Les
miracles de Notre Seigneur Jésus-Christ ne sont pas des mythes ou des légendes.
Les récits du Nouveau Testament nous décrivent ce qui s’est réellement produit.
Notre foi se fonde en effet sur des faits historiques concrets et avérés. Certains
adversaires du christianisme tentent alors de nous persuader de leur fausseté
ou de leur qualité purement symbolique. La méthode la plus utilisée est de
souligner les points communs entre les récits évangéliques et mythologiques
puis d’en extraire certaines valeurs symboliques afin de les ranger au rang des
mythes. Le christianisme ne serait donc qu’un avatar du paganisme. Ils veulent ainsi
montrer que son origine est purement humaine et que par conséquent l’Église n’a
pas cessé de se tromper et de nous tromper. De tels adversaires vont même oser
nous convaincre que les religions païennes de l’antiquité n’ont rien à envier
au christianisme. Contrairement à ce que nous pensions, elles porteraient une
valeur morale et une spiritualité profondes, élevées et antérieures aux valeurs
chrétiennes. Finalement, en les écoutant, nous finirions par croire que le
christianisme n’est qu’une pâle copie du paganisme. Il l’aurait même empêché de
poursuivre son évolution vers de hautes valeurs. En un mot, le christianisme ne
serait qu’une imposture néfaste au progrès spirituel et moral.
Le
témoignage de l’histoire nous présente une autre réalité, beaucoup plus proche
de la vérité. Ce n’est pas en effet le paganisme qui aurait influencé le
christianisme mais bien le contraire. Face aux chrétiens et au succès de leur
apostolat, la première réaction des païens a été la violence, l’exclusion, la
persécution. En vain. En dépit de ce déchainement de haine et de cruauté, le
christianisme a poursuivi son expansion. Des esprits plus avisés ont alors compris
l’erreur et le danger de cette politique de coercition et de terreur. Ils ont
cherché à concurrencer la religion chrétienne en l’imitant. Mais l’homme n’est
guère dupe. S’il faut choisir, il préfère l’original à la copie. Ainsi a-t-il
directement embrassé le christianisme.
Nous
voudrions présenter quelques exemples de cette véritable et vaine influence,
malheureusement bien méconnue. Car en dépit des efforts qu’ont menés certains
païens pour hausser le niveau spirituel de leur religion, le paganisme n’a
guère survécu. Le christianisme est sorti vainqueur de cette confrontation. Cette
victoire n’est pas le fruit du hasard. Elle témoigne d’une réalité que nous ne
pouvons pas ne pas oublier…
Pourtant,
ce témoignage historique est nié ouvertement. Nous avons ainsi
pu lire que la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ a été influencée par un autre
récit, celui d’Apollonius de Tyane. Dans un autre, les empereurs Marc Aurèle et
Julien l’Apostat auraient été à l’origine de l’élévation spirituelle du
christianisme[1].
Parfaits contre-sens qui remplissent de nombreux discours. Nous allons étudier un cas exemplaire, celui d'Apollonius de Tyane...
Apollonius
de Tyane est un philosophe, un prédicateur ambulant et thaumaturge du Ier
siècle de l’ère chrétienne. Il est né à Tyane, situé en Cappadoce, aujourd’hui la
Turquie centrale, vers l’an 16. Il est mort à Éphèse vers 98. Nous connaissons
son histoire par plusieurs ouvrages dont :
- les Mémorables d’Apollonius de Moeragénès ;
- La vie d’Apollonius de Philostrate (première moitié du IIIe siècle) ;
- Philalèthès d’Hiéroclès (IVème siècle).
Avant
que Philostrate n’écrive sa biographie, Apollonius était connu en Orient comme
un grand magicien et ascète, un homme extraordinaire, voire un dieu.
Il était placé sur des autels aux côtés des dieux alors que d’autres voyaient en
lui un fourbe et un imposteur.
Les
Mémorables
d’Apollonius de Moeragénès insistent sur ses connaissances en magie et la
forte impression qu’il a faite sur certains grands philosophes de son temps
dont Euphratès d’Alexandrie. Origène en parle dans son ouvrage Contre
Celse. « Nous nous
contenterons donc de dire sur le sujet de la magie, que qui voudra savoir si
elle peut faire impression sur les philosophes, ou si elle ne le peut pas, n'a
qu'à lire les choses mémorables d'Apollonius, magicien et philosophe, né à Tyane.
Méragène, qui en est l'auteur et qui n'était pas un chrétien, mais un
philosophe, rapporte que des philosophes de réputation se laissèrent surprendre
à la magie d'Apollonius, et s'en firent une raison pour l'aller trouver, comme
fit, entre les autres, si je ne me trompe, le célèbre Euphrate et un certain
épicurien. »[2]
Au
début du IIIème siècle, Apollonius est surtout connu comme magicien, que
méprise probablement la classe cultivée. « Quelques-uns, parce qu'il s'est trouvé en rapport avec les mages de
Babylone, les Brachmanes de l'Inde et les Gymnosophistes de l'Égypte, pensent
qu'il était magicien, et que sa sagesse n'était que violence: c'est une
calomnie qui vient de ce qu'il est mal connu. […] C'est pourquoi je me suis proposé de donner ici des détails exacts
sur l'homme, sur les moments où se sont produites telles de ses paroles ou de
ses actions, enfin sur le genre de vie qui a valu à ce sage la réputation d'un
être au-dessus de l'humanité, d'un être divin.»[4] Avec l’ouvrage de Philostrate, ce personnage prend une nouvelle forme. Il
devient prestigieux aux yeux de la société païenne.
La
vie d’Apollonius de Tyane selon Philostrate
Philostrate d'Athène v. (170-249) |
Après une longue retraite faite de silence, Apollonius entreprend un long voyage vers l’Orient (Antioche, Ninive, Babylone) jusqu’en Inde où il rencontre des brahmanes. Il visite aussi les grandes villes occidentales avant de se rendre sur les côtes africaines, en Égypte et en Éthiopie. Ses pérégrinations se terminent par l’Asie puis par Rome. Au cours de ces voyages, il rencontre les grands esprits de son temps sans oublier les empereurs romains et les rois des contrées qu’il visite. Emprisonné par l’empereur Domitien pour magie, il s’échappe de sa prison et disparaît.
A
son enseignement, Apollonius associe une vie d’ascète telle qu’elle est définie
dans le pythagorisme antique. Végétarien, il pratique l’abstinence et la
pauvreté. Il condamne les mœurs de son temps. Il est aussi décrit comme un
voyant et un thaumaturge. A son passage, son mode de vie et ses dons attirent
les foules. Il prêche le respect des dieux tout en condamnant tout sacrifice
sanglant.
Œuvre
de propagande ?
Revenons
sur Philostrate. Ancien sophiste d’Athènes, il est un rhéteur célèbre de son
temps. Il a écrit quelques ouvrages dont Vies des Sophistes, l’Héroïque
et des descriptions de Tableaux. Pourquoi a-t-il écrit la
vie d’Apollonius ? Dans les différents articles de spécialistes, nous
avons trouvé deux réponses possibles.
Julia Domna (170-217) |
Philostrate
présente en effet Apollonius comme un sage d’une exceptionnelle qualité, doté
de véritables dons de miracles. Il s’oppose à toute idée de magie dans les
prodiges qu’il accomplit. Il le décrit comme un pédagogue capable de guider les
hommes vers la connaissance des dieux. Selon Apollonius, les dieux veulent être
honorés sous diverses formes de culte. Il enseigne enfin le goût de la
mortification, le respect de l’humanité, une spiritualité faite de prière et de
sacrifices. Il n’est pas vraiment considéré comme un dieu mais plutôt comme un
homme d’une nature supérieure et presque divine.
Il
est incontestable que le héros de Philostrate ressemble beaucoup à Notre
Seigneur Jésus-Christ, même si l’ouvrage ressemble peu aux évangiles. Nous
n’avons pas la sobriété et la simplicité des évangélistes. La Vie d’Apollonius est
« une suite d’anecdotes fabuleuses,
dignes des Milles et Une Nuits, des discours prolixes, des préceptes pédants. »[7]
Apollonius connaît tout sur tout et « tous
subissent sa supériorité » [8].
Certains faits nous montrent que Philostrate puise parfois son inspiration dans
les Évangiles.
Apollonius ressuscite une jeune fille, prodige qui ressemble fort à la
résurrection de la fille de Jaïre. Il enseigne par des paraboles. Il choisit de
passer par certaines villes sous l’influence d’une vision comme Saint Paul. Il
adresse par lettres à certaines villes des conseils et des exhortations. Il
s’échappe de sa prison comme Saint Pierre. Sa vie se termine par une apothéose,
par une élévation. Étranges similitudes…
Une
œuvre distrayante ?
Selon
des commentateurs, Philostrate n’aurait voulu en fait que divertir. La
Vie d’Apollonius n’aurait été qu’un prétexte pour écrire un roman de
voyage et d’aventure. « On a
fait trop d’honneur à Apollonius de lui attribuer une intention de polémique
religieuse. Pour nous, il n’est qu’un rhéteur à courte vue et, écrivant ce
livre, il n’a songé qu’à faire œuvre de style, tout au plus à satisfaire une
princesse et une époque préoccupée de merveilleux. Il n’a vu dans la biographie
d’Apollonius de Tyane qu’une matière à développements littéraires et à
narrations merveilleuses. »[9]
L’ouvrage présente tous les caractéristiques d’une œuvre sophistiqué, conforme
au goût de son époque. Philostrate excelle par ailleurs dans la description de
gens extraordinaires.
Certains
indices internes au livre confirment cette hypothèse. L’ouvrage de Philostrate
contient de nombreuses contradictions qui semblent confirmer qu’il n’est qu’un
roman. Apollonius a le don des langues et pourtant, il a besoin d’interprètes
et demande à ses interlocuteurs s’ils connaissent le grec. Les villes que le
héros rencontre sont majestueuses, bien différentes de ce qu’elles étaient en
son temps. « Quand Philostrate vient à
parler de Babylone, il la décrit, non telle qu'elle était dans le temps
d'Apollonius, mais de la manière qu'elle a été décrite par les auteurs,
lorsqu'elle était dans sa plus grande splendeur, et augmente même ce qu'ils en
ont dit. »[10]
L’histoire contient aussi de nombreux anachronismes.
Quelles
que soient ses véritables intentions, Philostrate ne fait pas que distraire son
lecteur. Apollonius apparaît comme le défenseur d’« une religion épurée qui tend au monothéisme et habitue les âmes à
servir les dieux comme ils veulent être servis. »[11] Selon Pierre de Labriolle, Philostrate ne serait qu’un « habile homme »[12].
Il est parvenu à transformer l’image de son héros au point qu’il est devenu une
des plus imposantes figures du paganisme. Porphyre n’hésitera pas à prendre en
exemple Apollonius pour relativiser les œuvres et l’enseignement de Notre
Seigneur Jésus-Christ. Selon Philostrate, Apollonius sera honoré comme un dieu
par les empereurs.
Une arme aux mains d’Hiéroclès
Si
La
Vie d’Apollonius de Philostrate garde un certain mystère, l’intention
d’Hiéroclès est très claire lorsqu’il publie son ouvrage. Son livre est
foncièrement dirigé contre le christianisme.
Hiéroclès
est un homme politique, proche du pouvoir, ancien gouverneur en Basse-Égypte
sous l’empereur Dioclétien. Il a persécuté les Chrétiens. S’inspirant de Celse
et de Porphyre, il critique les Évangiles, soulignant ses
contradictions. Il représente en particulier « les auteurs sacrés et les apôtres comme des ignorants et des
imposteurs, qui avaient exalté sans mesure les actions de leur maître. »[13]
Mais selon Eusèbe de Césarée, il a surtout comparé Notre Seigneur Jésus-Christ
et Apollonius, exploitant leurs différences pour discréditer le premier et valoriser
le second. Il veut en effet démontrer qu’Apollonius était un « sage, un thaumaturge et un exorciste aussi
grand que Jésus-Christ. » Il montre notamment que les miracles de
Jésus, étant peu nombreux et rapportés par des hommes incultes, ne peuvent être
comparés avec ceux d’Apollonius.
Apollonius
vu par Hiéroclès est un objet de propagande. Il manifeste une prise de
conscience de la part des païens et un réel effort intellectuel pour s’opposer
à son expansion. Apollonius est une véritable machine de guerre. Il concurrencera longtemps Notre Seigneur Jésus-Christ. Il finit par être appelé le « Christ grec ». Un représentant de
l’élite païenne, Niclomachus Flavianus, traduit en latin la Vie
d’Apollonius de Phostrate à la fin du IVème siècle, bien après l’édit
de Milan. Saint Augustin[14]
et Saint Jérôme[15]
doivent encore se battre contre ceux qui préfèrent le Christ Apollonius. On évoquera
encore les talismans protecteurs d’Apollonius en Syrie au Ve siècle. Enfin, « au XVe siècle, la polémique antichrétienne a
cru trouver dans la vie de ce personnage une occasion d’attaques détournées. Aujourd’hui le dieu s’est évanoui, le
philosophe a perdu sa portée, il ne reste d’Apollonius de Tyane que le
thaumaturge. Après avoir été présenté comme un continuateur de Pythagore et un
rival de Jésus-Christ, il n’est plus considéré que comme un précurseur de
Swedenborg.»[16]
Conscient
de la force du christianisme, le paganisme a lutté contre son expansion dans le
domaine spirituel et moral. Face à Notre Seigneur Jésus-Christ, il a dressé des
personnages aux dons extraordinaires, mi-divins, capables de Le rivaliser.
Hiéroclès a cherché à relativiser ses qualités et sa puissance. Quant à
Philostrate, il a certainement puisé une partie de son inspiration dans les
récits évangéliques. L’exemple d’Apollonius montre, s’il le faut, que les
païens étaient bien conscients du rôle fondamental de Notre Seigneur
Jésus-Christ dans le christianisme, rôle qu’ils n’auraient pas pu imaginer si
ce n’est a posteriori. Ce n’est donc pas les Chrétiens qui ont suivi les païens
mais plutôt l’inverse. Le cas de Julien l’Apostat est un autre exemple encore
plus frappant…
Notes et références
[1] Voir André Gaillard, Les mythes du christianisme.
[1] Voir André Gaillard, Les mythes du christianisme.
[2]
Origène, Contre Celse, livre 6ème, XLI.
[3]
Lucien de Samosate, Alexandre, §5, dans La Réaction païenne de Pierre de
Labriole, chap.II, IV.
[4]
Philostrate, Apollonius de Tyane, sa vie, ses voyages, ses prodiges, Livre
II, 2, trad. A. Chassaing, 2ème édition.
[5]
Philostrate, Apollonius de Tyane, sa vie, ses voyages, ses prodiges, Livre
II, 32.
[6] Duchesne, Histoire
de l’Église, I, dans Histoire générale de l’Église,
Fernand Mourret, Les Origines
Chrétiennes, chap. IV, I, Bloud et Gay, 1919.
[7] Pierre de Labriole,
La
Réaction païenne de, chap.II, IV.
[8] Pierre de Labriole,
La
Réaction païenne de, chap.II, IV.
[9]
Chassang, traducteur de la Vie d’Apollonius, introduction.
[10]
Abbé du Pin, Histoire d'Apollonius convaincue de fausseté cité dans la notes
430, Apollonius
de Tyane, sa vie, ses voyages, ses prodiges, Philostrate, Livre II.
[11]Pierre
de Labriole, La Réaction païenne de, chap.II, IV.
[12]Pierre
de Labriole, La Réaction païenne de, chap.II, IV.
[13]
Fernand Mourret, Histoire générale de l’Église, Fernand Mourret, Les Origines Chrétiennes, chap., IV,
VII
[14]
Voir Saint Augustin, Épître 136, dans La
Réaction païenne de Pierre de Labriole, chap.II, IV.
[15]
Voir Saint Jérôme, Épître 53, dans La Réaction païenne de Pierre de
Labriole, chap.II, IV.
[16]
Chassang, traducteur de la Vie d’Apollonius, introduction.