités qui les emploient.